Poussée de fièvre en Turquie
ISTANBUL, 13 mars 2014 - Depuis plusieurs jours, on savait que l’état de santé du jeune Berkin Elvan, grièvement blessé par la police au mois de juin, s’était aggravé. Et dimanche 9 mars, l’info a été confirmée par les avocats de la famille, dans un communiqué.
Dès lundi, on avait un photographe à l’hôpital universitaire d’Okmaidani, à Istanbul, où il se trouvait. Mardi 11 mars, la famille a annoncé sur Twitter qu’il était mort. Des centaines de personnes se sont retrouvées devant l’hôpital. Des manifestants ont attaqué un car de police. Des sit-ins ont fleuri dans plusieurs villes, et le mouvement a vite pris de l’ampleur.
Les étudiants de l’Université technique du Moyen Orient, à Ankara, un bastion de la contestation, ont manifesté à leur tour. Affrontements, canons à eau. Au même moment, dans le centre de la capitale, la police tirait des balles en caoutchouc. Et mardi soir, il y avait des manifs dans une trentaine de villes, pour conspuer « Erdogan l’assassin » et « l’Etat meurtrier» ».
« Mercredi, pour les obsèques du jeune garçon, de nouveaux clashes, avec tirs de gaz lacrymogènes et jets de pierre, ont éclaté à Ankara, Istanbul et Izmir.
Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan a accusé les manifestants de « provocation » dans un meeting à Mardin, une ville de l’extrême sud-est du pays où se côtoient Turcs, Arabes et Kurdes. Pour Erdogan, qui ne cesse de dénoncer les « complots » contre son régime, cette nouvelle vague de colère vise ni plus ni moins qu’à « saboter les élections » municipales, qui auront lieu le 30 mars.
Ainsi va la Turquie, de manifs en poussées de fièvre. Erdogan est de plus en plus contesté, accusé de corruption, d’autoritarisme, et de velléités de censurer l’internet. Lui à qui rien ne semblait pouvoir faire obstacle, il y a encore moins de deux ans, est maintenant en grande difficulté. Il accuse son ancien allié, le prédicateur musulman Fethullah Gülen, qui d’années en années a tissé sa toile dans les rangs de la police et de la justice, d’avoir fabriqué les accusations de corruption qui le déstabilisent.
Avec l’approche des municipales, la tension monte un peu plus. Ce scrutin sera un test crucial. L’AKP, le parti d’Erdogan, va, sauf énorme surprise, arriver en tête, mais avec quelle marge ? Si sa victoire est trop fragile, il sera en difficulté, en particulier au sein de son propre camp.
Philippe Alfroy est le directeur de l'AFP pour la Turquie.