Les Oscars du monde canin
Un dogue de Bordeaux patiente avant les épreuves du Westminster Dog Show à New York, le 16 février 2016 (AFP / Timothy A. Clary)
NEW YORK, 2 mars 2016 – Le Westminster Dog Show, c’est l’un des moments de l’année que je préfère. Un événement gigantesque. Les Oscars du monde canin. Le tapis rouge du toutou.
Quand j’ai commencé à travailler pour l’AFP en 1990, on ne couvrait jamais le Dog Show. Comme cette exposition canine attirait toujours de façon incroyable l’attention dans la ville, j’ai proposé un reportage. Depuis, j’y retourne tous les ans et c’est devenu un des musts de l’AFP.
Pourquoi est-ce que j’aime autant cette compétition ? Je crois que la principale raison c’est qu’avant, j’avais un chien. Un West Highland terrier, qui est d’ailleurs une des races qui remporte toujours le plus de succès au concours. Mais à New York, comme dans beaucoup de grandes villes, c’est compliqué d’avoir un chien… Alors, couvrir le show, c’est ma façon à moi de rester en contact avec mon côté cynophile. Mais même sans cela, le Westminster Dog Show, c’est vraiment super.
Il s’agit du deuxième « événement sportif » le plus ancien des États-Unis. Seul le Derby du Kentucky est plus vieux, et seulement d’une année. Aucune des deux compétitions n’a jamais été interrompue, même pendant les deux guerres mondiales. Le Dog Show, comme il aime à le rappeler, a été inventé avant l’ampoule électrique, avant l’automobile, avant le basket-ball et avant la fermeture éclair.
C’est aussi un truc typiquement newyorkais. Tout a commencé dans un bar de Manhattan dans les années 1870. Une bande de types avaient l’habitude de s’y réunir pour raconter leurs exploits de chasse. Ils chassaient avec des chiens. Et de fil en aiguille ils ont décidé d’organiser un spectacle avec leurs fidèles compagnons.
Comme ils n’arrivaient pas à s’entendre pour trouver un nom à leur manifestation, ils ont fini par tout simplement la baptiser du nom du bar où ils avaient l’habitude de se réunir, celui de l’Hôtel Westminster, qui n’existe plus à l’heure actuelle. Le premier concours s’est déroulé en 1877 à Gilmore’s Garden, le prédécesseur de l’actuel Madison Square Garden, sous les auspices du Westminster Kennel Club. Un total de 1.201 cabots y ont participé.
C’est une affaire sérieuse. Tous les ans, l’Empire State Building s’illumine en mauve et jaune, les couleurs du show, pour célébrer l’événement. Plusieurs vainqueurs de précédentes éditions se sont vus décerner l’honneur de sonner la cloche du New York Stock Exchange à Wall Street (je ne plaisante pas), ont participé à des spectacles à Broadway et ont été invités à se bâfrer de hamburgers spécialement servis pour eux dans une assiette chez Sardi’s, le mythique restaurant du Theater District.
De nos jours, le concours se déroule sur deux jours en février. Environ 2.800 chiens y prennent part. Le concours de beauté – au cours duquel un jury évalue chaque chien par rapport au standard idéal de sa race – a lieu pendant la journée au Piers 92/94 à Midtown. Le concours par groupes se déroule le soir au Madison Square Garden devant une foule compacte. Puis, le mardi soir, le titre de « Best in show », le plus convoité, vient couronner le meilleur chien du concours.
Pendant les deux matinées, le show ressemble à un gigantesque salon de beauté. Oui, je ne plaisante pas : un gigantesque salon de beauté pour chiens. Les concurrents commencent par prendre un bain, puis ils se font tondre, subissent un brushing et une manucure-pédicure. Les chiens de couleur blanche se font poudrer. Les terriers se font légèrement redresser le poil et sont maintenus ainsi jusqu’au tout dernier moment avant de passer devant le jury. C’est une vraie journée au spa.
Comme je suis un vieil habitué, je suis un des rares photographes à disposer de ce qu’on appelle une « accréditation prioritaire » qui me permet d’accéder pratiquement partout. Alors je passe mon temps à me balader à travers le salon et à prendre des images.
Ceux qui s’occupent des chiens sont extrêmement impliqués dans ce qu’ils font. Ils prennent leur travail particulièrement au sérieux et sont très à cheval sur ce que vous pouvez et ne pouvez pas toucher. Il faut toujours faire attention de ne pas marcher sur les pieds d'un molosse. En général, on peut caresser les chiens au début, mais dès qu’ils commencent à se faire faire une beauté ce n’est plus possible, car il est hors de question de les décoiffer.
En général, je sais m’y prendre pour ne pas déranger. Mais une fois, il y avait ce chien installé sur une table, prêt à se faire pomponner, avec une grande boîte de talc pour bébé posée juste devant son museau. L’animal a choisi le moment où sa toiletteuse avait le dos tourné pour renverser la boîte. Et moi je me suis pris l’engueulade du siècle. J’ai eu beau lui jurer que ce n’était pas moi qui avais fait le coup, que c’était le cabot, cette satanée mémère à chien-chien n’a rien voulu entendre et a continué à me hurler dessus.
Je ne m’ennuie jamais à ce show. Je sais exactement quels chiens feront les bonnes images. Et il y a aussi toutes les interactions entre les toiletteurs et leurs mascottes. Ces toiletteurs sont soit les propriétaires des chiens en personne, soit des professionnels qui passent littéralement toutes leurs journées à s'occuper de l’animal.
C’est souvent assez touchant d’observer les rapports entre les chiens et leurs maîtres, et tout particulièrement pendant les épreuves du concours. Ils semblent tellement connectés l’un à l’autre… J’ai déjà vu des chiens sauter en l’air jusque dans les bras de leur maître pour célébrer une victoire, exactement à la façon des joueurs de basket qui sautent dans les bras de leurs coéquipiers quand ils marquent un panier.
Il y a aussi toute cette sous-culture canine. Les amateurs de chiens, les toiletteurs de chiens, les photographes canins qui ne photographient jamais rien d’autre que des expositions canines... Ils connaissent chaque chien par son nom et savent parfaitement quelle est leur lignée. Ils sont un peu l’équivalent de ces gens qui passent leur vie à traîner sur les champs de courses et qui savent tout sur les chevaux. Sauf que là ce ne sont pas des chevaux, mais des chiens.
Et puis il y a le jargon canin, qui donne lieu à des moments assez comiques. Rappelons-nous que l’univers canin est composé de chiens et de chiennes. Et que chienne, en anglais, se dit bitch, ce qui en argot est aussi un mot courant pour dire « garce » ou « salope ». On a toujours un instant de perplexité quand on entend les haut-parleurs annoncer : « les chiens à gauche, les bitches à droite », ou encore quand on surprend une toiletteuse en train de dire à sa collègue : « quand tu auras fini de shampouiner ton chien, il faudra que tu viennes voir ma nouvelle bitch ».
Timothy A. Clary est un photographe de l’AFP basé à New York. Suivez-le sur Instagram. Cet article a été écrit avec Yana Dlugy et traduit de l’anglais par Roland de Courson à Paris (lire la version originale).