Une messe casquée
Notre-Dame, Paris -- Si on m'avait dit, en prenant la rubrique "Religion", que j'aurais un jour à couvrir une messe.... casquée... et autant attendue.... je ne l'aurais jamais cru...
Ce samedi 15 juin, deux mois pile après l'incendie de Notre-Dame de Paris, seuls trois "médias" ont l'autorisation de couvrir l'office, auquel n'assistent que 30 personnes, pour des raisons de sécurité. On compte donc la chaîne catholique KTO, l'agence de photo catholique Ciric et l'AFP texte.
Après plusieurs discussions avec le diocèse les jours précédents, j'ai finalement le droit de faire - et diffuser - 10 photos. Et 4 à 5 courtes vidéos.
En cette fin d'après-midi, badauds, touristes et médias affluent aux alentours du parvis. Derrière la barrière du chantier, visible par tous, plusieurs piles de casques de chantier blancs attendent leurs utilisateurs.
17H15 - L'archevêque de Paris Michel Aupetit et quelques uns des prêtres autorisés à assister à l'office pénètrent dans l'enceinte encore interdite au public, et chacun s'empare de son fameux casque.
Juste avant d'entrer, par la petite porte du Cloître, nous passons par un pédiluve, protocole de dépollution oblige, car beaucoup de plomb a fondu lors de l'incendie. On y frotte donc ses semelles pour enlever d'éventuelles poussières de plomb. A l'intérieur, un homme chargé de la sécurité insiste sur le réglage du casque.
Le silence... C'est la première chose qui me frappe. Impression d'être hors du temps. Dans ce vaisseau vide, le déambulatoire, qui mène à la petite chapelle dans laquelle va être célébré l'office, vient, comme chaque week-end, d'être nettoyé. C'est encore un peu humide par endroit. Aucune odeur de brûlé.
A ma droite, l'accès vers la nef, où reposent encore pierres et poutres calcinées, est interdit. En face, les stalles du chœur sont intactes mais au centre, de nombreux gravats jonchent encore le sol. Les filets tendus pour parer aux éventuelles chutes de pierres forment de drôles de toiles d'araignée. Tout en haut, on aperçoit le trou béant de la toiture, comblé par une gigantesque bâche.
La petite trentaine de "happy few" s'approprie les lieux. Chapelains et sacristains de la cathédrale se recueillent devant la croix dorée et la pietà restés debout, au fond du chœur; "regardez comme elle est belle !", me lance l'un d'eux. Le secrétaire général de la Conférence des évêques prend quelques photos avec son smartphone.
L'archevêque se fait une joie de me montrer la statue de la Vierge du pilier, la célèbre vierge de Paul Claudel : "indemne!" s'exclame-t-il, devant cette statue symbole de Notre-Dame, abritée dans une chapelle adjacente.
Peu avant il a ironisé sur l'attente suscitée par l'événement: "D'habitude, je n'arrive pas à avoir autant de monde à la messe. Là si, j'ai le monde entier qui regarde, je suis ravi !"
Le spécialiste des Eglises d'Orient, Mgr Pascal Gollnisch est là aussi. Il a un présent: une petite croix offerte par la communauté chrétienne d'Alep taillée dans la pierre de la cathédrale de cette ville, dont le toit s'est effondré en 2012 suite à des bombardements.
17H45 - Le chantre met de l'ordre dans son cahier de chant. Deux vidéastes de KTO, en combinaisons blanches, masques sur le nez, caméras à l'épaule, font leurs derniers réglages.
Ça a un côté surréaliste.
18H00 - des clochettes tintent, le chant d'entrée est entonné par le chantre. En aube beige et étole moutarde, les ecclésiastiques arrivent en procession et viennent se placer de chaque côté de l'autel.
Mgr Aupetit commence son homélie... Tous gardent leur casque ! Il faut bien reconnaître que les médias n'attendent que cette photo-là: ce mélange de vêtements liturgiques et de tenue de chantier...
J'ai ouvert ma console sur une marche, protégée du sol par un torchon, poussières de plomb oblige. Ça peut faire sourire, mais c'est une recommandation de l'entreprise chargée de la décontamination de l'air.
Mon premier factuel envoyé, je me concentre sur les photos et vidéos. Je me faufile entre piliers, micro du chantre et projecteurs servant à KTO. J'appuie mon smartphone à une pierre, je bloque ma respiration. Photo. Vidéo. Plans larges. Plans fixes.
Dans mon viseur, j'essaie aussi d'avoir le recteur de la cathédrale, Mgr Patrick Chauvet, sans déranger la quinzaine de fidèles - bénévoles du chantier, salariés du diocèse de Paris - qui communient debout.
L'homélie de Mgr Aupetit. Elle nous a donné de l'"espérance", diront ensuite les hommes d'église. Ailleurs, elle a pu surprendre par certains passages: "Cette cathédrale est un lieu de culte, c’est sa finalité propre et unique. Il n’y a pas de touristes à Notre-Dame", dit-il. Autour de moi, beaucoup se sont interrogés.
"Pas de touristes ?" Quand on voit l'émotion suscitée par l'incendie, bien au-delà de la seule communauté de croyants...
18 H45 - la messe est dite. Cliché de tous les prêtres présents, en demi-cercle. Les uns rangent leur habit. Les autres lèvent le nez, cherchant à s'imprégner une dernière fois de l'atmosphère. Ce n'est sans doute pas de sitôt qu'une nouvelle célébration sera donnée.