Un autre monde

Snowmass, Colorado, USA -- Ça a commencé comme un sujet de curiosité, avant de devenir au fil des ans comme une deuxième maison, pleine d’amitiés simples et chaleureuses.

Pour quelqu’un comme moi, né et élevé sur la côte Est des Etats-Unis, le rodéo est une chose appartenant à un autre monde. La première fois que je suis tombé sur celui de Snowmass, par hasard pendant des vacances au Colorado, ça m’est apparu comme une curiosité de l’Ouest américain. Très photogénique par ailleurs.

Rodéo de Snowmass, Colorado, 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)

Comme je ne sors jamais dehors sans mon appareil j’ai demandé autour de moi si je pourrai faire quelques photos. On m’a dirigé vers une femme en jeans, avec un chapeau de cow-boy porté bas sur le front et un bandana noué autour du cou.

Elle a été très coopérative, en m’invitant à faire autant d’images que je voulais, mais en me prévenant aussi que le rodéo pouvait être très dangereux pour quelqu’un qui ne sait pas comment s’y comporter et où se placer.

Je n’ai appris que bien plus tard que je venais en fait de rencontrer une légende de la discipline, Darce Vold, dont la famille est dans le commerce de chevaux de traits depuis des décennies. Ils fournissent par ailleurs des chevaux à tous les rodéos du pays. Elle est aussi la directrice de celui de Snowmass. Mais rien ne pouvait m’indiquer son importance quand je l’ai rencontrée. Les choses marchent de cette façon, dans ce monde-là, les gens sont juste très décontractés.

Un jeune garçon participe à l'épreuve de "saute-moutons", sous les yeux de Darce Vold, la directrice du rodéo de Snowmass, le 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)

Comme une bonne partie de mon métier dépend des contacts que je noue avec les gens, dès que j’ai eu le feu vert de Darce Vold, je me suis mis en quête d’interlocuteurs.

Je me suis particulièrement bien entendu avec un type qui, comme Darcy, était d’un abord facile et sympathique, sans façons. Il m’a demandé d’où je venais, on a parlé un peu de politique. Il m’a dit qu’il gérait un ranch non loin et que si ça m’intéressait je n’avais qu’à m’y présenter pour voir comment ça marche. Ça m’a plutôt surpris. A Washington personne ne vous inviterait à passer chez lui quand ça vous chante.

Portrait de cowboy. Snowmass. Colorado. 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)

Quelques jours plus tard, j’ai acheté une bouteille de whisky et je me suis pointé là-bas. Il m’a embarqué pour une visite de son ranch et nous avons parlé pendant des heures. Comme le dit la formule, çà a été le début d’une longue amitié.

Le bonhomme était Jim Snyder, le responsable des opérations du rodéo. Grâce à tout le whisky bu et aux étoiles que nous avons regardé ensemble, j’ai eu accès à des endroits où d’autres photographes n’ont jamais pu mettre les pieds.

Cela m’a permis de faire quelques belles photos, comme celle des cow-boys qui se préparent avant d’entrer dans l’arène. Cette proximité a été précieuse.

Le rodéo de Snowmass est l'un des plus anciens du Colorado, avec 45 ans d'existence. (AFP / Alex Edelman)

Elle m’a aussi exposé à un moment délicat, en risquant prendre un mauvais coup avec les ruades d’un bronco.

Je me rends au ranch de Jim chaque année maintenant. C’est une amitié assez particulière. Nous venons de deux mondes complètement différents. C’est tellement stimulant pour moi de parler avec quelqu’un de si décontracté et détendu, qui se laisse photographier sans difficulté, qui parle ouvertement de son mode de vie et de la façon dont le rodéo, qui faisait intégralement partie de l’Ouest américain, est un peu en train de mourir.

Au rodéo de Snowmass, 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)

Une des chances que j’ai eu est que le rodéo de Snowmass est de petite taille, et qu’il s’est donné pour mission d’éduquer les gens à cette tradition, qui recule petit à petit dans sa patrie d’origine.

Son emplacement est aussi un avantage. Snowmass est près d’Aspen, un lieu qui attire des touristes non seulement américains mais du monde entier. La première fois où j’y étais, je me suis retrouvé à côté d’une famille venant de France.                

Pour « accrocher » la jeune génération le rodéo propose une compétition pour les enfants, le « saute-moutons », où ils s’assoient sur l’animal et essaient d’y rester accroché quand on les lâche dans l’enceinte. 

Ce qui illustre à quel point cette activité reste ouverte aux néophytes. Elle consiste avant tout à partager une expérience avec des gens qui n’ont aucune idée d’en quoi elle consiste. Par exemple il y a un annonceur qui explique en détail les règles de ce qui se passe dans l’enceinte. C’est une atmosphère très bon enfant.

En tout cas le rodéo est une chose captivante pour un néophyte dans mon genre. En partie à cause de son lien avec la tradition. C’est aussi une chose très américaine. Elle a un côté beaucoup plus intime qu’une compétition sportive classique. Et pour un photographe, il y a ce rituel fascinant chorégraphié avec de la lumière. Ça démarre en plein soleil, avant qu’il ne se couche, pour se terminer dans la nuit. Ça donne de très belles images.

Concours de lasso au rodéo de Snowmass, 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)
Un cowboy sur son taureau, Snowmass. (AFP / Alex Edelman)

 

Une autre chose frappante est la facilité avec laquelle tout le monde communique, d’où que vous veniez. Un parfait étranger dans mon genre peut venir et se sentir membre d’une communauté. Par exemple, j’imagine que bon nombre des gens qui travaillent ici sont des partisans du président Donald Trump. Je suis un représentant des médias, et à ce titre une de ses cibles préférées. Mais en venant ici trois ans de suite je n’ai jamais senti aucun changement à mon égard, alors même la rhétorique de Trump contre la presse n’a cessé de se durcir.

Snowmass, 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)

Même chose pour ma façon de m’habiller.

La première fois où j’ai assisté au rodéo je faisais tache dans le paysage, avec une tenue de randonneur apprêté.

La deuxième année, j’en ai trop fait, en m’habillant comme j’imaginais qu’un cowboy puisse le faire, avec un résultat un peu ridicule.

Cette année, j’étais entre les deux. Et pourtant toujours pas dans le ton. Malgré cela, personne ne m’a jeté ne serait-ce qu’un coup d’œil de travers pour me le faire sentir. On m’accepte juste comme je suis.

Un cowboy encourage les enfants prêts à participer au jeu de "saute-moutons", Snowmass, 22 août 2018. (AFP / Alex Edelman)

Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.

Alex Edelman