Retour à Gaza
GAZA, 10 juillet, 2015 - La guerre de cinquante jours entre Israël et les groupes armés Palestiniens venait d'éclater quand je suis entré dans la bande de Gaza le 10 juillet 2014. Un an plus tard, me voilà de nouveau face à la porte d'acier du point de passage d'Erez. Tout a changé. Et rien n'a changé.
On n'entend plus les tirs de l'artillerie israélienne. On ne voit plus dans le ciel les traînées blanches des roquettes tirées de Gaza.
Mais la sécurité israélienne à la frontière vous scrute toujours d’un regard méfiant et les questions lors du contrôle des passeports n'ont pas changé: Quel est le nom de votre père ? Combien de jours allez-vous rester à Gaza ? Un coup de tampon sur un papier blanc, un autre sur le passeport et ça y est, je passe.
Il y a un an, au bout du long couloir, je n'avais croisé personne. Un No man’s land. C'était également ramadan, le mois sacré de jeûne musulman, à l'époque. Les explosions fusaient de toutes parts et d'énormes colonnes de fumées noircissaient le ciel, de Beit Lahiya à Beit Hanoun.
Ce long couloir est toujours là, les tours de surveillance de l'armée israélienne aussi. Le Palestinien qui propose de s'occuper de mes sacs utilise un chariot électrique et non plus une vieille moto équipée d'une remorque. Et je n'ai plus à attendre des heures qu'une voiture ose s'approcher, les taxis jaunes abondent.
Les fonctionnaires du Fatah sont de retour au travail, ils contrôlent et enregistrent les passeports, assis dans un préfabriqué blanc où l'air conditionné est réglé si fort que mes bras gèlent en tendant mes papiers. Il y a des chaises pour les gens qui patientent au départ. Bien trop nombreuses pour le maigre flux des personnes autorisées à quitter Gaza.
Cinq cents mètres plus loin se trouve le point de contrôle du Hamas. Avant mon arrivée à Gaza l’an dernier un missile l'a entièrement détruit, sans faire de blessés. A l'époque, deux policiers en civil du Hamas avaient simplement investi un vieux bâtiment situé à quelques centaines de mètres de là. Privés de leurs moyens informatiques, ils avaient noté mon nom sur une feuille de papier en me lançant "bienvenue à Gaza". Aujourd'hui, ils sont installés dans un préfabriqué, scannent nos papiers sur un ordinateur et se fendent toujours du même "bienvenue à Gaza".
Ce 10 juillet 2014, la route entre Beit Hanoun et la ville de Gaza était déserte. Les bombardements aériens israéliens venaient de commencer, les magasins étaient fermés et les rues déjà jonchées de décombres. Durant de rares moments de répit, des habitants s'aventuraient dehors en quête de nourriture ou simplement d'un peu d'air.
Aujourd'hui, la vie de tous les jours semble avoir repris ses droits, les magasins ont rouvert et des femmes marchent dans la rue, où la police tente vainement de réguler le trafic automobile.
Mais les souvenirs de l'été dernier sont toujours vivaces à Gaza. Partout où je vais, la guerre est là. Quelle que soit la personne à laquelle je m'adresse, la guerre est là.
Je suis entré dans le quartier de Chajaya par la même rue que nous avions empruntée l'an dernier pendant une trêve de deux heures, la nuit suivant le début de l'opération terrestre israélienne. A l'époque, les secouristes devaient grimper sur les gravats pour aller récupérer des corps. Là, je circule en voiture. Je me souviens exactement de chaque endroit où j'ai aperçu un corps sans vie mais ce que mes yeux voient aujourd'hui dans cette rue, ce sont des enfants qui jouent.
En traversant Beit Lahia, je passe à côté d'une petite porte dans une ruelle derrière l’hôpital. L'an dernier, j'avais vu en sortir des hommes portant des corps sur leurs épaules, pour les amener au cimetière. Je me souviens des centaines de personnes en colère qui attendaient là, tous les jours, pour rendre un dernier hommage à un ou des êtres chers. La porte est maintenant fermée. On dirait que cette partie de l’hôpital est désaffectée.
Le long de la frontière, des secteurs complètement rasés par l'artillerie et les raids israéliens ont été presque nettoyés. Pour quelqu'un qui a vu la destruction engendrée par ce conflit, l'endroit est difficilement reconnaissable. Mais les Gazaouis qui ont perdu leur toit sont toujours là, vivant dans des abris de fortune à côté des ruines de leur habitation.
Un après la guerre, la résignation a pris le dessus dans la bande de Gaza, même si certains espèrent encore que les Nations unies leur donneront l'argent qui leur permettra de reconstruire leur maison ou même de quitter l'enclave. Peu importe la destination. Surtout pour les jeunes, qui rêvent d'Europe, d'Amérique ou plus modestement de Ramallah.Une certaine normalité semble toutefois être revenue dans la petite enclave palestinienne.
Il n'y a pas plus de journalistes et de caméramans juchés sur des toits d'immeubles et tentant de capter les images d'un raid aérien ou d'un tir de roquette.
De la terrasse de l'hôtel Al-Deira, en bord de mer, j'aperçois des bateaux de pêche et des hommes qui nettoient leurs filets après la sortie du jour. C'est sur cette même plage que quatre enfants palestiniens avaient été tués dans un bombardement alors qu'un groupe de gamins jouaient en toute innocence.
Je revois ces enfants courir vers moi puis disparaître dans un nuage de fumée. L'une des choses les plus atroces qu'il m'a été donné de voir.
Sur cette même plage, un an après, j’ai vu des Gazaouis profiter du coucher de soleil sur la Méditerranée et des restaurateurs servir à des familles entières le repas de l'Iftar, qui marque la rupture du jeûne quotidien, pendant que des enfants sautaient et riaient dans les vagues.
Andrea Bernardi est un journaliste de l’AFPTV couvrant Israël et les Territoires Palestiniens. Suivez-le sur Twitter.