Mais où est la banquise?
Ile du Roi-George, Antarctique -- « Mais où est la banquise ? » est sans doute la question que l’on m’a le plus posée à la vue de mes images de l’Antarctique. C’est aussi la première qui me soit venue à l’esprit en posant le pied sur l’île du Roi-George, à 120 km de l’extrême nord-est de la péninsule Antarctique. Car ici, le continent blanc ne porte pas très bien son nom. La plus grande île de l’archipel des Shetlands du Sud n’est que partiellement recouverte de glace, ce qui en fait un lieu privilégié pour l’installation de stations de recherche et le terrain de jeu de scientifiques du monde entier.
Tous les étés australs, plusieurs dizaines d’entre eux s’établissent dans la base chilienne Julio Escudero. C’est à leur invitation que je m’y rends, seule journaliste de l’AFP mais accompagnée de quelques confrères d’autres médias.
Arrivés le 30 janvier au matin à Punta Arenas, au sud de la Patagonie, nous avons rendez-vous l’après-midi même pour un briefing à l’Institut national de l’Antarctique chilien.
Car l’Antarctique n’est pas un territoire comme les autres et les visiteurs y sont soumis à des règles strictes : interdiction de jeter quoi que ce soit dans la nature, de ramasser la moindre plante ou caillou sans autorisation officielle, de s’approcher des animaux à moins de trois mètres et, si ce sont eux qui s’approchent, interdiction formelle de les toucher.
Le grand départ est prévu le lendemain. Mais à quelle heure ? Mystère. Le décollage sera annoncé au dernier moment, en fonction des conditions climatiques, particulièrement imprévisibles dans cette région du globe. Nous avons donc pour consigne de ne pas nous éloigner de notre téléphone et de nous tenir prêts à partir à tout moment – y compris au milieu de la nuit.
Finalement, le départ a lieu le lendemain en début d’après-midi, dans un petit avion d’une compagnie aérienne spécialisée. Après deux heures et demie de vol, l’île parsemée de taches blanches apparaît enfin. Nous atterrissons sur une piste de graviers, entourée de collines terreuses. Au loin, un glacier se détache, fantomatique.
Avant de sortir de l’appareil on enfile précipitamment les combinaisons, parkas et bonnets prêtés par l’institut. Dehors, le froid est saisissant mais, finalement, supportable. Entre 0 et -5 degrés Celsius. Nous nous mettons en marche pour rejoindre la base. Quelques véhicules aident à transporter valises et matériel, mais nous ferons le chemin à pied, en 20 minutes. La route qui relie l’aérodrome au secteur des bases est l’unique voie carrossable, les autres déplacements se font à pied ou en bateau.
L’île du Roi-George abrite des bases d’une dizaine de nationalités différentes qui cohabitent dans une belle harmonie, avec une allure de petit village. Les installations chiliennes comptent une infirmerie, un gymnase, un bureau de poste, et même une banque.
« Bienvenue en Chine », m’indique mon téléphone portable, quelques pas en direction de la base chinoise m’ayant connectée à leur antenne téléphonique. Quelques pas en arrière, et me revoilà au Chili.
Les Russes, installés quelques mètres plus loin, ont leur propre église orthodoxe, une petite chapelle en bois surplombant la baie, dont les parois intérieures sont couvertes de dorures, et qui compte même un prêtre.
En été, les températures sur l’île avoisinent zéro degrés mais avec le vent la température ressentie peut être bien plus basse, en particulier lors des traversées en bateau. La règle, nous explique-t-on, est celle des trois couches : une première couche de vêtements près du corps, une seconde en polaire, et enfin pantalons et parkas imperméables et coupe-vent.
Dans la base, la température est bien plus clémente et l’ambiance celle d’un joyeux camp de vacances, le travail en plus. Les scientifiques s’y installent entre un et trois mois, suivant les besoins de leurs recherches. Leurs journées sont rythmées par les sorties sur le terrain et les repas servis à heure fixe. Pour le reste, les amateurs de sucreries ou de cigarettes ont intérêt à venir avec des réserves car, comme le précisait bien le document reçu avant l’expédition, « il n’y a pas de magasins en Antarctique ! ». L’une de mes voisines de dortoir l’a bien compris, sa valise déborde de victuailles.
L’Antarctique est le seul continent à n’avoir jamais eu de population indigène et à ne compter aucun habitant permanent. La sensation de poser le pied sur ces terres presque vierges est d’abord celle d’un immense privilège. Ici, l’homme est un intrus et les animaux vous le font savoir.
Entre les inquiétants « skuas », de gros oiseaux bruns qui n’hésitent pas à fondre sur le visiteur imprudent, et les éléphants de mer et otaries qui grognent dans les rochers, il est recommandé de garder ses distances et de respecter son statut d’invité. Les seuls qui ne semblent pas trop perturbés par notre présence, ce sont les manchots, que l’on croise à toute heure sur la plage et qui se laissent filmer sans difficulté.
Un jour, nous embarquons avec une chercheuse qui part faire des prélèvements sur la petite île d’Adley, où se trouve une colonie de manchots papous. Plusieurs centaines d’oiseaux s’y ébrouent sur un flanc de colline dans un concert de cris et une forte odeur de poisson. Me souvenant des consignes, je pose mon trépied à une distance respectable et commence à filmer.
Mais les manchots sont curieux, et particulièrement les jeunes, dont le plumage est encore couvert de duvet. L’un d’eux s’approche en caquetant, visiblement fasciné par la caméra et sa bonnette de micro bleu vif qu’il essaie de picorer. Je recule, mais mon nouveau petit assistant ne veut plus me lâcher. C’est finalement sa mère qui me « sauve » de la situation en appelant sa progéniture.
A l’approche du départ, la même inconnue surgit qu’à l’aller : pourrons-nous repartir, et surtout quand ?
Finalement le retour n’est retardé que d’une journée en raison du mauvais temps. J’ai eu de la chance : à en juger par la quantité d’anecdotes qu’on me raconte, il est fréquent de rester coincé plus d’une semaine.
Un jour, peut-être, irai-je plus loin, plus au sud encore. Pour trouver le continent blanc.