« Team USA », version Polaroid
LOS ANGELES (Etats-Unis), 23 mars 2016 – Tous les quatre ans, quelques mois avant les jeux Olympiques, se déroule un rituel quasiment liturgique : la séance de pose des membres de l’équipe des Etats-Unis pour les médias. Un événement au cours duquel la convention tacite exige des portraits de sportifs bombant le torse avec un sourire impeccable, sur fond de bannière étoilée.
En 2012, mon collègue Joe Klamar, un gourou de la photo décalée, avait un peu malgré lui défrayé la chronique avec une série de portraits anticonformistes de la « Team USA ». Quatre ans plus tard, la question se pose à nouveau: comment couvrir de façon originale cette grand-messe patriotico-sportive guindée au cours de laquelle tout le monde fait exactement les mêmes photos? Nous pensons d’abord à nous servir d’Instagram. Puis j’ai une idée: utiliser un Polaroid.
Un Polaroid ? Pour les jeunes générations, autant dire un fossile. Le seul appareil pré-numérique qui, grâce à un savant système de négatifs à trois couches, permettait de visualiser une photo pratiquement tout de suite après l’avoir prise. Les derniers ont été fabriqués en 2007. Dans la préhistoire, on s’en servait souvent en photo de studio pour vérifier rapidement la lumière avant de prendre des images avec des appareils argentiques classiques. Là je m’apprête à faire exactement l’inverse : me servir d’un appareil numérique ultramoderne pour mesurer la lumière avant de shooter avec mon vieux Polaroid !
Pour l’occasion, je loue un appareil professionnel, un 600-SE à objectif interchangeable qui doit dater des années 1970 ou 1980. Deuxième étape: les films. Depuis que Fujifilm, la dernière entreprise qui fabriquait encore les fameuses pellicules « Film Pack 100 », a annoncé il y a quelques semaines qu’elle arrêtait sa production, les prix se sont envolés: sur eBay, une boîte de films pour Polaroïd se vend désormais 29 dollars contre 8 dollars quelques jours plus tôt. En fouillant dans mes tiroirs, je retrouve une boîte de dix films d’une pose. Je décide d’acheter cinq autres boîtes. Ce qui veut dire que je dispose d’un total de soixante poses pour effectuer mes réglages puis photographier l’ensemble de l’équipe olympique américaine…
Ce mercredi 9 mars, je me présente donc au Beverly Hilton avec mon Polaroid et quelques autres appareils sous le bras. La séance de pose se déroule dans une immense salle de bal de l’hôtel de luxe, dans laquelle sont installés sept ou huit studios photo provisoires d’environ trois mètres sur trois. Comme de coutume, les sportifs en tenue vont de studio en studio, enchaînant les séances de pose à un rythme infernal. C’est vraiment de l’abattage.
Quand ils arrivent dans mon studio et qu’ils aperçoivent mon appareil antédiluvien, ils sont stupéfaits. « What’s that ? » s’exclament-ils, incrédules. Je leur explique ma démarche: prendre d’abord un cliché au Polaroid, puis des portraits numériques classiques, et pour finir leur faire signer la photo instantanée à l’aide d’un feutre doré, comme me l’a suggéré mon rédacteur en chef Mladen Antonov. Tous trouvent l’idée géniale. Ils sont ravis de s’amuser un peu au milieu de leur interminable corvée photographique. Comme je ne suis pas de très grande taille, je prends mes photos montée sur un escabeau, et cela les amuse encore plus. Tout de suite l’atmosphère se détend.
Au départ, je n’avais pas l’intention de me servir d’un drapeau comme toile de fond. Tout le monde le fait, cela n’a pas la moindre originalité. Mais pour les clients américains de l’AFP, la bannière étoilée, c’est important. Et les athlètes eux-mêmes me disent qu’ils ne souhaitent pas poser sans leurs couleurs nationales. Cela les met en confiance. Les Américains ont un rapport au drapeau très fort, un peu difficile à comprendre pour un esprit européen. Donc va pour le drapeau.
Quand un athlète se présente dans mon studio, je commence par la photo au Polaroid. Puis j’enchaîne sur les séries de portraits classiques au reflex numérique. Pendant ce temps, une amie qui a accepté de m’assister ce jour-là s’occupe de développer le film Polaroid, ce qui prend environ deux minutes. A la fin de la séance, je peux donc présenter la photo à l’athlète, qui me la signe avec le feutre doré avant de s’en aller vers la séance de pose suivante.
Ce n’est pas évident de travailler au Polaroid. L’ouverture n’est pas très grande, ce qui donne des photos beaucoup plus sombres qu’avec un appareil numérique. Il s’agit d’un objectif à verre dépoli, sur lequel la mise au point – manuelle, forcément – n’est pas des plus rapides ni des plus faciles à effectuer. C’est d’ailleurs ça le plus compliqué: faire la mise au point sur des sportifs qui, habitués aux autofocus ultrarapides des temps modernes, n’arrêtent pas de bouger sans se rendre compte que je dois tout recommencer à chaque fois! On est vraiment dans la photo à l’ancienne, dans des notions que tout le monde a complètement perdues à l’époque du numérique et des selfies. A quoi s’ajoutent quelques loupés: sur mon vieil appareil, la synchronisation flash ne fonctionne pas toujours. Parfois, deux photos sortent en même temps. Je regarde avec angoisse ma réserve de films se tarir…
On a toujours des surprises avec les photos Polaroid. Sur certaines, on voit encore des traces d’émulsion. Le résultat est sympa, mais comment le présenter aux clients sur le site de l’AFP? J’essaye d’abord de scanner purement et simplement les images, mais ce n’est pas convaincant. Il faut un peu de profondeur de champ. Et c’est ainsi que je me retrouve à monter un mini-studio à l’AFP pour prendre en photo mes photos prises en studio !
Je l’avoue : j’ai quelques regrets. Je me suis concentrée sur les stars de l’équipe américaine. J’aurais aimé aussi photographier les figures moins connues, les joueurs de water-polo aux têtes pas possibles, ou les cavalières qui posent comme des duchesses. Mais bon, avec soixante poses, dont cinq utilisées uniquement pour régler la lumière, il fallait faire des choix…
Valérie Macon est une photographe de l’AFP basée à Los Angeles. Suivez-la sur Instagram et visitez son site personnel. Cet article a été écrit avec Roland de Courson à Paris.