(AFP / Adrian Dennis)

Fans de rugby au hasard de la foule

LONDRES, 12 octobre 2015 – Un match de Coupe du monde de rugby ne dure que quatre-vingts minutes, mais pour les photographes qui le couvrent le temps de travail est beaucoup plus long. Il s’agit d’éviter de piquer une crise de nerfs en se retrouvant coincé dans les embouteillages à quelques minutes de la rencontre en même temps le gros des spectateurs. Il n’est donc pas inhabituel d’arriver au stade cinq bonnes  heures avant le coup d’envoi. Nous inspectons rapidement nos positions, testons notre matériel et moyens de transmission, et taillons une bavette avec les collègues que nous n’avons pas vus depuis des mois.

Quand l’heure du coup d’envoi approche, et si tout a l’air de bien fonctionner côté technique, je prends un moment pour me mélanger à la foule. Parfois j’emporte mes « gros » appareils pour être bien identifié, mais la plupart du temps je n’emporte que mon iPhone 5c. Si le soleil brille – ce qui par une chance assez incroyable a été le cas depuis le début du tournoi – je choisis un endroit bien éclairé et avec un arrière-plan « propre », je regarde passer le flux des supporters jusqu’à ce qu’il y en ait un qui attire mon regard. Ceux qui ont le visage peinturluré sont des proies faciles, mais en règle générale je recherche tous ceux qui se détachent du lot par leur allure originale.

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Une fois que j’ai repéré ma cible, je me dirige droit sur elle et je lui demande si je peux la prendre en photo. En précisant tout de suite : « c’est seulement avec mon téléphone ». Personne ne refuse. De nos jours, tout le monde a l’habitude de poser pour un portrait rapide. J’explique alors mon « projet », à savoir la collection de portraits de supporters de rugby que je suis en train de constituer.

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Je cadre vite fait, je presse à quelques reprises sur le bouton, et voilà, j’ai le matériel suffisant pour travailler. Contrairement aux occasions où je photographie avec mes appareils professionnels Canon, je demande à mon sujet de m’aider à choisir la meilleure image. En général, je suis assez persuasif quand j’aime une photo, mais prendre la décision en concertation avec le supporter est une bonne façon de l’impliquer dans le projet. J’utilise l’application Hipstamatic, qui imite à la perfection les objectifs des anciens appareils photos et les différents types de films argentiques. En quelques minutes, j’ai une photo prête à être tweetée.

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Je ne me fixe aucun objectif quantitatif, mais quand je suis de bonne humeur et quand les supporters imaginatifs sont au rendez-vous, je peux faire huit à dix photos assez rapidement. Il y a aussi des jours où ça ne marche pas du tout. Il fait trop sombre, ou bien je ne tombe sur personne d’intéressant. On ne peut pas forcer le destin, mais si j’arrive à publier quatre ou cinq images valables un jour de match, je m’estime satisfait.

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Soyons honnête, c’est un projet très facile à réaliser. Je bavarde avec des supporters qui viennent de tous les endroits possibles, et je m’amuse beaucoup.

L’application Hipstamatic est simple à utiliser et me rappelle le Rolleiflex que j’utilisais il y a bien longtemps. Le légendaire photographe britannique David Bailey prenait d’admirables portraits dans les années 1960 avec ce type d’appareil. Ses photos montraient des gens posant contre un arrière-plan entièrement blanc, sans aucune diversion pour l’œil. Son portrait de l’acteur Michael Caine est mon préféré.

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Je suis particulièrement fier du portrait du jeune supporter anglais ci-dessus. Sa chevelure inhabituelle et son visage peint ont tout de suite attiré mon attention. J’aime la simplicité de cette image, l’arrière-plan noir, et l’expression du gamin.

J’ai réalisé cette expérience pour la première fois pendant la Coupe du monde de football au Brésil, l’année dernière. Les fans de rugby sont des boute-en-train qui se mettent en quatre pour se maquiller ou se déguiser de façon complètement dingue. Jusqu’à présent, tous les gens que j’ai rencontrés étaient agréables et marrants. Couvrir le Mondial de rugby n’a rien d’une corvée.

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J’aime couvrir tous les sports, surtout les courses de moto et l’athlétisme. Prendre des portraits avec un iPhone est un défi d’un tout autre genre. Notre secteur est en train de changer à grande vitesse depuis dix ans, nos clients ne sont plus les mêmes qu’avant. J’aime explorer les « nouveaux » médias comme Twitter.

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Quand j’ai commencé ma carrière il y a vingt-cinq ans, j’utilisais un appareil argentique. Aujourd’hui je prends une photo et elle se retrouve dans le domaine public en quelques minutes. Je considère cela comme un extra par rapport à mon travail, qui est de couvrir le match pour les clients de l’agence. Si je peux faire en sorte que plus de gens connaissent le travail de l’AFP, alors tant mieux. On ne sait jamais où peut vous conduire un projet de ce type.

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Depuis l’arrivée du numérique il y a vingt ans, tout s’accélère dans l’univers de la photographie. De nos jours, presque tout le monde se balade avec un appareil photo dans la poche. Cela ne signifie pas que les photographes professionnels vont se retrouver au chômage. C’est la personne derrière l’appareil qui fait la photo. On peut prendre une bonne photo avec un téléphone comme on peut prendre une bonne photo avec un reflex professionnel d’avant-garde. Si vous êtes bon photographe, vous êtes bon photographe. Peu importe avec quoi vous prenez vos photos. Ce qui fait toute la différence entre le professionnel et l’amateur, c’est la fiabilité : quelles que soient les circonstances, il y a de fortes chances pour que nous revenions avec de bonnes photos. Nous comprenons l’art de la composition, nous « voyons » la lumière et nous savons à quel moment appuyer sur le déclencheur.

Adrian Dennis est un photographe de l’AFP basé à Londres. Suivez-le sur Twitter. Cet article a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit par Roland de Courson (lire la version originale en anglais).

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Adrian Dennis