Quatre tremplins pour l’imagination
INNSBRUCK (Autriche), 5 janvier 2015 – J’ai commencé à couvrir la Tournée des quatre tremplins il y a douze saisons. Cette épreuve de la coupe du monde masculine de saut à ski se déroule, comme son nom l’indique, sur quatre étapes : deux en Allemagne – Oberstdorf et Garmisch-Partenkirchen – et deux en Autriche – Innsbruck et Bischofshofen. Pour cette édition, je travaille avec mon collègue photographe Samuel Kobani. Grâce à lui, et contrairement aux années où j’ai couvert cette épreuve tout seul côté photo, je ne suis pas accaparé par l’obligation de prendre les images classiques mais indispensables de la compétition, des vainqueurs faisant le signe de la victoire, des podiums, etc. Je jouis d’une appréciable liberté pour tenter mes petites expériences.
Pendant les séances d’entrainement, les photographes ont le droit de se poster juste sous l’extrémité du tremplin – ce qui nous est interdit pendant l’épreuve proprement dite. Grâce à quoi je peux prendre cette photo d’un skieur vu d’en-dessous juste au moment où il s’envole dans les airs. Je me sers d’un zoom 14-24 mm que je tiens à bout de bras au-dessus de ma tête. Il me faut agir vite car j’ai peu de marge de manœuvre. Le skieur ne reste qu’une fraction de seconde au-dessus de mon objectif et il m’est impossible de corriger a posteriori un mauvais cadrage. Bref, vous l’aurez compris, ce qui compte le plus quand on couvre ce genre de compétition, c’est la baraka !
Et la chance est justement avec moi ce jour-là. Il fait un temps de cochon mais pile au moment où l’épreuve officielle commence, la météo s’améliore comme par miracle, ce qui me permet d’immortaliser les silhouettes des skieurs en lévitation qui se détachent sur un beau ciel bleu, au-dessus d’Innsbruck et des Alpes enneigées. Un magnifique panorama.
En dehors des trois dernières années, où j’étais basé à Los Angeles, j’ai assisté à toutes les Tournées des quatre tremplins en presque une décennie. J’ai eu le temps de beaucoup apprendre de mes erreurs. Notamment pour ce qui est des prises de vue à exposition lente – tout une expérience en soi. Cette fois-ci, j’emploie des temps d’exposition compris entre le quart et le dixième de seconde, toujours en priant pour que le résultat ne soit pas complètement raté.
Dans le passé, j'avais tendance à être tout le temps dans l'expérimentation. Peut-être un peu trop. Maintenant je donne plus dans le style classique, même si j’adore toujours m’évader des contraintes d’une couverture de temps en temps. C’est un peu ma cerise sur le gâteau. Je ne peux me le permettre que lorsque je couvre un événement avec un autre photographe, pour que le boulot « normal » et les figures imposées soient faits pendant que je m’éclate. Rien ne vaut que le travail en équipe !
Photographier une compétition de saut à ski est assez physique. On passe ses journées à monter sur des collines et à en redescendre avec son lourd matériel sur le dos. L’atmosphère est formidable même si, techniquement, on est limités : à Innsbruck, il y a des écrans géants qui protègent la piste du vent mais gênent aussi la visibilité et réduisent le nombre d’endroits d’où l’on peut prendre des photos. D’année en année, les organisateurs restreignent davantage les accès à ces spots fort recherchés. De plus en plus, nous sommes parqués dans des emplacements d’où nous savons exactement quels types d'images nous pourrons prendre. Les seules variables sont la météo, et la chance.
La photographie est un sport qui vous apprend l’humilité. On ne sait jamais vraiment à l’avance quelles images on va rapporter. Les surprises sont nombreuses et quoiqu’il arrive, il faut composer avec ce qui se passe autour de vous. Tenez, en ce moment, il recommence à neiger. C’est peut-être le moment d’aller refaire quelques photos à exposition lente. Et puis aujourd’hui, je n’ai pas eu de bol : j’ai raté la chute d’un skieur car je n’étais pas dans la bonne position au moment crucial. Et d’ailleurs, un autre gars vient tout juste de se casser la figure sous mes yeux sans que je prenne la moindre image… Allez, je ferais mieux de m’y remettre.
Joe Klamar est un photographe de l’AFP basé à Vienne.