« Votez avec votre foi, il n’y a pas d’autre voie »
CHARLESTON (Etats-Unis), 1er mars 2016 – « Si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s'humilie, prie... », lanceTed Cruz, l'un des candidats à l'investiture républicaine pour devenir président des Etats-Unis. Dans la salle, ils sont des douzaines, peut-être même des centaines à finir, de mémoire, le verset 14 du chapitre 7 du Second Livre des Chroniques dans l'Ancien Testament: « ... et cherche ma face, et s'il se détourne de ses mauvaises voies, - je l'exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays ».
Bienvenue dans la Bible Belt! Dans cette « ceinture de la Bible », qui enserre un gros quart sud-est des Etats-Unis, le protestantisme rigoriste domine et la religion chrétienne est omniprésente dans tous les aspects de la vie quotidienne.
C'est une source permanente d'étonnement, y compris pour moi qui suis pourtant américain. Un Américain un peu atypique il est vrai. J'ai vécu vingt ans à l'étranger et je ne suis pas chrétien…
Un bureau de vote républicain devant l'Emanuel African Methodist Episcopal Church de Charleston, en Caroline du Sud, le 20 février 2016 (AFP / Jim Watson)
Pendant ce meeting à Anderson, entre l'appel à la prière et les « amen » qui ponctuent le message du candidat, dont le ton et la voix font naturellement penser à un prêche, j'ai bien plus l'impression d'être dans un lieu de culte un dimanche que dans une réunion politique.
Le poids décisif des électeurs évangéliques
Aux Etats-Unis, malgré la séparation officielle de l'Eglise et de l'Etat, politique et religion restent étroitement mêlées. Chaque billet vert porte la devise « In God we trust » (« Nous avons confiance en Dieu ») et tout discours officiel se termine immanquablement par un retentissant « God bless America! » (« Que Dieu bénisse l'Amérique! »). L'écrasante majorité des quarante-quatre présidents des Etats-Unis - dont tous ceux élus au cours des 150 dernières années - se sont déclarés chrétiens. Seuls quelques uns, notamment Abraham Lincoln, n'ont pas spécifié leurs croyances, et aucun ne s'est ouvertement déclaré athée ou agnostique.
La foi chrétienne joue un rôle extrêmement important dans la courser à la présidence. J'ai pu le constater en 2008, quand Barack Obama avait déclenché un tollé en déclarant que certains Américains « s'accrochent aux armes ou à la religion ». Puis en 2012 quand Mitt Romney, qui espérait devenir le premier président mormon des Etats-Unis, avait vu ses convictions religieuses mises en doute, principalement par les électeurs chrétiens évangéliques. Ces derniers jouent un rôle crucial dans la première phase des primaires pour l'investiture républicaine.
Lors d'un périple d'une semaine à travers la Caroline du Sud, je vois bon nombre de réunions politiques commencer par une prière. Presque trois électeurs républicains sur quatre dans cet Etat se présentent comme évangéliques. Ils n'hésitent pas à reconnaître que la foi d'un candidat joue un rôle important dans leur décision de le soutenir ou pas.
« Il est un homme de Dieu et ça c'est très important », me confie Chance Corbin, 21 ans, premier dans la queue de gens qui sont venus écouter Ted Cruz, le sénateur du Texas, lors d'un meeting à Charleston.
Trump se trompe d'Épître
Cruz a lancé sa campagne pour tenter de décrocher l'investiture dans le grand amphithéâtre de Liberty University. Ce n'est pas un hasard. Liberty s'autoproclame « plus grande université chrétienne du monde » et se veut le fer de lance d'un évangélisme pur et dur, auquel elle forme une jeune élite militante.
Le passage - obligé - de Donald Trump dans ce temple du conservatisme protestant ne s'était pas très bien passé. Si le flamboyant milliardaire domine la course à l'investiture pour le moment, il semble moins bien maîtriser les Écritures, bien qu'il affirme que la Bible est son livre préféré. Il s'est emmêlé les pinceaux en parlant d' « Épître aux Corinthiens deux » au lieu de « Seconde Épître aux Corinthiens », et les électeurs n'ont pas tous pardonné.
« Quand il a parlé de 'Corinthiens 2', j'ai évidemment tout de suite compris qu'il n'avait jamais lu la Bible ou même seulement jeté un coup d'œil », fulmine Chance Corbin.
« C'est ma foi qui influe le plus sur ma vie », lance le jeune sénateur de Floride, Marco Rubio, à une foule qui acquiesce bruyamment.
Le cas de Rubio est un peu particulier: il est catholique, mais il a compris que ce qui compte en Caroline du Sud, c'est de porter haut et fort sa foi chrétienne plus que la dénomination à laquelle on appartient.
Omniprésence de la religion
« Nos valeurs judéo-chrétiennes nous demandent de nous entraider. Je suis convaincu que ceux qui ignorent ce précepte ne comprennent rien à ce pays », lance-t-il lors d'un meeting. Et le message porte. « Cela pourrait bien changer les choses », reconnaît Susan Brant, une évangélique qui s'est jointe sans l'ombre d'une hésitation à l'ovation debout, venue saluer la déclaration du candidat.
Elle était persuadée de voter pour Cruz, comme elle un évangélique, mais après la profession de foi -littéralement - de Rubio, elle a changé d'avis.
Cette omniprésence de la religion chrétienne fait tiquer bon nombre de mes collègues de la presse internationale, en particulier européenne, peu habitués à des démonstrations aussi publiques des convictions religieuses. Et ces collègues ont été gâtés au-delà de tout ce qu'ils pouvaient espérer.
Des Bibles et des armes
Je suis au balcon d'un théâtre de l'Université de Charleston, juste avant la primaire, quand apparaît Phil Robertson, l'improbable patriarche d'une famille dont les appeaux à canard lui ont rapporté des millions de dollars et star d'une émission de téléréalité. Longue barbe, vêtements camouflage-étang-automnal et Bible sous le bras, Robertson est venu apporter son soutien à Ted Cruz.
« Je suis pour Cruz, parce que...vous voyez ça dans ma main ? », lance le fervent chrétien, à la ville comme à l'écran, et de poursuivre: « Des Bibles et des armes nous ont menés jusque-là et des Bibles et des armes nous permettront d'y rester. Et cet homme, il a les deux! ». La salle applaudit à tout rompre et pour un bon moment.
Le pape s'en mêle
Moi-même un peu interloqué par le spectacle, je jette un œil vers certains de mes collègues. Leurs yeux écarquillés trahissent leur étonnement, pour dire le moins.
« Votez avec votre foi », ordonne Robertson, « il n'y a pas d'autre voie ».
Mais ma semaine en Caroline du Sud aurait été somme toute assez banale pour un reporter habitué à couvrir les campagnes électorales américaines si, pour ajouter au surréalisme religieux ambiant, il n'y avait la querelle entre Donald Trump et... le pape François.
De retour du Mexique, le souverain pontife a mis en doute la foi du magnat de l’immobilier et des casinos, lequel a promis, s’il emporte la présidentielle, de faire payer aux Mexicains « le très beau mur » qu’il entend faire construire à la frontière pour empêcher les migrants illégaux d’entrer aux Etats-Unis. « Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n'est pas chrétienne », a déclaré le pape, tout en se demandant si c'était bien ce qu'avait proposé Donald Trump.
Trump étant Trump, même face au guide spirituel de plus d'un milliard de fidèles, il contre-attaque. « Qu'un leader religieux mette en doute la foi d'une personne est honteux », réplique d’abord le milliardaire dans un communiqué qu'il lit ensuite dans un meeting. L'affaire a pris assez d'ampleur pour que nous abandonnions à la hâte la couverture initialement prévue pour retrouver la campagne de Trump.
Mais l'homme d'affaires a vite fait de mettre de l'eau dans son vin et pardonne, en affirmant que le pape est « un type formidable ».
Michael Mathes est un journaliste de l’AFP basé à Washington. Suivez-le sur Twitter (@MichaelMathes). Cet article a été traduit de l’anglais par Christophe Vogt à Washington (lire la version originale).