Le train de la violence réclame toujours des passagers
BAGDAD, 20 déc. 2013 – C’est un jour de chaos, un jour d’explosions, un jour où le sang, une fois de plus, coule dans les rues de Bagdad. Un jour où j’entends ce qui n’est d’abord qu’une rumeur : que mon ami Muhannad Mohammed, également journaliste, a été tué.
Je suis sous le choc. Mais je m’efforce de penser que, peut-être, ce n’est pas vrai. Je consulte sa page Facebook et je vois qu’il était actif jusqu’à tout récemment. Il faut espérer que la rumeur soit fausse.
Je prends mon téléphone et je l’appelle. Les sonneries se succèdent. Enfin, quelqu’un décroche. « Muhannad, c’est toi ? »
« Non, c’est son fils », répond une voix.
Alors, je demande, le cœur serré : « est-ce que ce que j’ai entendu est vrai ?»
Et oui, c’est vrai. « Mon père est mort », me répond la voix. « Son corps est complètement brûlé. Il est à la morgue de l’hôpital Yarmuk à présent. Mon petit frère est blessé au poumon ».
Muhannad a été tué dans un attentat suicide à Dora, dans le sud de Bagdad, qui a fait au moins vingt morts et des dizaines de blessés. Un kamikaze a fait exploser sa charge sous une tente où des pèlerins chiites recevaient de la nourriture et des boissons avant de partir pour la ville sainte de Kerbala.
Peut-être nous retrouverons-nous bientôt
Mes yeux se sont remplis de larmes. Mon ami avait 39 ans. Je le connaissais depuis des années et j’étais très proche de lui. Nous avions traversé des moments difficiles ensemble. C’était un journaliste intègre, courageux et au réseau de sources étendu. Il avait travaillé à l’agence Reuters avant de rejoindre la télévision indépendante irakienne Al-Sumaria.
Quand le journaliste Yasser Faysal al-Joumaili avait été exécuté par des militants en Syrie, Muhannad avait remplacé sa photo de profil sur Facebook par celle de notre collègue assassiné, et il avait activement participé à une campagne pour venir en aide à la famille de Yasser.
Maintenant, c'est son tour. Le destin a choisi de nous séparer. Je ne peux que lui souhaiter de reposer en paix. Mais peut-être nous retrouverons-nous bientôt. En Irak, le train de la violence avance à toute allure, rien ne permet de prédire qu’il s’arrêtera bientôt. Un train qui cherche toujours des passagers, qui n’arrête-pas de demander : « quelqu’un d’autre veut-il monter ? »
Ammar Karim est journaliste à l'AFP Bagdad