Joue la com' Deschamps
Istra (Russie) -- "Joue-la com' Deschamps", c'était le titre choisi pour un article sur la communication de Didier Deschamps, que nous avons diffusé à l'orée de la préparation de l'équipe de France au Mondial.
Il incluait cette observation de Philippe Tournon, chef de presse des Bleus (1983-2004 et 2010-2018): "Celui qui croit pouvoir le déstabiliser, je ne le connais pas et je ne le connaîtrai jamais. J'en ai connu qui voulaient tout maîtriser, mais n'avaient pas les moyens de le faire. Lui, il veut et il sait comment faire. Il est hors catégorie par rapport à ses prédécesseurs".
Et quand il s'agit de la Coupe du monde, compétition elle-même hors catégorie, cette volonté de contrôle atteint son paroxysme. Contrôle du groupe de joueurs, contrôle de l'image de la sélection. C'est à cette aune qu'il faut comprendre la couverture journalistique de l'équipe de France au Mondial en Russie.
Sa langue de bois s'est rodée au long de 33 années passées à répondre aux journalistes, depuis les débuts de joueur professionnel de "la Dèche" à Nantes en 1985. Elle est dure comme du vieux chêne, et prend parfois les atours du charme; Deschamps sait sourire et plaisanter. Il répond à toutes les questions, souvent sans y répondre vraiment, mais en ayant en tout cas choisi à l'avance les messages qu'il veut envoyer.
"Bien évidemment", pour reprendre son tic de langage, ça n'empêche pas quelques flottements, comme le 8 juin à Lyon, à la veille du troisième et dernier match de préparation, face aux Etats-Unis (1-1), lors d'une conférence de presse par ailleurs très enjouée de sa part.
Lors de sa visite aux Bleus trois jours plus tôt à Clairefontaine, Emmanuel Macron avait demandé à l'équipe de France de décrocher "la deuxième étoile" synonyme de victoire finale à la Coupe du monde, estimant qu'"une compétition est réussie quand elle est gagnée". Le chef de l'État avait profité d'une éclaircie pour parler à la presse et poser avec les Bleus devant leur résidence, passant entre les gouttes comme un anti-Hollande.
Nous avons donc posé cette question au sélectionneur: avec cette "pression présidentielle", se sentait-il "condamné" à remporter la Coupe du monde ? "DD" déteste devoir annoncer qu'il vise le titre. Trop matois pour ça. Alors il ironise : "Waow... j'ai les gouttes qui me tombent du front", puis lâche un lapsus: "Condamné ? Oh là là, c'est plus une pression, là, je suis déjà au pilotis!"
A ranger dans le florilège des formules célèbres de footballeurs, aux côtés de la lointaine "lampe de rancement" de Luis Fernandez, la légendaire "routourne" de Franck Ribéry, le "pain à moudre" de Laurent Blanc" ou encore le "il faut tous tirer dans le même bateau" d'Eric Abidal.
C’était presque ça Didier…@Tomisuper #Quotidien pic.twitter.com/kgRhrUwh3W
— Quotidien (@Qofficiel) June 11, 2018
Un moment cocasse comme apéritif: on n'en est qu'aux zakouskis. Car si le Mondial a commencé le 14 juin pour le grand public, avec le match d'ouverture Russie-Arabie saoudite à Moscou (5-0), et le 16 pour les Bleus (2-1 contre l'Australie à Kazan), l'aventure a démarré bien avant pour les "Bleus" de l'AFP, comme on nous a appelés, nous les deux envoyés spéciaux du texte chargés de coller aux basques de la sélection nationale.
L'épopée débute dans les têtes plusieurs mois avant l'échéance, à l'issue de la qualification scellée sans grand panache le 10 octobre face au Belarus (2-1).
Elle se dessine le 1er décembre au moment du tirage au sort, au Kremlin. Pérou, Danemark et Australie comme adversaires: Deschamps ne peut décemment jouer la petite musique habituelle de la "difficulté". Il contient sa satisfaction, et lâche simplement un "Ç'aurait pu être pire" qui en dit long.
Il trouvera la parade, comme on ouvre un parapluie, en disant le 23 mai: "On est le seul groupe où il y a trois équipes qui sont dans les douze premiers au classement Fifa" (la France, le Pérou et le Danemark, l'Australie n'étant que 40e). Cet élément de langage, franchement, il fallait le trouver. Il sera répété par les joueurs. Comme le "bien évidemment". Deschamps imprègne son groupe.
N'empêche: elle est de retour, la bonne étoile du sélectionneur, connu pour sa chance devenue proverbiale dans l'expression triviale "la chatte à DD" (ou "chachatte à DD"), popularisée par les dessins de Soulcié dans L'Equipe mettant en scène un gros matou femelle.
"Deschamps, je l'ai fait en chevaucheur de chat, mais aussi en Passe-Partout (le personnage de Fort Boyard) ou en moniteur de colo de vacances. Ce qui est rigolo, c'est de changer le réglage", nous racontera le dessinateur, rencontré dans son atelier bordelais.
Pour couvrir les Bleus, l’avant-compétition permet quelques échappées belles; ensuite, c'est un tunnel de figures imposées par les matches, les conférences de presse et les entraînements. Et puis, la "chatte à DD" détone dans le langage policé usuel de notre honorable Agence. Mais peut-on rendre compte du monde du foot sans de temps en temps en utiliser les codes? Bien évidemment non.
Pendant la préparation, notre pain quotidien consiste en trois joueurs par conférence de presse, et généralement un entraînement ouvert. Pendant le Mondial, ce sont deux joueurs, et l'entraînement le plus souvent accessible. De nombreuses sélections sont plus fermées aux médias. Elles bétonnent leur groupe en n'envoyant que des remplaçants devant la presse ou en multipliant les séances à huis clos.
Lors de cette "prépa", à défaut d'obtenir un entretien avec Deschamps (il refuse de parler aux agences de presse depuis 2016 car ne maîtrise pas les reprises de ses propos dans les médias), nous avons sollicité auprès de Philippe Tournon des rendez-vous avec les membres du staff technique.
Cela génère un petit accrochage avec le chef de presse. Il pensait que nous n'allions écrire que des "portraits", et fulmine d’apprendre que nous avons posé quelques questions d'actualité, notamment sur des questions médicales (l'entorse à la cheville d'Ousmane Dembélé par exemple). Impossible pour un journaliste de ne pas poser ces questions. Mais d'après lui, "Didier" a interdit à son entourage technique de parler de sujets d'actualité aux journalistes.
Afin de préserver des relations cordiales avec "Philippe", personnage incontournable de par sa fonction d'intermédiaire avec le groupe des Bleus (essentiellement pour avoir des nouvelles des petits et grands bobos des joueurs), nous nous mettons d'accord avec lui pour sourcer "membre du staff des Bleus", sans identité. Ainsi, personne ne se fera enguirlander par "Didier", et nous préservons nos bonnes relations avec "Philippe".
Autre difficulté, obtenir des entretiens individuels avec les Bleus. Il faut souvent en passer par d'âpres négociations avec leurs agents et autres conseillers images.
Il y a ceux qui demandent les questions (la plupart), ceux qui veulent relire les réponses (de plus en plus, mais l'AFP refuse), ceux qui appellent furibards car une question supposée "interdite" a été posée, alors qu'il s'agit d'une banale question d'actualité sur un joueur non retenu pour la Coupe du monde...
Résultat, il faut parfois négocier plusieurs mois pour obtenir une interview finalement assez lisse d'un international français et on peut s'attendre à coup sûr à un petit texto ou un coup de fil de son agent, qui jugera que tel point était un peu "sensible" ou pas suffisamment valorisant pour son poulain...
Énième illustration de cette volonté de tout contrôler dans un univers du foot de plus en plus commercial.
Trois amicaux rythment cette préparation (au Stade de France, puis à Nice et Lyon), et les jours de match nous offrent la seule occasion de faire une petite escapade en ville, par exemple sur les traces de Guillaume Apollinaire qui a séjourné à Nice et y a rencontré sa Lou. Car couvrir les Bleus fait voyager, il faut en saisir la chance - nous nous ménageons tout juste une poignée d'heures de temps plus ou moins libre avant chaque match, histoire de s'aérer l'esprit.
Au Mondial, nous verrons Kazan (deux matches), Ekaterinbourg, Moscou (deux matches), Nijni-Novgorod et Saint-Pétersbourg.
Après le troisième et dernier match amical dans l'Hexagone, la bascule se fait vite: samedi 9 juin, France-Etats-Unis à Lyon; dimanche 10, voyage Lyon-Paris-Moscou; lundi 11, retrait des accréditations au stade Loujniki de la capitale russe, de manière très rapide, puis couverture de la première conférence de presse de Deschamps à Istra.
C’est une bourgade située à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Moscou. Un charme discret quand le soleil la baigne, davantage encore à mesure qu'il l'ignore. Nous découvrons le centre de presse, un bâtiment neuf à la forme originale posé en regard du monastère de la Nouvelle-Jérusalem, ensemble monumental aux coupoles dorées nous renvoyant la lumière. Du moins quand il fait beau: nous arrivons sous un temps gris, pluvieux, comme au creux d'un automne.
Notre quotidien sera rythmé par ce triangle: départ le matin de l’hôtel au bord d'une autoroute située à mi-chemin entre Moscou et Istra, puis conférence de presse le matin à Istra, avant l'entraînement l'après-midi à Glebovsky, dans le petit stade champêtre de Glebovets.
C'est notre bulle, au sein de la caravane de presse, un drôle de mélange de colonie de vacances, de séjour Erasmus et de bivouac à la campagne. Mais rien à voir avec une villégiature. Cette troupe médiatique a ses aspects sympathiques (côtoyer des confrères qu'on apprécie, s'échanger des impressions, et tout simplement parler foot). Elle présente des risques, comme se déconnecter du reste du monde; on se demande comment on vit cette Coupe du monde depuis la France, on interroge les proches, la rédaction à Paris. Y a-t-il un engouement ou pas ?
Le risque est grand également de céder à une forme de panurgisme, consistant à traiter tous des mêmes sujets, dans un phénomène de circulation circulaire des idées.
Nous voici en Russie, mais ce suivi des Bleus se fait un peu hors sol, tout au long du tournoi, dans le monde clos et sécurisé de la Fifa. On croise des employés russes à l'hôtel ou au restaurant, et c'est tout.
Les Bleus, eux, ont eu droit à la cérémonie de bienvenue – avec la brioche trempée dans le sel et l'inévitable "Kalinka", cette ritournelle russe qui accélère. Leur car affiche "Davaï les Bleus" (Allez les Bleus), mais à la vérité, on pourrait être n'importe où sur la planète, en tout cas là où il y a des forêts. Seuls les panneaux en cyrillique ancrent notre réalité.
Nous décidons d'aller voir le stade d'entraînement, où l'on procède aux finitions - les buts sont encore enveloppés de film plastique. Les membres de la sécurité nous laissent entrer grâce à nos accréditations. Nous parvenons à voir les vestiaires et prendre une photo, qui aura un certain succès sur Twitter, avant qu'on nous enjoigne de sortir, car il est "interdit" de se trouver là. On n'en est qu'aux balbutiements: la sécurité n'aura plus de faille, et sera assez tatillonne, sans excès d'autorité.
Vestiaire et terrain d'entraînement des Bleus près d'Istra #équipedeFrance pic.twitter.com/HWNl8gshL1
— yann Bernal (@YannBernal) June 11, 2018
L'hôtel des Bleus ? Au bord d'une route, au milieu de la forêt, serpente un chemin en terre, qui enjambe un ruisseau à l'odeur nauséabonde. Une voiture de policiers stationne au début. L'un d'eux nous autorise à approcher de l'établissement, mais à pieds.
Arrivés devant le Hilton Garden Inn Moscow New Riga (ouf!), nous voyons l'écriteau "Bienvenue", en français et aux couleurs de la Fédération française de football (FFF), qui surmonte l'imposant et opaque portail. Nous prenons quelques photos avant qu’un autre policier nous l'interdise aussitôt.
"Passport!", nous lance-t-il derechef. Nous répondons que nos documents sont restés à la voiture. Il nous laisse repartir.
Deschamps n'aime pas le mot "bunker": "Surtout pas, on a besoin de tranquillité, mais je ne veux surtout pas d'un style bunker! C'est très évasé, il y a beaucoup d'espace". Il joue les naïfs à dessein: l'hôtel validé par ses soins procède bien du bunker par son isolement, sa protection rapprochée, et pour tout dire son caractère impénétrable.
Au point que le président de la FFF en personne, Noël Le Graët, s'y est cassé les dents! C'est le sélectionneur qui a révélé sur un ton amusé l’éloquente anecdote, le 11 juin: "Même notre président qui est ressorti ce matin n'a pas pu +re-rentrer+. Pourtant il avait sa carte (d'accréditation), mais non, c'est non".
Il manquait certains macarons au véhicule du dirigeant, qui a pu finalement rentrer, nous a ensuite précisé l'encadrement des Bleus. "Ça a duré dix minutes", mais Noël Le Graët a trouvé cela "plutôt marrant".
Le phénomène n'est pas nouveau, et les contraintes sécuritaires évidentes. Mais il y a quatre ans, lors du Mondial brésilien à Ribeirao Preto, l'hôtel des Français, plus visible, donnait sur un grand axe. Les photographes pouvaient tenter leur chance, et les supporters se presser devant en espérant un autographe des joueurs.
Le côté bunker aura réussi à la sélection. Bunker physique et mental, au point d'étouffer le moindre écart qui aurait pu fait jaser. Rien à voir avec la grève de l'entraînement lors du Mondial-2010 et le fiasco de Knysna, mais les Bleus de Russie ont connu un incident qui n'a transpiré qu'après-coup, une semaine plus tard, soit une incroyable rétention d'information. Sans doute due à l'esprit de corps insufflé au groupe par le sélectionneur.
C'est l'épisode de l'extincteur, qui a entraîné l'irruption des pompiers d'Istra, de très bon matin, au Hilton Garden. Il se produit dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, et ne sera révélé que le 6 juillet au soir, par beIN Sports: sept jours après, soit une éternité en termes d'actualité!
"Et toi, t'as jamais fait de conneries en colo?!" : c’est sur ce ton acrimonieux qu’un employé de la FFF nous confirme, le 7 juillet, le déclenchement nocturne d'une alarme et l'apparition des pompiers, sans autre détail, et en insistant sur le fait que tout s'est passé très vite et n'a eu aucune conséquence.
De fait, les Bleus ont ensuite balayé l'Uruguay 2-0 en quart de finale. Le tour est joué: c'est arrivé une semaine plus tôt, et depuis, la France s'est qualifiée pour les demi-finales; bref, on est passé à autre chose, et l'histoire de l'extincteur à la trappe.
Une bien belle histoire pourtant ! Rallumons-la. Ce soir-là, avec l'autorisation du staff, une quinzaine de Bleus sortent du camp de base pour se rendre à Moscou, dans la foulée de la victoire contre l'Argentine (4-3 en 8e de finale à Kazan).
Adil Rami racontera sur TF1, après le Mondial, qu'il a utilisé un extincteur pour chasser les coéquipiers qui voulaient envahir sa chambre afin de la mettre sens dessus-dessous. "Adil! Rami! Tes supporters sont là!", scandaient les joueurs en tapant à sa porte. Il l'a ouverte pour les faire taire... mais Benjamin Mendy y a mis le pied.
"Je suis parti en courant, j'ai dégoupillé, et là quand ils sont rentrés: Ghostbusters!", a raconté Rami. Dans l'opacité de la fumée blanche dégagée par l'extincteur, un joyeux chahut s'ensuit dans les couloirs, danse en pogo et chants à gogo.
@benmendy23 C’EST BON ON L’A pic.twitter.com/0v0qTcpa8B
— léa (@Leatyfw_OM) July 16, 2018
L'alarme à incendie retentit. Le responsable de la sécurité débarque et intime l'ordre de sortir pour arrêter d'inhaler cette fumée toxique. Tout le monde se retrouve dehors au coeur de la nuit, Deschamps compris. Pas forcément heureux de cet épisode, mais qui passera l'éponge.
"Je crois que ça (l'extincteur) n'était pas bien accroché. C'était plutôt très souriant", nous confiera Noël Le Graët, sans en dire davantage, et toujours en relativisant, avant la demie. Et la FFF a éteint l'extincteur.
Depuis un bunker, on peut émettre quelques ondes. Certains journalistes reçoivent tout de même des bribes d'informations, par exemple via SMS. C'est aussi ça, la com' à la DD: lâcher du lest, donner des "biscuits" (éléments) aux médias les plus influents ou à des journalistes amis pour modérer toute campagne de presse, pour orienter quelque peu les débats.
Peser de manière plus ou moins subliminale sur le commentaire médiatique, cela relève du gain marginal, mais rien n'est négligeable dans une Coupe du monde.
Notamment les informations sur les compositions d'équipe. A la veille de chaque match, l'entraînement est à huis clos. Pourtant, des médias se sont fait une spécialité de briser ce verrou en observant la séance tactique pour en déduire l'identité des onze titulaires en fonction de la couleur des chasubles.
Ils assistent en cachette à l'entraînement, en rusant autour de l'enceinte ou juchés sur un promontoire lointain et équipés de jumelles ; ou bien obtiennent l'information auprès d'un joueur ou d'un proche.
Deschamps a généralement le ton badin quand il refuse de répondre à des questions sur sa future composition d'équipe, en soulignant en substance que de toute façon, les journalistes parviendront bien à la connaître.
Mais le ton est tout autre au sortir d'un premier tour laborieux: "Ce qui me gêne, c'est que notre adversaire connaît toujours notre équipe 48 heures à l'avance. S'il y avait un peu plus de respect de ce côté-là, ce ne serait pas plus mal".
C'en est devenu un secret d'État ou presque. Nous avons ainsi été invités par des policiers en civil, cordialement mais fermement, à quitter le lotissement d'immeubles jouxtant le stade d'entraînement, après nous avoir bien sûr, rituellement, demandé nos "passport".
Deschamps a le culte du secret, et pourtant, jamais les joueurs eux-mêmes n'auront divulgué autant d'images de l'intérieur, via les réseaux sociaux. Cela culminera dans les vestiaires après la finale: une explosion de vidéos parfois en direct, discours d'Emmanuel Macron compris. Un régal pour les supporters et les journalistes.
Diffuser des images en ligne, d'accord, mais attention: au début du rassemblement, le sélectionneur a demandé à ses ouailles d'être responsables, de bien mesurer la portée de leurs messages et de ne pas évoquer les adversaires. Des consignes largement respectées.
L'enjeu était de taille: pas question que l'équipe de France soit brocardée pour des comportements inconvenants, que l'on retombe dans les affres du fiasco de Knysna - cette image de garçons gâtés et mal élevés, qui ne font pas honneur au pays.
Cela fait des années que la FFF rame pour remonter la pente, pour que les Bleus regagnent les coeurs. Cela passe essentiellement par les résultats - le bon Mondial-2014 (quart-finalistes face à l'Allemagne future championne du monde), le bel Euro-2016 (finalistes malheureux). Mais aussi par le rayonnement de personnalités comme l'attaquant Antoine Griezmann, guilleret héros de l'Euro-2016 qui inspire la sympathie.
Cela n'empêche pas quelques écarts, comme l'affaire Benzema. Mais cela explique aussi la nouvelle dimension prise par Paul Pogba. Celui qui pouvait être perçu comme arrogant et plus soucieux de son image que de son véritable apport à l'équipe s'est réconcilié avec les médias, en passant deux fois en conférence de presse (la dernière en bleu datait de... 2014!). Et avec son pote "Grizou", c'est lui qui a popularisé le "Vive la France, et vive la République!" lancé à tout bout de champ, en inversant la traditionnelle formule politique de fin de discours.
Parmi les plus prolifiques, on aura remarqué Pogba, Presnel Kimpembe le DJ ou Adil Rami l'ambianceur. Benjamin Mendy, le plus geek de tous, commence très fort en filmant les parties de cartes endiablées à Clairefontaine avant de se faire de plus en plus discret au fil de la Coupe du monde - il a perdu sa place de titulaire au profit du novice Lucas Hernandez. "La Pioche" aussi a inondé internet d'images et messages, souvent en musique.
Et rien à voir avec les compétitions précédentes: la campagne de Russie a été l'occasion d'une déferlante de "stories" Instagram. Nouvelle génération oblige, plusieurs joueurs ont diffusé par brèves séquences leurs "Yeux dans les Bleus" personnels. Couvrir l'équipe de France, c'est aussi garder constamment un œil sur leurs comptes de réseaux sociaux.
Dès le week-end de repos des joueurs des 3 et 4 juin, pendant la "prépa", certains ont donné la tendance, y compris sur leurs personnalités, en faisant part de leurs activités: Kylian Mbappé s'affiche à Roland-Garros en compagnie de Mike Tyson (du lourd), Adil Rami filme un garage municipal à Fréjus et le décrit comme son "centre de formation" (drôle) et Antoine Griezmann se montre avec sa fille (frais).
Comment utiliser ces robinets à images, entre éléments d'ambiance, repérage de traits de caractère, ou encore source d’anecdotes ? Parfois, la frontière est ténue entre le "on s'en fout" et le "mais c'est les Bleus!". Il faut sans cesse arbitrer sur l’intérêt de faire apparaître ou pas dans nos dépêches ces scènes rendues publiques. La gazette de brèves intitulée "Bons baisers de Russie" offrira un bon réceptacle à ces instantanés de l'intérieur.
Quelquefois, les réseaux sociaux servent à la communication de crise. Le 12 juin, à quatre jours de l'entrée en lice des Bleus, Rami fauche Mbappé et lui touche la cheville, au point d'écourter l'entraînement de la pépite parisienne.
Le défenseur marseillais diffuse peu après une "story" où est écrit "Tout va bien pour mon Kylian Mbappé", avec comme émoticônes une tête bandée, des mains jointes et une tête souriante. Rami est allongé en salle de soins et lance tout haut: "Oh, ça va ou ça va pas? Ca va pas? Kylian, ça va? Kylian ça va? Eh oui! Eh oui!"
Les pépins physiques, c'est tout un feuilleton quand on suit les Bleus... L'état de forme des uns et des autres est une information importante à obtenir dans l'optique des matches à venir. Elle implique de compter les joueurs à l'entraînement, débusquer d'éventuelles absences, et se renseigner auprès de Philippe Tournon sur les raisons. Le chef de presse, décrit comme "grincheux" et "chouette type" par Griezmann, donne souvent des explications. Plus ou moins précises.
Mais quand l'affaire devient sensible, et afin d'éviter tout emballement médiatique ou de donner des munitions à l'adversaire, le silence radio prévaut.
Comme à la veille de la demi-finale contre la Belgique. Deschamps parle alors, sans nommer personne, d'entraînement aménagé pour quelques joueurs "par précaution", et n'envisage "pas de forfait". Alors que N'Golo Kanté et Benjamin Pavard se préparent en marge du groupe, Mbappé est carrément absent du quart d'heure de la séance ouvert à la presse.
Certains médias évoquent des douleurs au "dos" bénignes, sans citer de source. Le quotidien L'Équipe révèlera après le tournoi que le jeune attaquant s'était en réalité bloqué trois vertèbres la veille de la demi-finale, et qu'il a disputé les deux derniers matches diminué. Autrement dit: une affaire bien verrouillée.
Comme souvent dans le foot, de surcroît sous magistère Deschamps, l'heure est aux résultats, aux réponses lisses et au groupe qui "vit bien". Même si, on l'a compris, le "groupe vit vraiment bien", comme le martèlent tous les joueurs.
En conférence de presse, les rares joueurs fantasques sont attendus comme le messie. Car une "conf" creuse est inexploitable, alors que la bête médiatique est toujours affamée.
En bons clients, il y a Pogba donc, qui après quatre ans d'abstinence médiatique fait son retour devant les journalistes en lançant dans un sourire gourmand: "Vous m'avez manqué!"
Et il y a surtout Rami, boute-en-train attitré, a priori présent dans le groupe à la suite de la blessure de Laurent Koscielny, et unique joueur de champ qui ne disputera pas une minute de jeu.
Sa "conf" du 4 juillet est un spectacle. "Ouvrez vos cahiers, page 8 exercice 4", dit-il en préambule. Edinson Cavani, incertain pour le quart France-Uruguay car touché au mollet?
"S'il joue contre nous, il aura bien démonté la science", avance celui qui avait inventé, quand il jouait à Lille, l'inoubliable "on va donner notre corps à la science".
Quand Mbappé accélère, "c'est comme dans Fifa, (bouton) L1, accélération et double joystick droit!"
Joyeux bordel des Bleus en salle de conférence de presse (version longue) #AFP #CM2018 #FiersdetreBleus pic.twitter.com/7kjBJe5dSX
— yann Bernal (@YannBernal) July 16, 2018
Et Pavard, qu'il surnomme "Jeff Tuche"? "Il disait d'arrêter de l'appeler Jeff Tuche, mais pas pour moi, pour vous (les journalistes): vous n'êtes pas son pote".
"Ce surnom, il l'avait déjà avant, mais bon... sacrée +tuche+ de balle hein! En une +tuche+ il les a tous couchés!" - référence à la fameuse "frappe de bâtard" ou "patate tatare" du latéral contre l'Argentine.
Lors d'une conférence de presse précédente, pendant la préparation, l'alors compagnon de Pamela Anderson avait déjà donné un avant-goût du Adil Comedy Club, mais avait aussi pris à partie un confrère - "Toi, je n'ai pas trop aimé ce que tu as écris sur moi il y a deux ans. Mais bon, voilà c'est dit, on passe à autre chose". Le message n'était pas anodin, avant la Coupe du monde: attention les gars, les paroles volent mais les écrits restent...