Quelle mouche a piqué Joe Klamar ?
PARIS, 5 juillet 2012 - A-t-il complètement raté son coup ? A-t-il commis un attentat contre la grandeur du sport olympique américain ? Etait-il malade ce jour-là ? Ou à l’inverse : est-il un génie ?
Depuis des semaines, les internautes américains se déchaînent sur la toile à propos du photographe de l’AFP Joe Klamar, auteur en mai d’une série de portraits parfois décalés des membres de l’équipe des Etats-Unis aux jeux Olympiques de Londres. Alors que les conventions du genre exigent des portraits épiques d’athlètes bombant le torse devant la bannière étoilée, Joe a joué bizarrement avec les ombres, a fait poser les sportifs avec des volants de badminton sur la tête ou faisant le pitre de toutes sortes de façons. Résultat : les sujets se sont pris au jeu, les photos de Joe Klamar ont fait un tabac dans les médias. Elles s’échangent de façon compulsive sur internet et ont généré des centaines de commentaires furibards, affligés, moqueurs ou admiratifs.
Alors, quelle mouche a piqué Joe Klamar ?
La grand-messe a lieu tous les quatre ans. Les principaux médias sont convoqués dans un hôtel de luxe pour photographier les sportifs sélectionnés pour représenter les Etats-Unis aux prochains jeux Olympiques. En mai dernier, c’est Joe Klamar, un vétéran de la photo sportive de nationalités slovaque et canadienne et basé à Los Angeles, qui est désigné par l’AFP pour couvrir le happening, organisé en grande pompe à l’hôtel Hilton de Dallas.
Le problème, c’est que l’AFP est invitée pour la première fois à cet événement dont elle n’a aucune expérience. Joe Klamar en ignore les codes. Il arrive sans idée préconçue.
« Je pensais que j’allais photographier des athlètes sur une scène, ou bien pendant une conférence de presse », raconte le photographe. « Mais quand je suis arrivé le matin, tous mes collègues avaient déjà monté leurs mini-studios avec des éclairages professionnels, des toiles de fond, des accessoiristes... Moi, personne ne m’avait dit qu’il y aurait la possibilité de mettre en place un studio. C’était une situation très embarrassante ».
La séance de pose est organisée comme une machine : les athlètes vont de studio en studio où le temps de pose accordé à chaque photographe est réduit à quelques minutes. Seul avec ses deux appareils, ses trois objectifs, son flash et son minuscule ordinateur portable, Joe Klamar doit improviser une solution.
« Un attaché de presse de l’équipe américaine m’a aidé à résoudre mon problème de dernière minute en demandant à la ronde si quelqu’un pouvait me prêter son studio le temps de prendre quelques photos de chaque athlète, de façon à ce que je ne sois pas venu pour rien ». Un photographe, que Joe Klamar ne souhaite pas identifier pour ne pas le mêler à la controverse, accepte finalement de l’accueillir dans son installation.
« J’ai fait de mon mieux pour varier les plus possible les angles, les poses et l’éclairage au cours de ces séances photo d’une ou deux minutes », poursuit Joe. « Malgré le peu de temps dont nous disposions, ils étaient tout à fait disposés à adopter le concept que je leurs proposais ».
Une fois publiées, les photos de Joe Klamar font un carton dans les médias américains. Dans le diaporama des athlètes que publie CBS News sur son site internet, sur 34 photos, 27 sont signées Joe Klamar.
Mais les images génèrent aussi une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux et les blogs. Beaucoup d’internautes expriment des doutes sur la qualité des photos. Slate titre: «Les photos de Michael Phelps les plus laides du monde».
« Ce type n’est pas un photographe de presse. C’est quelqu’un qui a prétendu qu’il en était un pour avoir une accréditation », peste un internaute sur un forum.
Un autre s’emporte : « Ils ont passé des années à s’entraîner, ils ont consacré peut-être leur vie entière au sport. D’innombrables heures de transpiration, de courage et d’abnégation. La photo est censée les représenter dans toute leur gloire, leur détermination, illustrer le fait qu’ils ne font même pas partie des 1%, mais des 0,01% de l’élite sportive mondiale. Et pourtant mon photographe local aurait pris de meilleures images que celles-là ».
D’autres accusent Joe Klamar d’avoir volontairement rabaissé les athlètes américains : « on leur a demandé de tirer la langue, de loucher, de sourire comme des pauvres types », se plaint quelqu’un.
D’autres encore, comme le site internet de North Dallas Gazette (qui confond visiblement Joe Klamar avec le photographe officiel du Comité olympique américain) soulèvent la question : et si, au lieu d’être un amateur et un pauvre type, Klamar était un génie ? En Grande-Bretagne, le Daily Mail s'interroge également.
« Joe Klamar, mon héros », s’enthousiasme le photographe Kenneth Jarecke sur son blog. « La séance n’a pas eu le résultat prévu, mais uniquement parce que nous avons une idée stylisée de ce à quoi ce type de portrait devrait ressembler, là où tout le monde, le chargé de communication, le photographe, l’éditeur, le directeur de la publication et les annonceurs partagent un but : emballer proprement la marchandise ».
Jareck poursuit, à propos de Klamar : « les portraits qu’il a pris, riches de l’expérience d’un photojournaliste, sont plus véridiques, plus pénétrants et ont plus de mérite artistique que ceux que quiconque a été capable de prendre ce jour-là ».
« Nous sommes maintenant dans un millénaire totalement nouveau», approuve un internaute. « Et nous n'avons plus à accepter le concept d'une beauté retouchée avec Photoshop».
Et qu’en dit l’intéressé ?
« J’ai passé le plus clair de ma vie à prendre des photos de sportifs en action que je transformais en images abstraites ou en paysages, ou vice versa », explique le photographe de l’AFP. « C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’aborder cette série de portraits avec une approche libre. Et OUI, la principale raison à cela, c’est que je n’avais mis au point aucun concept à l’avance, que j’ai dû sauter à l’eau et nager. Mais ce n’était pas un handicap car dans notre métier, l’improvisation compte toujours pour au moins 50% ».
« Je travaille pour une agence de presse. Je n’étais pas en train de prendre des photos pour une pub de Nike », poursuit le photographe. « Dieu sait que je n’avais aucunement l’intention de prendre les athlètes sous leur mauvais jour. Mon seul but, c’était de montrer qu’il s’agit de gens intéressants, qui méritent leur gloire ».
Joe souligne qu’il a diffusé ce jour-là quelque 300 photos, dont beaucoup étaient parfaitement conventionnelles. De cette façon, « pour chaque athlète, un éditeur avait le choix entre les photos sérieuses, loufoques ou officielles », dit-il.
Joe Klamar, 47 ans, travaille à Los Angeles depuis décembre 2011. Il a auparavant été responsable de la couverture photographique de l’AFP en Europe centrale. Il est connu pour ses photos décalées, notamment dans le domaine de la boxe, qui lui ont déjà valu plusieurs prix.
« C’est précisément pour prendre ce genre de photo que Joe Klamar a été envoyé couvrir cet événement », affirme Mladen Antonov, responsable à l’AFP de la photo pour l’Amérique du Nord. « Nous l’avons choisi en raison de sa capacité à voir le monde avec d’autres yeux, de façon plus originale et moins conventionnelle. Après les séances de portraits, la plupart des photos que les quotidiens américains les plus respectés continuaient à utiliser dans leurs diaporamas sur leurs sites web étaient celles de Joe. Parce qu’elles sont bonnes et parce qu’elles sont différentes des habituels portraits convenus ».
Roland de Courson est l'éditeur du blog Making-of.