La surprise de Hong Kong

Hong Kong -- Nous sommes restés sans voix, en débouchant de la station de métro Admiralty, au centre de Hong Kong un mercredi matin.

L’endroit était noyé par une foule débordant sur les barrières de béton qui protègent normalement les piétons du trafic automobile. Nous nous sommes regardés avec mon collègue. Mon Dieu, ai-je pensé, ça recommence?

Manifestants contre le projet de loi d'extradition à Hong Kong, le 12 juin 2019. (AFP / Isaac Lawrence)

Il y cinq ans le mouvement pro-démocratie des « Parapluies » avait paralysé des quartiers entiers de la ville pendant des mois.

A l’époque les manifestants étaient très pacifiques. Des centaines de volontaires avaient par exemple installé des stands pour prodiguer des soins de premier secours, mais aussi pour recharger son téléphone portable ou encore pour s‘hydrater. Il y avait des équipes dédiées au ramassage des ordures.

Une fois, ils ont même installé des petits bureaux dans la rue pour que les jeunes puissent étudier entre deux manifestations. C’était surprenant.
 

Les manifestants bloquent des rues de Hong Kong le 12 juin 2019. (AFP / Dale De La Rey)

Je suis né ici et j’y habite depuis sept ans. C’est un endroit où les gens restent sur leur quant-à-soi. Je ne connais même pas mon voisin de palier dans l’immeuble où je réside depuis trois ans.

Le dimanche 9 juin, on estime qu’environ un million d’habitants sont descendus dans la rue pour protester contre un projet de loi qui autoriserait l’extradition de citoyens vers le continent pour y être jugés.

En 2014 le mouvement des parapluies s’était terminé sans heurts.Et cette fois il n’y a eu aucun signe que le mouvement pourrait prendre une telle ampleur.

Le gouvernement a d’abord affiché sa fermeté, en assurant que la procédure législative irait à son terme.  Quand j’ai demandé leur avis à des collègues ils m’ont affirmé que la manifestation du 9 juin ne se répéterait pas.

Le quartier de Kowloon à Hong Kong, le 16 mai 2017. (AFP / Anthony Wallace)

Et puis ce mercredi 12 est arrivé. Avec mon collègue, nous avons d’abord juste observé la scène.

Une marée humaine, franchissant toutes les barrières, chaque personne en aidant une autre. « J’imagine que je te verrai plus tard », ai-je lancé à mon ami photographe. Il a ri et nous nous sommes tous deux mis au travail.

Quelqu’un m’a aidé à me hisser sur une des barrières, du haut de laquelle j’ai pris mes premières photos.

Occupation de Harcourt Road, près du siège du gouvernement de l'île, le 12 juin 2019. (AFP / Anthony Wallace)

Je me suis efforcé de ne pas être distrait par la taille de l’évènement, de rester concentré et d’envoyer le plus vite possible mes premières images aux éditeurs.

Ce qui n’est pas la chose la plus facile quand tout le monde autour utilise son téléphone pour envoyer ses propres photos ou vidéos et sature ainsi le réseau.

J’ai transmis depuis mon appareil par wifi sur mon portable en brandissant ce dernier à bout de bras, dans l’espoir que ça passe. La petite icône de mon mobile m’a finalement signalé le succès de la transmission. Une de ces photos a fait la Une du Wall Street Journal le lendemain.

Mais ce n’était pas le moment de relâcher la pression. Nous avons tous compris que l’histoire allait être énorme.

Des manifestants pro-démocratie étudient dans la rue avant la retransmission sur un écran géant de discussions entre leaders étudiants et les autorités de l'île, dans le quartier de l'Admiralty, le 21 octobre 2014, pendant le mouvement des parapluies. (AFP / Nicolas Asfouri)

Comme j’avais couvert le « Mouvement des parapluies », je me souvenais des endroits à partir desquels obtenir de jolis points de vue. Mais les choses ont dérapé.

Apparemment la police et les manifestants étaient beaucoup mieux préparés. Par exemple, un grand nombre d’activistes sont venus avec un simple ticket de métro, qui n‘est pas traçable, à la différence d’une carte de transport. Le message recommandant de les utiliser est passé par les réseaux sociaux.

Quand je suis arrivé dans le centre les équipes de secouristes étaient déjà sur place. Et les barricades ont été dressées à la vitesse de la lumière. J’ai vu un groupe en monter une en assemblant des barrières en métal, pourtant très lourdes, avec des colliers en plastique.

Des manifestants dressent des barricades sur la rue principale du quartier de l'Admiralty le 12 juin 2019, après une grande manifestation. (AFP / Anthony Wallace)
Des policiers passent devant les restes d'une manifestation violente, le 13 juin 2019, Hong Kong (AFP / Anthony Wallace)

 

La police n‘a pas paru en reste. En 2014 elle s’était contentée de tirer des gaz lacrymogène, mais sans parvenir à disloquer les manifestations. Elle avait paru sur la défensive face à des manifestants pacifiques qui prenaient très mal ce qu’ils considéraient comme une agression.

Cette fois, ils ont envoyé plus de 150 tirs de gaz, et la rue a été vidée rapidement.

Heureusement pour moi, la direction de l’agence nous oblige à emporter des masques à gaz et des lunettes de protection. Sans parler de suivre une formation pour travailler en milieu hostile. Je n’aurai pas cru avoir besoin de l’une ou de l’autre. Sauf cette fois…

Manifestation du 9 juin 2019, Hong Kong (AFP / Philip Fong)

Je ne m’étais jamais trouvé pris dans un nuage de lacrymogène, avec des gens courant dans tous les sens, toussant et s’aspergeant les yeux avec de l’eau. Grâce à mon équipement, j’ai pu garder mon calme, travailler et même donner un coup de main à des personnes visiblement mal en point.

Après coup, le gouvernement a affiché sa fermeté et promis que la loi passerait. Les manifestants n’ont pas cédé pour autant et promis une manifestation monstre pour le dimanche suivant.

Des policiers anti-émeute crient contre des manifestants à Hong Kong le 10 juin 2019. (AFP / Philip Fong)
Des secouristes volontaires aident un manifestant touché par des gaz lacrymogènes pendant une manifestation à Hong Kong le 12 juin 2019. (AFP / Anthony Wallace)

 

On a eu le sentiment que la population était frustrée du peu de contrôle qu’elle a sur son avenir, depuis que le Royaume-Uni a rendu le territoire à la Chine en 1997. Il y a un slogan célèbre dans toutes les manifestations sur l’île : « Hong Kong n’est pas la Chine ». Et pourtant la population a le sentiment que le continent essaie petit à petit d’imposer sa loi.

Nous nous demandions encore comment les choses allaient tourner quand la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, a fait une annonce étonnante : la suspension de l’examen du projet de loi. Mais sans s’engager à le supprimer. Quelle allait être la suite ?

Etre au cœur d’une dominante mondiale, sur mon propre territoire, a été une vraie nouveauté. Il y a cinq ans, j’étais simple éditeur au desk photo, et envoyé sur place en renfort. Maintenant je suis chef photo, et d’habitude les grosses couvertures se passent ailleurs.

Une ambulance traverse une manifestation à Hong Kong le 16 juin 2019. (AFP / Hector Retamal)

Quand le dimanche 16 est arrivé cela a été une nouvelle surprise, avec une foule encore plus grande défilant sous une chaleur tropicale.

L’estimation de 2 millions de participants, si elle était confirmée, en ferait la plus grosse manifestation qu’ait jamais connue l’île. La police est aussi sortie en force, mais avec visiblement la consigne de garder ses distances. 

Cette fois il n’y a pas eu de violences.

Hong Kong, 10 juin 2019. (AFP / Philip Fong)

A un moment une ambulance a dû emprunter une rue envahie de monde, et la foule l’a laissé passer. Tout le monde applaudissait, c’était émouvant. Et cela résumait bien la journée, le fait que les habitants de Hong Kong peuvent manifester pacifiquement. La police est restée mobilisée toute la nuit, et n’est intervenue qu’au matin pour demander aux manifestants s’ils voulaient bien quitter les lieux. Ce n’était pas un ordre. Après une courte confrontation, les manifestants se sont finalement dispersés et le trafic automobile a repris ses droits.

Prise de vue en pose longue d'une manifestation à Hong Kong le 16 juin 2019. (AFP / Hector Retamal)
Des manifestants se reposent dans une rue de Hong Kong au petit matin, le 17 janvier 2019. (AFP / Anthony Wallace)

 

Tout le monde a été soufflé par l’ampleur du mouvement.

Pour moi, c’est un tournant historique dans l’histoire de la ville, et il se déroule sous nos yeux. Ses habitants ont décidé de résister de manière décisive à ce qu’ils perçoivent comme une lente érosion de leurs droits. « Vous ne nous réduirez pas au silence », proclamait une banderole.

Où cela nous mènera-t-il, je n’en ai pas la moindre idée. Un des principaux leaders du mouvement de protestation de 2014 a été relâché par les autorités au lendemain de la marche monstre. Il a exigé la démission de la cheffe de l’exécutif. Celle-ci a refusé. Mais on a l’impression que tout peut arriver.

Des manifestants se reposent, la nuit après une grande manifestation à Hong Kong, le 12 juin 2019. (AFP / Hector Retamal)