Chasse aux tourtereaux dans la Sérénissime
VENISE (Italie), 1er octobre 2014 - « A ton avis, Ella, ce sont des paparazzi ? »
Nous sommes devant l’hôtel Aman, le palace le plus huppé de Venise (un « sept étoiles » !) Le couple qui a attiré notre attention contemple le Grand Canal, comme des amoureux lambda. Seulement voilà : cela fait très longtemps qu’ils sont plantés là. Trop longtemps. Et ils ne semblent pas près de décamper, vu qu’ils transportent des sacs en plastique bourrés de victuailles. Il règne un certain mouvement autour de l’hôtel : de mystérieux personnages en lunettes noires entrent et sortent, les serveurs s’agitent…
Autant d’indices qui tendent à confirmer la rumeur qui circule depuis plusieurs jours parmi les journalistes: c’est bien dans cet hôtel que se déroulera le mariage people de l’année, entre l’acteur américain George Clooney et l’avocate anglo-libanaise Amal Alamuddin de 17 ans sa cadette.
A deux jours de la cérémonie, l’équipe multimédia de l’AFP s’est lancée dans un travail de détective. Il s’agit d’avoir confirmation de tout pour, le jour-J, être en mesure de fournir à nos clients les images et les infos croustillantes qu’ils attendent avec avidité : savoir où se déroulera la fête, comment se déplaceront les tourtereaux dans Venise, quelles célébrités figurent sur la liste des invités…
Tout porte à croire que l’hôtel Aman sera au cœur de l’action, mais nous devons en être absolument certains. Pour cela, une seule solution : entrer dedans et voir ce qui s’y passe.
L’entrée principale du palace n’est accessible que par bateau. Les taxis de la lagune de Venise demandant un prix prohibitif, nous concentrons nos tentatives du côté de la porte de service, à l’arrière de l’établissement. Nous emboîtons le pas à un serveur, qui est en train de composer un code secret tout en maintenant son doigt appuyé sur un lecteur d’empreintes digitales. « Nous venons prendre un thé », expliquons-nous nonchalamment. Il nous laisse entrer sans sourciller.
Tout en sirotant les tasses de thé les plus chères de notre existence (12 euros pour quelques brins d’Earl Grey arrosés d’eau chaude !) nous observons les alentours. Pas de doute, les préparatifs d’une fête somptueuse sont en cours.
En jouant les vacanciers curieux, nous essayons de grappiller des informations. Nous ne tardons pas à apprendre que toutes les personnes au courant de ce qui va se passer sont astreintes à une clause de confidentialité. Quiconque crache le morceau risque gros. Et pourtant, nous finissons par débusquer une source sûre qui nous glisse les informations que nous cherchions (on ne vous dira pas comment).
Le bilan de cette première journée à Venise est plutôt positif : nous avons une idée précise des lieux et des événements qui vont s’y dérouler. Ce qui fait apparaître un petit problème : il est impossible d’accéder aux abords de l’hôtel par la terre ferme. Que faire ?
Nous essayons de louer un balcon donnant sur l’établissement, mais le propriétaire nous réclame une somme complètement délirante. Pour tourner les images et faire les photos, il ne reste plus qu’une solution : avoir recours au bateau-taxi. Ce qui fait apparaître un autre problème : sur le canal, nous ne serons certainement pas seuls…
Dans leurs Riva - ces vedettes de luxe fabriquées dans le nord de l'Italie - les chauffeurs ont fière allure. Et pour cause : ils demandent 100 euros de l'heure. Nous comprenons que notre budget va vite exploser. Heureusement, nos concurrents sont dans le même cas que nous. Après une courte négociation, nous nous mettons d’accord avec les photographes et cameramen d’AP et de l’agence italienne Ansa pour partager les longues heures d’attente sur le canal et la facture correspondante.
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La veille du jour J, rendez-vous est pris avec notre chauffeur de bateau-taxi à 11h. Avec nos confrères, nous l'avons réservé pour une durée de neuf heures. On sait que George Clooney doit arriver aujourd'hui. On ne sait en revanche ni où, ni à quelle heure.
Par chance, sur un bateau-taxi, je reconnais un jeune homme que j'avais remarqué la veille à l'hôtel Aman. Il semble faire partie de l'organisation. Nous décidons de suivre son bateau, discrètement. Il s'arrête… à la décharge de la cité lagunaire!
Etrange… Sauf que c'est aussi là que sont en train d'être débarquées des dizaines de caisses qui semblent contenir du matériel de DJ. Incroyable mais vrai : c'est là que deux heures plus tard, entre les sacs poubelles, les grues de chargement et les bateaux de livraison, George Clooney arrive avec sa promise et leurs familles, en autocar.
Ils sont élégants, souriants, et visiblement heureux d'être arrivés dans la Sérénissime. Et très bons « clients » avec les journalistes, cameramen, photographes et paparazzi… Nous les suivons en bateau jusqu'à l'hôtel où descend toujours George Clooney à Venise, le Cipriani. Une « balade » en bateau le long du Grand Canal… Lorsque les touristes comprennent qui est à bord du bateau, la folie commence à grand coups de « Geoooooooorge » et d'« Amaaaaaaal », cris qui rythmeront les trois jours qui suivront.
Entre l'enterrement de vie de garçon et de jeune fille, les dîners, la cérémonie à l'hôtel, et la véritable signature devant le maire, le mariage dure trois jours. Trois journées inoubliables, dans un cadre presque trop beau pour être vrai, passées à bord d'un bateau, devant la mairie ou sur les ponts de la cité lagunaire à attendre le passage du couple-star. Jour et nuit pour Ella Ide, la journaliste texte, Andreas Solaro et Pierre Teyssot les photographes, et moi, la journaliste vidéo.
Combien de courses-poursuites entre les gondoliers hurlant leur colère contre les bateaux-taxis à cause des dangereuses vagues créées à leur passage?
Combien de « vaporetti » - les bateaux-bus de Venise - menaçant de se renverser sous le poids des touristes se massant d'un côté ou de l'autre pour photographier le couple? Pendant la course-poursuite, un accident est évité de justesse sous nos yeux entre un de ces vaporetto et un bateau taxi occupé par des confrères. Nous-mêmes échapperons de peu à une collision frontale avec une autre embarcation. Pour couronner le tout, la police municipale menace d’infliger des amendes à tous les bateaux qui dépasseront la vitesse autorisée sur le Grand Canal. Notre premier chauffeur de taxi, les nerfs à vif, déclarera d’ailleurs forfait au bout d’un jour : craignant de perdre son permis il préfère, le lendemain, nous confier à un de ses collègues.
Quelle énergie déployée pour aller chercher le pied de la caméra, resté de l'autre côté du Grand Canal le soir du mariage. Et quelle colère contre un bateau-taxi qui nous demande 40 euros pour faire cette course de quelques secondes (nous préférerons finalement aller le chercher à pied, ce qui nous prendra vingt minutes)…
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Quelles franches rigolades aussi alors que l'absence de toilettes à bord du bateau nous rend la vie impossible pendant nos neuf heures de « croisière » quotidiennes… Après trois jours sur l’eau, nous finirons, en plus, tous rouges comme des homards.
Quelle expérience enfin de partager un appartement à quatre, une sorte de petite famille recomposée le temps d'une semaine. Et ces disputes avec les touristes qui nous reprochaient, à la sortie du mariage civil, de leur boucher la vue avec nos appareils photo et nos caméras…
L'écran de mon ordinateur est propre ce matin. J'ai enfin nettoyé les gouttes des vagues créées par la meute des embarcations aux trousses d' « Amour ».
Car oui, j'allais oublier… c'est le nom, ô combien prédestiné, du bateau qui a accompagné George et Amal tout au long de leur weekend vénitien.
Sonia Logre est reporter vidéo au bureau de l’AFP à Rome.