Quand Harry a marié Meghan
Londres -- Quand Harry a rencontré Meghan, et qu’une aventure fortuite s’est transformée en mariage anglo-américain, je me suis retrouvé coincé entre le cynisme de mon enfant, l’enthousiasme de mon épouse, l’apathie de mes amis et l’appétit insatiable du monde pour les histoires de mariages royaux.
En tant que simple sujet britannique, de retour d’un séjour de presque dix ans aux Etats-Unis et moi-même récemment marié à une Américaine, cette alliance transatlantique atypique a capté mon intérêt avec beaucoup plus de force qu’aucun des précédents mariages de la famille Windsor.
A vrai dire, je n’avais pas vraiment le choix. Ayant rejoint le bureau de l’AFP à Londres juste avant les fiançailles du couple, il m’est apparu très vite que nous couvririons tout ce qui, de près ou de loin, avait trait à l’évènement. Et à raison. Cette union devait être le dernier grand mariage royal britannique pour toute une génération.
Ce qui explique que nous ayons décrit les activités d’une brasserie ayant concocté une bière baptisée « le nœud de Windsor d’Harry et Meghan » ou que nous nous soyons extasiés devant la collection d’objets souvenirs d’un afficionado de la famille royale.
En ce qui me concerne le véritable intérêt de l’histoire venait du fait que la mariée n’avait rien de la classique « rose anglaise » entrant dans la dynastie : une Américaine métissée, divorcée, avec une carrière à succès de comédienne et une passion pour la cause féministe.
Elevée à Los Angeles, où j’ai passé ces dernières années et rencontré ma future femme, elle paraissait tout sauf destinée à se confronter à une toute autre culture.
La Californie du sud peut paraître un peu irréelle quand la lumière vaporeuse de fin d’après-midi éblouit vos sens; à l’inverse le Londres au ciel plombé peut être un peu accablant quand il s’y ajoute une ondée matinale dans le visage.
Toutes considérations météorologiques mises à part, si le rêve américain dot permettre à n’importe qui sortant de nulle part de laisser sa trace dans le monde par son seul labeur, la noblesse britannique a souvent été décrite comme à l’exact opposé, comme un espace où un tel rêve peut tourner au cauchemar.
Les amis du prince William, qui appartiennent comme lui à une classe ultra-privilégiée, se moquaient paraît-il de sa future épouse Kate Middleton, -sa mère ayant travaillé un temps comme hôtesse de l’air-, en marmonnant « Vérification de la porte opposée » quand elle apparaissait dans son groupe. Je craignais le pire pour Meghan Markle.
Bien que n’étant pas la première Américaine admise dans l’ancestrale monarchie britannique, -les fiançailles de sa compatriote et divorcée Wallace Simpson avec le roi Edouard VIII ayant entraîné son abdication-, l’origine métissée de Meghan et la modernité de son parcours distinguaient son mariage avec Harry, tout en le fragilisant potentiellement.
On dit qu’en Amérique on aime célébrer les gens (que « font » exactement les Kardashian ?) alors qu’en Angleterre on préfère les mettre à terre. Récemment, un éditorialiste du conservateur Daily Telegraph a conseillé à ses lecteurs de « s’en tenir à la première impression qui les a fait aimer Megan Markle», parce que le retour de bâton « ne saurait tarder ».
Le grand jour est finalement arrivé, nous trouvant en pleines supputations sur tous les sujets possibles, -de la couleur du chapeau de la reine au titre de noblesse qu’elle accorderait au jeune couple-. Mais tout le monde ne faisait pas montre du même enthousiasme. Ma sœur, journaliste au Guardian, un quotidien tirant vers la gauche, se refusait à tout compromis en expliquant que notre temps serait mieux employé à s’occuper des victimes de conflits dans le monde.
Elevés par des parents fiers d’afficher leurs convictions socialistes, elle n’a pu masquer sa surprise, voire sa déception, envers ma tolérance pour le mariage royal.
Pour ma part, je me suis plongé dans du journalisme de tabloïds, les drames de la famille de Meghan devenant impossibles à ignorer.
Son père s’est résigné à ne pas mener sa fille jusqu’à l’autel après un petit incident cardiaque consécutif à un scandale monté par des photographes de la presse tabloïd.
Sa famille élargie n’a pas été conviée à la cérémonie, certains de ses membres ayant fourni des interviews acides sur son compte, ce qui n’en avait pas empêché d’autres de se rendre en Angleterre.
Et enfin la police londonienne a confisqué un couteau et une bombe lacrymogène à un demi-neveu dans sa chambre d’hôtel, le soir du mariage; il avait pris au mot le président américain Donald Trump quand ce dernier avait comparé Londres à une « zone de guerre ».
Par certains côtés, la saga a pris des airs de comédie conçue pour la télévision: un genre de mélange de Jerry Springer, « The Crown » et « Suits : Avocats sur mesure ». Et pour faire bonne mesure, un soupçon de télé-évangélisme avec le sermon enflammé du révérend américain Michael Curry.
Malgré une couverture aussi grincheuse qu’attendue dans la presse conservatrice britannique, le public a été plutôt séduit par la nouvelle duchesse et indulgent pour les épreuves liées à sa famille. Ça ne m’a pas surpris: les « British » peuvent se révéler plein d’empathie dans les moments difficiles, comme leur dévotion envers la princesse Diana l’a montré en son temps. Le consensus est que Meghan s’en est tirée avec beaucoup de dignité. Et a plutôt bien démarré sa carrière « royale ».
L’influence afro-américaine sur le mariage, -si visible dans le chœur de gospel entièrement noir et le sermon habité du révérend Curry, avec ses références à Martin Luther King et l’esclavage-, a été ressentie comme une bouffée d’air frais dans une institution fleurant un peu le renfermé.
Elle a certainement ravivé la tradition plus compassée, voire moribonde, des mariages de l’Eglise d’Angleterre. Il est plus difficile de savoir comment la population a réagi à ces brèches dans le cérémonial de la royale Angleterre. L’impatience des foules massées à Windsor a visiblement grandi au long d’un sermon record de presque 14 minutes, qu’un haut responsable de l’Eglise anglicane a ensuite jugé « sérieusement erroné » et comme une quête de « gloriole planétaire ».
La chose m’a pourtant empli de nostalgie. J’avais entendu beaucoup de pasteurs afro-américains délivrer des prêches plein de fougue en couvrant les campagnes électorales de politiciens new-yorkais courtisant le vote des congrégations d’églises noires. Ils se balançaient maladroitement au rythme du gospel, dans une cacophonie de prières de l’assistance, avant de prendre leur tour à la chaire et y prétendre être emportés.
La famille royale n’a pas paru particulièrement envouté par le révérend Curry. Mais son sermon aura marqué l’événement.
Bernice King, la fille du célèbre chef de la lutte contre les inégalités raciales, a confié à la BBC sa surprise et sa joie d’entendre un pasteur noir citant un défenseur des droits civiques à l’occasion de l’entrée d’une Américaine métissée dans le bastion privilégié de la famille royale. Pour elle, ces symboles « changent le dialogue entre les gens dans notre monde actuel ».
En reportage dans les rues de Londres, je crois avoir senti ce changement. Dans le quartier prolétaire de l’East End, et conformément à l’image cosmopolite de la ville, un résident américain avait organisé une petite fête sur le trottoir, attirant typiquement des non-britanniques. L’Anglaise Janet Price m’y a expliqué que le sermon du pasteur avait « changé » la cérémonie, mais qu’elle l’avait trouvé bien. Avant d’ajouter avec un sourire malicieux : «A en juger par leur tête, je ne crois pas que ça ait beaucoup plu à la famille royale ».
A 69 ans, cette habitante de toujours de l’East-End, s’est souvenue de sa première fête de rue, à quatre ans, pour y célébrer en 1953 le couronnement d’Elizabeth II. Chaque mariage a ensuite été l’occasion de se retrouver dehors en famille et avec les voisins.
Même un « militant Républicain » convaincu, comme le maire John Biggs, a trouvé comme vertu au mariage royal d’aider une population toujours plus multiculturelle à se sentir britannique. « L’East-End est un creuset et je crois que nous réussissons pas mal à y mélanger les gens », m’a t’il dit.
Beaucoup d’interlocuteurs m’ont confirmé qu’ils considéraient ce mariage comme une occasion bienvenue de se réunir alors que le pays est secoué par le Brexit et les divisions politiques.
Même des Londoniens de tendance républicaine ont participé aux réjouissances, mais quasiment aucun de mes amis. Sans parler de ma sœur, cette abolitionniste de la monarchie, qui a préféré passer le moment chez son coiffeur.
A Hackney, un quartier anciennement décati et maintenant à la mode, un trio d’Européens a célébré l’évènement avec un vin pétillant sur le trottoir, juste devant la pâtisserie de Claire Ptak, qui a confectionné le gâteau du mariage princier. « Aujourd’hui nous sommes royalistes, pas de doute, mais demain nous ne le serons plus », m’a déclaré Gitta Gschwendtner, 46 ans, une Allemande établie de longue date à Londres.
Helen, ma femme, était tout aussi enthousiasmée par ce qu’elle a qualifié de conte de fées moderne, avec je le crains une pointe de fierté nationale. Elle a émigrée de Corée du sud pour les Etats-Unis quand elle était enfant. C’est une patriote jusqu’au bout des ongles, d’une façon dont les Américains, établis ou migrants, n’ont souvent pas conscience.
En Angleterre, l’histoire souillée des conquêtes coloniales et un goût prononcé pour l’autodérision sert de barrière au chauvinisme. Les mariages royaux, et le vote pour le Brexit, sont un autre moyen d’exprimer sa fierté nationale.
Pour ma part, j’ai eu l’impression de participer personnellement à l’évènement. Quand le soleil s’est couché sur la cérémonie, et que notre couverture en a été terminée, j’ai finalement pu admettre que, oui : j’aime bien Meghan et Harry.