Sur le banc de la presse au Procès Daval

“Aux assises, où il est souvent question de sexe, de violence et de mort, le défi est de garder concentration et recul, garder la tête froide en somme. Par moments toutefois, garder la distance avec la souffrance de familles aux vies brisées est presque impossible”, écrivent Angela Schnaebele et Damien Stroka dans ce récit sur leur couverture du procès Daval.

VESOUL - Le rendez-vous dans la petite ville de Vesoul, modeste préfecture de Haute-Saône dans l’Est de la France, avait mobilisé depuis des semaines notre bureau.  L'Agence France-Presse (AFP) avait prévu de déployer pas moins de huit personnes, quotidiennement: deux photographes, deux vidéastes, deux dessinateurs de presse et deux rédacteurs texte, épaulés quotidiennement par les journalistes du bureau régional de Strasbourg. 

(AFP / Patrick Hertzog)

Il durerait dix jours, dans un bel édifice en pierre blanche ceinturé de barrières et protégé par des policiers. Et nous n’étions pas seuls. Au petit matin de ce 16 novembre 2020, des dizaines de journalistes d’une quarantaine de médias, s’appretaient à vivre ensemble une plongée dans l’insoutenable, un voyage dans l’intimité d’un couple, des images de jeunes mariés pimpants des débuts, à celles du corps supplicié et sans vie d’une femme, Alexia.  

C’était l’un des procès les plus attendus de l'année en France: la radiographie d’un petit couple de province “next door” en apparence sans histoires, en réalité complètement à la dérive: l’affaire Daval.

Les parents de Jonathann Daval et sa soeur devant le tribunal de Vésoul, le 18 novembre 2020 (AFP / Sebastien Bozon)

Depuis trois ans, et en plein mouvement MeToo, ce féminicide avait tenu en haleine la France toute entière, tant les rebondissements avaient été nombreux: disparition d'une prétendue joggeuse, découverte de son corps calciné, mari éploré finalement confondu, aveux suivis de multiples revirements, de l'absurde accusation de sa belle-famille à la pleine reconnaisance de l'acte, impulsif mais bel et bien volontaire, de tuer sa femme...

(AFP / Sebastien Bozon)
Jonathann Daval et ses beaux-parents après une marche silencieuse pour Alexia, le 5 novembre 2017 (AFP / Sebastien Bozon)

Jonathann Daval, informaticien de 36 ans accusé de “meurtre sur conjoint”, devrait enfin livrer sa version finale devant la Cour d’assises sur la disparition et la mort par étranglement de son épouse Alexia, âgée de 29 ans, dans leur pavillon à Gray-la-Ville.

Pour les vidéastes et les photographes de l'AFP, la journée  a commencé tôt, vers 07H00, postés aux abords du bâtiment pour ne pas manquer l'arrivée du convoi de Jonathann Daval. Chaque jour, ils enchaînent d'interminables heures d’attente dans le froid pour saisir les apparitions des protagonistes de ce procès hors norme. En raison des mesures sanitaires ils ne pourront pas trouver refuge dans l'enceinte judiciaire.

Côté texte, en revanche, nous sommes admis à l’intérieur. Et lorsque nous pénétrons pour la première fois dans la salle des assises, une étrange sensation nous étreint, alors que nous nous apprêtons à vivre l’épilogue d’une affaire couverte de bout en bout par Angela.

Ouverture du procès, les pièces à convicion sont posées sur une table, sous bonne garde (AFP / Patrick Hertzog)

La sonnette retentit, la cour fait son entrée. Familles, avocats, jurés, magistrats et journalistes, tout le monde est en apnée. Que nous réserve encore “l’affaire Daval” ?

Vêtu d’une marinière, amaigri et tendu, Jonathann Daval prend place, menotté et sous bonne escorte, dans le box des accusés. La silhouette est étriquée, on devine son visage émacié derrière le masque. On se prend à s'interroger : comment cette petite silhouette frêle a-t-elle été capable d'un tel déferlement de violence?

(AFP / Benoit Peyrucq)

Le président Matthieu Husson lui promet “l'impartialité” : “Cette médiatisation... Oubliez tout cela, concentrez-vous sur les experts, regardez la cour et les jurés, ce sont eux qui vous jugeront”. Les mots font redescendre d'un coup la pression : ça y est, le procès est lancé.

Pour nous, journalistes d’agence de presse,  “agenciers” dans notre jargon, raconter un procès, ça n'est pas seulement livrer à la fin de la journée un compte-rendu d'audience. C'est aussi extraire sur le vif des débats les déclarations ou les instants les plus forts, les plus pertinents, ceux qui marquent une inflexion dans le cours du procès, et alimenter en informations fraîches les autres médias, ceux qui ne sont pas dans cette salle  aux boiseries solennelles, plusieurs fois par jour.

Pendant une semaine, nous vivrons au rythme, soutenu, des audiences. Aux assises, où il est souvent question de sexe, de violence et de mort, le défi est de garder concentration et recul, garder la tête froide en somme. Par moments toutefois, garder la distance avec la souffrance de familles aux vies brisées est presque impossible.

(AFP / Benoit Peyrucq)

Comment ne pas être ébranlé par les photographies d’Alexia carbonisée ? Son visage tuméfié, brûlé, son corps rabougri par la chaleur de la crémation ? Ses parents et sa soeur n’ont pas tenu, quittant la salle d’audience pendant la projection. Elles s’avèrent insoutenables aussi pour l’accusé, recroquevillé dans son box, incapable de regarder en face l’horreur de son crime.  

Les assises, c'est aussi des intimités mises à nu, scrutées, des secrets dévoilés. La vie d'Alexia -- jeune Française “comme beaucoup d’autres” dixit son père -- n'y échappe pas. 

On écoute sa soeur Stéphanie décrire à la barre d’une voix calme et presque berçante le douleureux désir d'enfant d'Alexia, doublement contrarié par son problème d’infertilité et l'impuissance de son époux, puis le parcours du combattant qu’est une PMA -- sa soeur et elle-même l’ont connu -- et la montagne russe émotionnelle qui l’accompagne: elle nous confie la joie de sa soeur lorsqu’elle tombe enfin enceinte, puis son chagrin infini quand une fausse couche lui arrache l’espoir d’un bonheur qui semblait enfin proche. Jonathann aussi en aura souffert.

Manifestation aux abords du tribunal de Vesoul, le 18 novembre 2020 (AFP / Sebastien Bozon)

Autant d'échos à nos vies, à celles des femmes et des hommes du jury, aux lectrices et lecteurs qui ont lu nos récits. Chacun d’entre nous peut s’identifier avec ce couple, ce petit couple universel, avant le point de rupture.

Les photos de leur mariage en évoquent tant d'autres : le cadre est provincial et champêtre, ils sourient face à l'objectif devant un château, sans doute loué pour l'occasion, ils improvisent un saut qu'on imagine de joie... On les imagine “bien ensemble”, avant d’être envahi par le sentiment d'un immense gâchis.​​ Comment ne pas refaire l’histoire. Et s'ils avaient eu un enfant ? S'ils s'étaient séparés ? A quoi ça tient, la destinée d'un couple ? 

Aux assises, la vérité judiciaire se joue dans la salle, devant le président de la cour et les jurés. Mais durant le procès Daval, les débats se sont poursuivis sur les marches du tribunal. 

 

(AFP / Sebastien Bozon)

Chaque jour, les proches d'Alexia et leurs avocats s'y expriment devant un mur de caméras et de micros, livrant quelques phrases distillées le matin à leur arrivée, puis pendant la journée à chaque suspension d'audience, et enfin le soir, à la fin des débats. Une omniprésence dans les médias qui leur vaudra une étrange animosité sur les réseaux sociaux.

Depuis le début de l’affaire, la mère d'Alexia, Isabelle Fouillot, est montée sans relâche au créneau pour défendre la mémoire de sa fille. Au matin du premier jour du procès, l'image de cette femme digne et combative, trois ans en arrière, nous revient : immobile dans un champ, elle regarde sidérée la battue citoyenne déclenchée pour retrouver Alexia, confiant déjà son angoisse aux médias.

30 octobre 2017, battue citoyenne pour retrouver Alexia Daval, 29 ans (AFP / Philippe Desmazes)

Le jour de l'interpellation de leur gendre, Jean-Pierre et Isabelle Fouillot avaient refusé de croire à la culpabilité de cet homme qu'ils considéraient “comme un fils” qui a tant pleuré avec eux la mort de leur fille.

Au cours de l'instruction, ils lui ont pratiquement promis le pardon pour lui arracher des aveux sur les circonstances du meurtre. Puis, lors du procès, ils ont demandé pour lui “la peine maximale”. Le face-à-face entre Mme Fouillot et l'accusé restera l’un des moments les plus troublants du procès. Le silence est total, chacun retient son souffle lorsqu’elle s’avance à la barre.

Après avoir échoué à arracher à Jonathann d’ultimes aveux sur la mort de sa fille -- les parties civiles sont persuadées qu’il avait prémédité son geste et l’avait pour ce faire droguée droguée avec des médicaments -- Isabelle Fouillot abandonne subitement son ton maternant : “Je te souhaite un bon séjour en prison Jonathann”, assène-t-elle avant de tourner les talons. Sèche, glaçante, cette phrase résonnera longtemps dans nos têtes.

Croquis d'audience de la mère d'Alexia, Isabelle Fouillot, s'adressant à son ancien gendre Jonathann Daval (AFP / Zziigg)

 

Une fois les audiences terminées, la couverture de "l'affaire Daval" se poursuit le soir à l'hôtel, pour écrire sur les enjeux de l'audience du lendemain. Chaque soir, nous nous y attelons studieusement dans nos chambres à la nuit tombée en picorant nos plateaux-repas, confinement oblige. 

Jontahann Daval a deux visages : celui de l'enfant, puis de l'homme, effacé et discret qui inspire de la sympathie, voir de la pitié; et celui du mari qui frappe puis étrangle sa femme, trainant son corps “comme un sac à patates” (ce sont ses propres mots) dans une forêt où il le brûle. Avant de mentir à la France tout entière, pendant des mois.

 

Jonathann Daval et ses beaux parents, lors des funérailles, le 8 novembre 2017 (AFP / Sebastien Bozon)

Entre ces deux profils, nous oscilleront pendant une semaine au gré des prises de paroles des parties civiles et de la défense. C'est souvent le cas pendant un procès d'assises, où le jugement doit aussi tenir compte du contexte du crime, de la personnalité de l'auteur et des débats. La parole n'a jamais été le fort de cet enfant fragile que fut incontestablement Jonathann Daval, souffrant dans ses premières années de problèmes de surdité et d'un important retard de langage.

Pendant l'audience, il a laborieusement expliqué avoir étranglé son épouse “pour qu'elle se taise”, lors d'une dispute conjugale parce qu'elle voulait un “rapport sexuel” qu’il lui refusait. “La colère de toutes ces années est ressortie”, a-t-il dit. Inaudible pour la famille d'Alexia : “Sois un homme!”, lui intimera Isabelle Fouillot pendant l'audience, espérant encore obtenir quelques détails supplémentaires sur le soir du meurtre, en vain.

(AFP / Sebastien Bozon)

“T’es pas un homme”, lui reprochait déjà Alexia, selon lui. La phrase cristallise tous les reproches de la jeune femme à son mari : son impuissance, la fuite permanente de Jonathann devant les conflits et les tentatives de discussion d'Alexia, seule dans sa quête de maternité. Jonathann Daval l’a maintes fois invoquée comme la phrase de trop qui aurait déclenché en lui la violence -- “j'ai fait cocotte-minute”, dira Daval.

Affiche déployée à proximité du tribunal, le 16 novembre 2020 (AFP / Patrick Hertzog)
 

 

Les dépositions des experts psychologues et psychiatres, décrivent un accusé à la personnalité obsessionnelle, propice donc à ce genre d'explosions, nous permettant de saisir le mécanisme menant au passage à l'acte. Face à l'horreur d'un crime,​ il est étrange de se dire qu'on “comprend” un tel processus. Mais expliquer, n'est évidemment pas excuser. 

16 novembre 2020 à Vesoul (AFP / Sebastien Bozon)

Samedi 21 novembre 2020, après deux heures et demi de délibéré Jonathann Daval a été condamné à 25 ans de réclusion criminelle. Un jugement accepté par tous. Une peine “juste” selon la défense, “à la hauteur de (ses) souffrances” pour les parties civiles.

Après le verdict, les proches d'Alexia répondent une dernière fois à la foule des médias. “Vous avez un mot pour Alexia ce soir?”. “Tout ça, c'était pour elle”, répondent en choeur Isabelle Fouillot et Stéphanie Gay. A leurs côtés, Jean-Pierre Fouillot acquiesce en silence, secoué par les sanglots. Masque oblige, ses yeux concentrent toute l'expressivité du visage : ils se crispent, s'embuent. Trois ans de douleur pure condensés en quelques secondes.

(AFP / Sebastien Bozon)

 

 Epilogue ?

Nous croyions que ce verdict avait définitivement clos ce dossier judiciaire, l’un des plus médiatisés de ces dernières années en France. Mais un mois plus tard, juste avant Noël, le sismographe de l’affaire Daval a de nouveau oscillé, alimenté cette fois par des questions d’argent : d’ordinaire, en matière criminelle, elles n’intéressent pas, ou si peu, la presse.

Mais “l’affaire Daval”, décidément, n’est pas comme les autres, et la polémique a vite enflé autour des demandes de dédommagements formulées par la famille d’Alexia, jugées exorbitantes par les avocats du condamné. Les parties civiles (parents, soeur, oncles, tantes...) ont réclamé plus de 800.000 euros de dommages et intérêts à Jonathann Daval. Mardi 25 mai, la Cour d'assises de Haute-Saône a condamné Jonathann Daval à verser 165.000 euros à la famille d'Alexia, dont 130.000 à ses parents…. Mais ce n'est pas la fin de l'histoire: la famille va interjeter appel.

Patrouille de gendarmerie non loin d'Esmoulins, lors de la reconstitution du crime le 17 juin 2019 (AFP / Sebastien Bozon)

 

Angela Schnaebele
Damien Stroka