Diplomatie « secrète » à l’ère Twitter
WASHINGTON, 27 juin 2014 - « Au fait, c’est vrai que tu t’en vas avec Kerry en Irak ? » me demande ma voisine, alors que nous bavardons sur sa pelouse. Les bras m’en tombent. Il faut dire que la question est venue comme ça, trois jours avant la date prévue de notre arrivée à Bagdad, et que cette visite était en principe ultra-secrète ! Mes chefs à l’agence, et mon mari, étaient les seules personnes à qui j’en avais parlé.
Mais à l’époque de Twitter, des infos en continu et des réseaux sociaux, la visite du secrétaire d’Etat américain John Kerry à Bagdad, le 23 juin, aura sans doute été un des secrets diplomatiques les moins bien gardés.
Soucieux des impératifs de sécurité, les journalistes qui étaient du voyage ont fait de leur mieux pour jouer jusqu’au bout la comédie selon laquelle ils n’étaient pas du tout sur le point d’atterrir en Irak avec Kerry, venu dans ce pays tenter de restaurer l’unité nationale face à une blitzkrieg djihadiste.
Mais l’information a gagné l’ensemble de la twittosphère, elle a pris des dimensions exponentielles et s’est auto-alimentée, alors que les autres journalistes essayaient de confirmer l’info que l’un des leurs avait imprudemment twittée.
Et comme les dates de la visite de Kerry à Amman, Paris et Bruxelles étaient déjà connues, il n’a pas été difficile d’en déduire avec une bonne dose de probabilité le jour de son arrivée à Bagdad.
lmaginez un peu la situation si Facebook et Twitter avaient existé en 1971, lorsque le secrétaire d’Etat d’alors, Henry Kissinger, avait effectué une discrète visite en Chine pour préparer celle, historique, l’année suivante, de Richard Nixon...
Comment Kissinger aurait-il pu s’éclipser du Pakistan, en prétextant - avec l’aide du président de ce pays - qu’il était malade, au cours de ce périple en Asie surnommé « Opération Marco Polo » ? Le haut diplomate aux lunettes cerclées de noir aurait certainement été vite démasqué par le premier venu, armé d’un smartphone, dans le hall de son hôtel.
Ainsi, la diplomatie d’aujourd’hui exige des méthodes plus subtiles ou moins conventionnelles, si elle veut éviter la presse et les réseaux sociaux.
Mais il y a parfois encore des surprises.
L’an dernier, la révélation a éclaté que les Etats-Unis et l’Iran, en très mauvais termes depuis des dizaines d’années, avaient négocié secrètement durant plusieurs mois pour essayer de redynamiser les négociations sur le nucléaire.
A la demande du président Barack Obama, le Secrétaire d’Etat adjoint Bill Burns et les conseillers de la Maison blanche Jake Sullivan et Puneet Talwar avaient négocié incognito avec de hauts responsables iraniens.
Incognito, parce que, quels que soient la valeur et le talent de ces diplomates, la plupart des gens seraient incapables de les reconnaître dans la rue.
On ignore quel sera le résultat de tout cela, mais ces pourparlers secrets ont bel et bien permis de faire retourner publiquement les deux parties à la table des négociations.
Kerry est un adepte résolu de cette diplomatie du face à face.
Et dans le contexte de la crise majeure qui frappe l’Irak, il a maintenu sa visite à Bagdad, en dépit des fuites sur les réseaux sociaux. Des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises, ainsi pendant son transfert de l’aéroport de Bagdad à l’ambassade américaine, véritable forteresse.
Et Kerry avait une autre surprise dans sa manche.
Alors que tous les regards étaient tournés vers Bagdad, il s’est subrepticement envolé le lendemain pour Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Presque personne ne savait qu’il allait là bas.
Jo Biddle est correspondante de l'AFP accréditée au Département d'Etat américain à Washington.