Le défenseur italien Giorgio Chiellini (à g.) exhibe la morsure infligée par l'attaquant uruguayen Luis Suarez (à d.) le 24 juin lors du match du groupe D de la Coupe du monde de football à Natal  (AFP / Yasuyoshi Chiba / Daniel Garcia)

Morsure et feu de l’action

MONTEVIDEO, 30 juin 2014 – Pendant un match de coupe du monde, chaque photographe prend entre 500 et 600 photos. Une frénésie telle qu’il leur est souvent impossible de savoir ce qui est en train de se passer sur le terrain.

Quand l’Uruguayen Luis Suarez a mordu l’Italien Giorgio Chiellini, dans ce qui restera l’un des incidents les plus spectaculaires de ce Mondial 2014, les quatre photographes de l’AFP présents dans le stade de Natal ont bien remarqué qu’il se passait quelque chose d’inhabituel au sein de la défense italienne, mais sans savoir exactement quoi.

Ils ont donc commencé à mitrailler dans cette direction, sait-on jamais, et ce malgré le risque de rater un but ou une autre action importante. Grand bien leur a pris. Quelques minutes plus tard, les images de l’impétueux Uruguayen se frottant les dents et de Chiellini exhibant son épaule endolorie devenaient virales sur internet. Des jours plus tard, alors même que l’Uruguay a été sorti du Mondial, cette histoire incroyable continue à faire jaser.

Le mordant et le mordu, juste après la morsure (AFP / Daniel Garcia)

L’un des photographes de l’AFP présents sur place, le Japonais Yasuyoshi Chiba, raconte qu’il a pensé au début que Chiellini avait reçu un coup, mais que jamais il n’a imaginé qu’il avait été mordu par un adversaire. Le ballon se trouvait à un autre endroit, tous les objectifs étaient braqués ailleurs, raison pour laquelle il n’existe aucune trace photographique de l’agression dentaire.

Comme tous ses collègues, Yasuyoshi Chiba n’a pointé son zoom de 600 mm vers le camp italien qu’après la morsure. « A ce moment-là, Chiellini était déjà entouré d’autres joueurs. Je n’ai pas réalisé ce qui s’était produit, j’ai juste vu qu’il se levait et qu’il commençait à montrer son épaule » raconte le photographe, qui couvrait le match depuis la tribune de presse. « C’était une scène cocasse. Je n’avais jamais vu un joueur s’adresser à l’arbitre de cette façon, en découvrant son épaule d’une façon aussi sexy ! J’ai continué à mitrailler ».

Les photos de l'AFP et des autres agences ont fait le tour du monde et ont été trafiquées des centaines de fois par des internautes, dans la majorité des cas pour affubler Suarez de dents de vampire.

Après la morsure, les faussaires facétieux se déchaînent sur Twitter.

De l’autre côté, face au banc de touche uruguayen, l’Espagnol Javier Soriano prenait des images au téléobjectif de 400mm. « Le joueur italien se tenait l’épaule et hurlant et en gesticulant et la seule chose que faisait Suarez, c’était porter ses mains à sa dentition, comme s’il avait été frappé », raconte Javier Soriano. « J’ai commencé à me dire que quelque chose de bizarre venait de se produire. J’ai continué à faire des photos. Tout cela n’a duré que quelques secondes, je n’ai appris ce qui s’était vraiment produit qu’à la fin du match ».

Les deux autres photographes de l’AFP présents, Daniel Garcia et Emmanuel Dunand, n’avaient pas non plus la moindre idée de ce qui s’était passé jusqu’à la fin de la rencontre. Comme d’habitude, ils ont continué à prendre des images et à les transmettre dans la foulée aux éditeurs du desk photo à Paris.

Dans un autre centre de l'AFP pour le mondial, installé à Barra da Tijuca, au sud de Rio de Janeiro, le coordinateur photo pour le mondial, Eric Baradat, surveillait le flux de clichés lui parvenant en temps réel tout en regardant le match à la télévision, histoire de s’assurer que les photos transmises aux clients de l’AFP racontaient bien ce qui était en train de se passer sur la pelouse de Natal.

Une touriste plaisante devant une affiche publicitaire montrant Luis Suarez à Copacabana, à Rio de Janeiro, le 26 juin 2014 (AFP / Yasuyoshi Chiba)

« Quand nous avons vu à la télé les scènes de l’action au ralenti, j’ai appelé les photographes et je leur ai demandé d'envoyer tout ce qu’ils avaient sur cette séquence en particulier », explique Eric Baradat. « Ça me rappelait le coup de tête de Zidane à Materazzi en 2006. Ce jour-là, nous avions été la seule agence à avoir la photo du moment crucial. Malheureusement, cette fois-ci, aucun photographe n’a saisi l’instant où Suarez a mordu Chiellini ».

Sur place, les photographes n’apprennent ce qui s’est passé que par le coup de fil d’Eric Baradat. « Je n’en ai pas cru mes oreilles ! Suarez avait recommencé ! » dit Emmanuel Dunand, qui s’est souvenu du fait que l’Uruguayen avait déjà été suspendu deux fois pour avoir mordu quelqu’un lors des matches de son club de Liverpool, en Angleterre. Même sans avoir réussi à prendre une photo des dents de Suarez plantées dans l’épaule de Chiellini, « être sur place, faire partie de l’histoire d’une coupe du monde est quelque chose de très excitant », assure le photographe français basé à New York.

Yasuyoshi Chiba, lui, est plus amer. Bien qu’étant l’auteur de la photo « sexy » de Chiellini qui a fait le tour du monde, il regrette d’avoir manqué ce qui aurait constitué un prodigieux « doublé » photographique. « Pendant la dernière coupe du monde en Afrique du Sud, c’était moi qui avais pris la photo de la main de Suarez empêchant avec sa main le but du Ghana », une action qui lui avait valu un carton rouge et privé l’équipe africaine de marquer le point de la victoire en quarts de finale, explique Chiba. « Je ne me console pas de n’avoir pas pu prendre le moment exact de la morsure ».

L'attaquant uruguayen Luis Suarez empêche un but de la main lors du match de quart de finale de la Coupe du monde 2010 contre le Ghana, le 2 juillet 2010 à Johannesburg (AFP / Yasuyoshi Chiba)
Leila Macor est l'éditrice du blog Focus, l'équivalent d'AFP Making-of en espagnol.