Des soldats du RSP, auteurs du coup d'Etat au Burkina Faso, s'apprêtent à disperser un rassemblement du mouvement pro-démocratique Le Balai citoyen devant l'hôtel Liaco d'Ouagadougou, le 20 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Couvrir « le coup d’Etat le plus bête du monde »

OUAGADOUDOU, 8 octobre 2015 – « Burkina Faso: le président et le Premier ministre retenus par la garde présidentielle (sources sécuritaires) ». C'est avec cette dépêche du 16 septembre que commence, pour nous journalistes de l’AFP, la longue couverture d’un épisode que les Burkinabè finiront quelques jours plus tard par surnommer « le coup le plus bête du monde ».

Bête, certes, mais qui aura quand même fait onze morts et ébranlé une démocratie africaine naissante une dizaine de jours durant.

Plus tôt cet après-midi-là, j’ai reçu au bureau régional d’Abidjan un coup de fil de notre correspondant à Ouagadougou, Romaric Hollo Hien. Il raconte qu’apparemment, des soldats du redoutable Régiment de sécurité présidentielle (RSP) ont fait irruption en plein conseil des ministres et ont pris tout le monde en otage. Quelques jours auparavant, Romaric m’avait confié qu’il entendait « des bruits de bottes ». Il avait bien écouté…

Détesté par une grande partie de la population, le RSP est l’ancienne garde prétorienne du président Blaise Compaoré, renversé par un soulèvement populaire en octobre 2014 après vingt-sept ans de pouvoir. C’est une unité d’élite forte d’environ 1.300 hommes, une « armée dans l’armée » bien entraînée et équipée, que le gouvernement de transition du président Michel Kafando n’a pas osé dissoudre. A quelques jours des élections législatives et présidentielle prévues le 11 octobre, le RSP a apparemment décidé de reprendre les choses en main.

Le lendemain matin vers 7h30, un officier supérieur prononce un message à la télévision burkinabè. Il annonce que le général Gilbert Diendéré, un proche de Compaoré, est désormais à la tête du pays et d’un « Conseil national pour la démocratie » autoproclamé… Moins d'un an après s’être débarrassé de Compaoré, le Burkina est confronté à un coup d’Etat en bonne et due forme.

Il faut rallier Ouagadougou de toute urgence. L'aéroport de la capitale a été fermé par les putschistes, mais les frontières terrestres – bien qu’officiellement bouclées elles aussi – sont encore franchissables. Le 18 septembre vers 14 heures, j’entre au Burkina Faso par la route en compagnie du photographe Sia Kambou et de la vidéaste Emilie Iob. Ouagadougou est à 600 kilomètres de la frontière. Impossible d’y parvenir avant le couvre-feu, à 19 heures. Mais on peut sans problème atteindre Bobo Dioulasso, la deuxième ville du pays, qui n’est qu’à 200 kilomètres.

Notre premier contact avec la réalité du putsch se fait à Banfora, 70 kilomètres après la frontière ivoirienne. Dans ce village célèbre pour ses cascades et les dômes de Fabédougou, des formations rocheuses spectaculaires, nous tombons sur un « barrage citoyen » qui bloque chaque camion et voiture pendant quelques minutes avant de les laisser passer.

Un 'barrage citoyen' anti-coup d'Etat à Banfora, le 18 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

« Même si le RSP est loin, on veut leur montrer qu'il se passe quelque chose ici. On montre au RSP que le pays est contre eux. Ici, il n'y a pas de militaires, nous sommes l'armée civile ! » nous explique le chef du barrage, Youssouf Sirima. Certains de ses hommes sont armés de bâtons, et l’un d’eux brandit une aile de pare-chocs qui ressemble diablement à un cimeterre, mais l’ambiance reste bon enfant.

Nous arrivons à Bobo avant la tombée de la nuit. Devant un camp militaire, nous tombons sur la fin d'une manifestation de femmes. Elles brandissent des spatules en bois, demandent au RSP de quitter le pouvoir et aux militaires du camp d'intervenir. « Quand les femmes sortent avec les spatules, c'est que la situation est grave. Quand la femme sort la spatule, en général, elle obtient ce qu'elle veut », analyse un passant. Un autre plaisante: « On ne discute pas avec une femme qui a la spatule à la main! ». On sourit, mais le discours politique reprend vite le dessus: « le RSP doit partir et l'armée doit les déloger s'il le faut ».

Manifestants anti-coup d'Etat devant la base militaire Ouezzin Coulibaly à Bobo Dioulasso, le 18 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Nous demandons à rencontrer les officiers du camp pour connaître leur position. Nous sommes accueillis chaleureusement dans l’énorme enceinte, mais personne ne veut nous parler. La « grande muette » est embêtée d'avoir à prendre position dans cette affaire... Pendant tout le début de la crise, la haute hiérarchie militaire burkinabè observera d’ailleurs une neutralité bienveillante vis-à-vis des putschistes, et ce n’est que sous l’impulsion de la jeune génération que l’armée interviendra finalement pour rétablir la démocratie.

Sur la place de la très belle gare de Bobo Dioulasso, les manifestants ont monté un podium. Quelques centaines de personnes sont là. On crie, on vocifère contre le RSP. « On a fait tomber Blaise, ce n'est pas pour revenir en arrière », dit l’un des orateurs.

Manifestation anti-coup d'Etat à Bobo Dioulasso, le 18 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

La nuit tombée, je décide de voir si le couvre-feu, officiellement en vigueur depuis plus d’une heure, est appliqué. Beaucoup de « maquis » – comme on appelle les troquets en Afrique francophone – sont fermés, mais il y en a de nombreux ouverts. J'entre finalement dans le « Cabaret Pougouli », un bar miteux qui porte le nom d’une ethnie du Burkina. Il n’y a pas de table, seulement des bancs. A la carte ne figure qu’une seule boisson, le tchapalo, une bière de mil. Les murs bleuâtres et sales sont recouverts d'une fresque où apparait notamment le célèbre chanteur de reggae ivoirien Tiken Jah Fakoly.

On m’accueille d’abord avec méfiance. On me pose de nombreuses questions sur qui je suis, qu’est-ce que je fais là. Mais au bout d’un moment, l’atmosphère se réchauffe et je me retrouve à boire du tchapalo avec les autres clients. Un débat est lancé sur le RSP mais aussi sur le rôle néfaste, selon mes interlocuteurs, de la France et de la Côte d'Ivoire, soupçonnées de soutenir les putschistes. En tout cas, tout le monde condamne le coup d’Etat, et on se dit bien décidé à ne pas obéir au RSP. « Le RSP n'a pas le respect du peuple burkinabè », me dit un vieux. Ses propos sonnent bien, comme un air de rap, RSP-respect… Je me promets de les utiliser dans mon papier mais je ne les note pas, persuadé qu’ils resteront ancrés dans ma mémoire. Finalement, je ne me rappellerai de cette phrase qu’une fois rentré à Abidjan…

Manifestants anti-coup d'Etat devant la base militaire Ouezzin Coulibaly à Bobo Dioulasso, le 18 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Il n'y a pas d'éclairage public. Les rues ne sont illuminées que par les enseignes des cafés, et surtout par les téléviseurs allumés à l’intérieur, presque tous branchés sur la chaîne France 24. Les gens attendent bulletin après bulletin des nouvelles de leur pays.

Réseaux sociaux, SMS ou bouche à oreille, des dizaines de rumeurs affolantes circulent. « Le RSP a envoyé des troupes pour mater la révolte à Bobo ». « Des camions ont été vus sur la route ». « Le RSP a fait appel à des soldats togolais qui n'auront pas peur de tirer sur la foule puisque ce ne sont pas des compatriotes ». « Des dizaines de morts sont arrivés à l'hôpital »... J’essaye de vérifier quelques-uns de ces racontars par téléphone, mais j’y renonce vite. J’ai ma dépêche à écrire. Si le RSP arrive vraiment, je l’entendrai.

Un homme blessé par balle pendant les troubles attend d'être soigné à l'hôpital central d'Ouagadougou, le 18 septembre 2015 (AFP / Ahmed Ouoba)

Pendant ce temps à Ouagadougou, Romaric n'a hélas pas affaire à des fantômes, lui: le bilan des troubles passe de trois à six morts en soirée (au total, le bilan officiel à la fin du putsch sera de onze morts et 271 blessés). La situation dans la capitale est radicalement différente de ce qui se passe en province, où le RSP n'est pas déployé et où l'armée régulière ne fait rien.

Le 19 septembre, départ à l’aube. Nous savons que toutes les stations-service sont fermées à Ouagadougou mais, oh surprise, nous en trouvons une ouverte à Bobo Dioulasso. Pas besoin de toucher tout de suite au jerrican plein que nous avons amené de Côte d’Ivoire. Mais tous les obstacles ne sont pas levés pour autant : à la sortie de la ville, un nouveau « barrage citoyen » bloque la circulation.

J'essaie de négocier le passage en faisant état de ma qualité de journaliste. Convaincus par mes propos, des hommes commencent à ouvrir la voie, mais un des manifestants veut faire du zèle: « On a dit qu'on bloquait tout le monde. Tout le monde, c'est tout le monde ». Il refuse toute négociation, grisé par son petit pouvoir.

Manifestation anti-coup d'Etat à Ouagadougou, le 19 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Finalement, un ancien nous prend sous son aile et prononce un discours en moré, la langue des Mossis, l'ethnie majoritaire du Burkina. Apparemment, il explique à ses compatriotes qu'il faut que les journalistes couvrent les événements pour que le peuple burkinabé soit informé et que le coup soit mis en échec. Nous finissons par passer sous les vivats de la foule grisée. Un d'eux crie: « Ils montent au front !»

La route nationale est déserte et toute neuve, et nous avançons vite malgré les innombrables dos d’âne. Quelques heures et quelques barrages citoyens plus tard, nous voici à Ouagadougou.

Commandos à moto qui sèment la panique

La situation est plus préoccupante ici. Des jeunes tiennent des barricades confectionnées de bric et de broc, brûlent des pneus et paralysent la circulation. « L'économie ne doit pas fonctionner tant que Diendéré est au pouvoir ! » affirme l’un. En ce samedi, les forces de l'ordre pro-putschistes ne tentent pas de disperser les manifestants par les armes comme elles l’ont fait la veille et l'avant-veille. Des jeunes nous racontent comment le RSP a forcé un des manifestants à déplacer des pneus en feu à mains nues, l'obligeant à se brûler. D'autres font état de commandos à moto du RSP qui sèment la panique.

En tout cas, les jeunes sont bien disposés à notre égard. Certains nous guident jusqu'au barrage suivant pour s’assurer qu'on « laisse passer la presse ». Pendant ce temps, le président béninois Thomas Boni Yayi, qui fait partie des médiateurs dépêchés par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), déclare qu’une « bonne nouvelle » est proche.

Violences à l'hôtel

Le 20 septembre, le centre d’attention est l'hôtel Laico, le plus chic de la ville, où se tient la mission de médiation dirigée par le président sénégalais Macky Sall, à la tête de la Cédéao. L’hôtel est situé dans Ouaga2000, un nouveau quartier destiné à devenir la vitrine de la capitale et du pays et qui héberge aussi le palais présidentiel, des ministères et des ambassades, mais dont l’aménagement est encore loin d’être terminé. Les terrains vagues jouxtent des immeubles flambant-neufs ou encore en construction. Les journalistes attendent les résultats dans le hall. Quelques dizaines de manifestants du Balai citoyen, un mouvement qui a joué un rôle important dans la mobilisation anti-Compaoré en octobre 2014, sont là aussi.

Des membres du mouvement Le Balai citoyen manifestent devant l'hôtel Laico d'Ouagadougou, le 20 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Mais voilà que déboulent des partisans du RSP, bien décidés à semer la pagaille. Ils font déguerpir les militants du Balai citoyen et commencent à s’en prendre violemment aux journalistes. Sia Kambou est jeté à terre et roué de coups. Emilie Iob est elle aussi agressée, de même qu’un cameraman et deux photographes d’autres médias. Le meneur, un homme imposant en tenue beige, est un ancien député du Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti fondé par Compaoré. Il frappe une photographe, renverse des statues dans le hall de l’hôtel et fracasse une table basse en verre avant de partir. Une centaine de partisans des putschistes sont rassemblés devant l’hôtel, visiblement dans l’espoir de faire pression sur la médiation. « Nous ce qu'on veut, c'est que Diendéré reste et qu'il organise rapidement des élections comme il l'a promis », me déclare l’un d’eux. Il veut que des candidats pro-Compaoré, exclus du dernier scrutin, puissent se présenter.

Nous passons la journée à attendre et à tenter d’intercepter des bruits de couloir. Dans la soirée, tout le monde se précipite dans la salle de conférences de l’hôtel, où Macky Sall et les autres médiateurs prononcent une déclaration. Ils proposent un plan de sortie de crise en treize points, parmi lesquels figurent l'amnistie des putschistes, le maintien des élections en incluant les candidats pro-Compaoré qui n’ont pas eu le droit de se présenter, et un report de toute décision concernant le RSP - dont la dissolution était demandée depuis des mois - à après la présidentielle.

Je me précipite vers le porte-parole du Balai citoyen, maître Guy-Hervé Kam, qui a l’air très en colère. « C'est honteux ce qu'a proposé la Cédéao, j'ai honte d'être Africain », lance-t-il en quittant la salle. « On a oublié les morts », lance une femme de son entourage. Le projet passe mal… Dans les couloirs de l’hôtel et sur les réseaux sociaux c'est l’hallali sur Macky Sall à qui on reproche d'avoir donné satisfaction en tout point au RSP.

Le 21 septembre, il est évident que la médiation est un échec. « A bas la Cédéao », crient des jeunes sur un barrage. Le mot d'ordre de grève générale est maintenu.

Les jeunes officiers forcent la main de l'état-major

Un peu plus tard dans la matinée, des témoignages font état du départ de colonnes de l'armée vers Ouagadougou pour mettre fin au putsch. L'état-major confirme la nouvelle dans un communiqué en début d'après-midi. On ne le saura que plus tard, mais de jeunes commandants et capitaines à la tête d’unités de province se sont ligués entre eux pour forcer la main de leur état-major, refuser le coup d’Etat et prendre parti pour la démocratie. On n’est pas loin de la mutinerie. Plus tard, le président de transition Michel Kafando rendra hommage à leur courage.

L'armée régulière prend position dans Ouagadougou, le 22 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

En quelques minutes, Ouagadougou se vide. Sur le bord de la route, Issouf Nikièma, un artisan, jubile : « C'est merveilleux, l'armée va venir. Si on a des armes, on va les aider. On n'a pas peur. Il faut que le RSP arrête de faire chier !» On apprend que Kafando, assigné à résidence depuis le putsch, a été libéré et accompagné par les forces spéciales jusqu’à l'ambassade de France. En soirée, des habitants à qui j'avais laissé mon numéro m'appellent pour me dire que l'armée loyaliste est aux portes de la ville. La nuit promet d'être courte.

Le 22 septembre, les troupes loyalistes, entrées dans la capitale vers deux heures du matin, sont visibles mais très discrètes. Elles n’opèrent aucun mouvement et refusent de communiquer. Nous en déduisons qu’elles cherchent à mettre la pression sur les putschistes, sans pour autant en découdre.

Manifestation anti-coup d'Etat à Ouagadougou, le 19 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Romaric nous indique que le général Diendéré va donner une conférence de presse. Nous revoici donc à Ouaga2000, face à un barrage du RSP où nous sommes priés de patienter. Pendant que nous attendons, deux jeunes dans un terrain vague insultent de loin les soldats. « La patrie ou la mort ! » crient-ils. Un militaire du RSP monte aussitôt derrière un camarade à moto pour prendre en chasse les jeunes en brandissant sa « cordelette à nœud », version locale de la matraque. Les jeunes réussissent à s'enfuir après avoir essuyé un coup ou deux et le soldat revient, essoufflé et hilare. Apparemment, il a beaucoup aimé cette petite chevauchée.

Rumeur: la presse étrangère comme bouclier humain

Quelques minutes plus tard, nous arrivons sur le parking désert du Palais Kosyam, la résidence présidentielle. Sur le chemin, nous sommes passés devant des soldats torse-nu ou allongés sur le sol en toute tranquillité. L'arrivée de l'armée loyaliste ne semble inquiéter personne. Des rumeurs nous parviennent: Diendéré aurait fait venir la presse étrangère pour la prendre en otage et s'en servir comme bouclier humain contre les loyalistes. On rigole.

On nous emmène dans une grande salle de conférence au sol de marbre et à l'immense lustre aux centaines de pendentifs en verre ou en cristal. Le général arrive quelques instants plus tard et répond aux questions pendant une vingtaine de minutes.

Le portable du putschiste

Il déclare vouloir s'en tenir au plan de la médiation que refuse le pays. « Nous n'avons pas envie de nous battre mais nous nous défendrons éventuellement », prévient-il. Il n'a pas encore abdiqué et tente de justifier le coup de force, tout en soulignant qu'il négocie avec l'armée pour la « faire partir »… Tout ça est assez absurde. A la fin de la conférence, je lui demande son portable. Il me le donne sans hésiter, et il m'y répondra jusqu'au dernier jour de la crise. C'est la première fois que je demande un numéro de portable à un chef d'Etat en exercice...

Dans la soirée, Romaric apprend par le même général qu'il va rendre le pouvoir le lendemain, lors de la visite de chefs d'Etat de la Cédéao qui se sont réunis le même jour à Abuja.

Le général Gilbert Diendéré, auteur du coup d'Etat, attend l'arrivée des médiateurs de la Cédéao à l'aéroport d'Ouagadougou, le 23 septembre 2015 (AFP / Ahmed Ouoba)

23 septembre. Le général en tenue d'apparat accueille en grande pompe un à un les chefs d'Etat du Niger, du Togo, du Ghana et du Bénin, ainsi que le vice-président du Nigeria, sur le tarmac de l'aéroport où la garde républicaine avec ses sabres se comporte comme si on était dans un pays fonctionnant normalement. Entre les avions, je discute avec le chef du protocole, le colonel Bayala: « En un an, j'aurai fait cinq chefs d'Etat : Compaoré, Zida, Kafando, Diendéré et de nouveau Kafando quand Dienderé va repartir. Et il y aura celui qui sera élu après Kafando. Après ça, je prends ma retraite ».

Dans la journée, lors d'une cérémonie dans une salle de conférence d’Ouaga2000, le président Kafando est officiellement remis en selle. Le général Diendéré n'y assiste pas mais il se rend à la salle de conférence une fois Kafando parti. Après une audience avec les présidents de la Cédéao, il affronte la presse.

Un enfant joue près d'une manjifestation anti-coup d'Etat dans le quartier Tampouy d'Ouagadougou, le 21 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

« C'est du temps perdu, je le reconnais. Des moyens perdus, je le reconnais. Ce sont des vies humaines perdues, je le reconnais». Fixant les journalistes dans les yeux, le général n'évite ni question ni regard. Sa voix est ferme et son discours résonne comme une sorte de « J'accuse », version autocritique. Le général, qui a été un des maitres d'œuvre du régime de Blaise Compaoré, n'a rien d’un Emile Zola, mais on peut lui reconnaître un certain panache. Sur le plan pratique, après des négociations, le RSP a accepté de rentrer dans sa principale caserne de Naaba Koom II. Le désarmement doit commencer le vendredi.

Tabaski

Théoriquement, ce jeudi 24 septembre doit marquer le retour à la normale, mais il coïncide avec la Tabaski, l'appellation ouest-africaine de la fête musulmane de l'Aïd al-Adha. Le Burkina Faso est musulman à 60%. Donc tout reste fermé. On se rend à la prière au stade municipal où plusieurs milliers de personnes, toutes habillées de leurs plus beaux vêtements, sont alignées sur la pelouse en direction de la Mecque et prient de concert. La scène est belle, très colorée. J'en profite pour faire quelques interviews. « Quand Blaise Compaoré a pris le pouvoir, j'avais sept ans. Aujourd'hui, je suis père. Compaoré a dirigé mon père, il m'a dirigé moi, il ne va pas diriger mon fils », assure un homme.

Prières pendant l'Aïd al-Adha à Ouagadougou, le 24 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Le lendemain, c’est le premier conseil des ministres depuis la réinstallation du gouvernement. L'attente est longue. A la sortie, le Premier ministre Isaac Zida refuse d'annoncer les mesures qui ont été prises et demande aux journalistes d'attendre un communiqué en soirée. Augustin Loada, un des ministres qui a été pris en otage par le RSP lors du putsch, nous raconte au passage qu'il a été enfermé pendant quarante-huit heures sans boire ni manger.

Le RSP dissous

Pendant ce temps, une source de Romaric lui indique que le RSP refuse toujours de déposer les armes. Nous sortons l'info. Un porte-parole de l'armée nous tombe dessus, furieux, nous accusant de propager des fausses nouvelles. On verra quelques jours plus tard qui avait raison...

Le soir, le communiqué tombe: le RSP est dissous.

Conférence de presse du président de transition Michel Kafando à Ouagadougou, le 23 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Le 26 septembre, alors que la justice a gelé les avoirs de Diendéré et de plusieurs personnalités, nos sources continuent de nous dire que le désarmement se passe mal. Pourtant l'armée nous propose en soirée de nous rendre au Camp Guillaume Ouedraogo pour montrer les armements soi-disant pris au RSP. Nous sommes entassés dans des minibus et à la nuit tombée, on nous exhibe trois camions remplis de munitions, cartouches et grenades ainsi que deux pickups LRM (lance-roquette multiple) et deux blindés. On nous annonce que ce n'est que « le dixième de l'armement » saisi et que tout se passe bien. L'opération sent le coup de communication foireux. Rien de convaincant. Les officiers qui doivent expliquer les prises se défilent.

Demi-tour après 500 km

Le dimanche 27 semble calme et nous décidons de rentrer lendemain. Nous prenons la route vers sept heures du matin. A 13h30, alors que nous arrivons à Banfora, le téléphone sonne: les putschistes refusent de désarmer, selon un communiqué du gouvernement qui les accuse même d'avoir pris des otages. Demi-tour. Nous sommes bons pour refaire les 500 kilomètres dans l’autre sens. Nous sommes de retour à Ouagadougou vers vingt heures.

L'armée en position autour de la caserne du RSP, le 29 septembre 2015 (AFP / Sia Kambou)

Le lendemain matin, l'armée se déploie à Ouaga2000 autour du camp de Naaba Koom, le gigantesque quartier général du RSP à côté du palais présidentiel. Avec des collègues journalistes nous attendons dans un hôtel des environs. Le dénouement semble proche.

Vers 16h30, nous apercevons une colonne de fumée noire qui semble venir du camp. Nous sortons aussitôt de l'hôtel pour voir ce qui se passe. Fausse alerte, ce n’est qu’un pneu qui brûle…

Coups de canon et rafales

Nous décidons d’attendre là, près du barrage de gendarmerie qui interdit l’accès au camp. Tout à coup, quatre coups de canon se font entendre. Des volutes de poussière provenant des impacts s’élèvent dans le ciel. Quelques minutes plus tard, on voit les flammes jaillir des canons des fusils et des mitrailleuses. L'assaut est en train d'être donné. Nous sommes à un kilomètre du camp, au bout d'une longue piste toute droite.

Barrage de gendarmerie sur la route menant au camp du RSP, le 29 septembre (AFP / Sia Kambou)

La nuit tombe. A dix-neuf heures, j’appelle le général Diendéré, qui me dit que l'assaut est terminé et qu’il a quitté le camp pour un endroit sûr (il se constituera finalement prisonnier début octobre).

Le 30 septembre à l’aube, nous tentons d’accéder au camp des putschistes mais l’armée nous bloque le passage Des soldats sont postés partout, certains allongés sur le sol comme sur une ligne de front. D'autres ont le dos tourné à la caserne, leurs armes pointées sur des terrains vagues ou pourraient se cacher les putschistes. Dans l'après-midi, on nous annonce que le président Kafando va se rendre à la caserne. L'armée nous y emmène dans ses fameux minibus.

A dix-huit heures, le président est sur la place d'armes du camp et annonce que l’assaut n’a fait aucune victime car les putschistes étaient partis avant. Puis, du centre de commandement, il annonce que l’épisode du putsch est désormais clos. « Une page de notre histoire est tournée. Le nouveau Burkina est en marche ».

Nous pouvons rentrer à la maison. Le surlendemain, nous reprenons la route menant de Ouagadougou à Bobo Dioulasso et ses cent-quatorze dos d’âne. Des obstacles bien plus faciles à franchir que ceux qui barrent la route de la démocratie au Burkina Faso.

Patrick Fort est le directeur du bureau de l’AFP à Abidjan.