Un militaire français participant à l'opération 'Hydre' dans le nord du Mali patrouille près du village de Bamba le 30 octobre 2013 (AFP / Philippe Desmazes)

« Opération Hydre » dans le désert malien

BAMBA (Mali), 6 nov. 2013 – A deux reprises au mois d’octobre, des projectiles ont frappé Gao, la grande ville du nord du Mali où sont stationnés des milliers de soldats français et africains. Il s’agissait de roquettes de fabrication russe, autopropulsées, d’une portée de vingt kilomètres. Signe pour le moins inquiétant que les islamistes armés, mis en déroute par l’armée française l’hiver dernier, restent actifs dans le secteur, et qu’ils n’hésitent plus à s’approcher au plus près de l’ennemi.

Les djihadistes ont d’abord caché leurs roquettes, longues d’environ quatre mètres, dans des trous creusés dans le sable, près du point de mise à feu envisagé. Le moment venu, ils sont venus les déterrer, les ont placé sur des rampes et les ont déclenché à distance à l’aide de dispositifs bricolés avec des téléphones portables. Un soldat malien a été mortellement blessé le 7 octobre et les tirs se font de plus en plus précis. Le lendemain de mon passage à Gao, une de ces fusées a atteint la piste de l’aéroport.

 

Un hélicoptère Puma de l'armée française survole le désert malien près du village de Bourem, le 1er novembre 2013

(AFP / Philippe Desmazes)

C’est pour cette raison qu’une opération de grande envergure, baptisée « opération Hydre », a été lancée fin octobre par les militaires français, maliens et de la mission de l’ONU au Mali (Minusma). Il s’agit d’affirmer la présence en nombre de l’armée dans de vastes zones désertiques du nord du pays qui, jusqu’à présent, n’avaient été foulées qu’épisodiquement par de petits commandos des forces spéciales. De chercher des caches d’armes et de vivres. De recueillir des renseignements auprès des habitants. Bref, de faire en sorte que les djihadistes ne se sentent plus en sécurité sur cette terre désolée où ils avaient tendance à s’enhardir. Environ 1.500 militaires, dont un millier de Français, sont engagés dans cette opération, appuyés par des hélicoptères et par des drones.

Pendant quatre jours, j’ai pu suivre les hommes du troisième régiment d’infanterie de marine qui participent à cette opération dans la « Zone des puits », un secteur riche en points d’eau où les nomades, mais aussi les djihadistes, viennent s’approvisionner avant de s’aventurer dans le désert plus au sud.

Des soldats français et un interprète malien contrôlent un campement nomade dans le désert, le 30 octobre 2013 

(AFP / Philippe Desmazes)

Je suis arrivé par hélicoptère dans le camp dressé par les militaires français au milieu de nulle part, près du village de Bamba, à quelque 200 km au nord de Gao. Une véritable petite ville de tentes, extrêmement bien organisée, qui a poussé du jour au lendemain en plein désert et qui héberge un millier de soldats. Tous les jours, ces derniers patrouillent dans un rayon de cent kilomètres autour de ce QG, contrôlant les puits, posant des questions aux nomades, traquant la moindre trace des djihadistes.

La tâche est rude. Même si nous ne sommes pas à la période la plus chaude de l’année au Mali, les températures frisent tout de même les quarante degrés entre onze heures et seize heures. Une fournaise qu’il faut supporter sous son casque de combat et son lourd gilet pare-balles.

Le terrain est extrêmement difficile. Une platitude infinie, sans ombre, avec quelques arbustes desséchés pour toute végétation. Des nuées d’insectes. Et une poussière qui s’infiltre partout. Quasiment aucune patrouille ne se fait à pied. D’où l’importance de la logistique pour entretenir les véhicules qui tombent régulièrement en panne, victimes des cahots et de cette poussière insidieuse, meurtrière pour la mécanique. Une logistique dont on peut déjà apprécier le caractère gigantesque rien que lorsqu’on sait que chaque personne, ici, consomme plus de dix litres d’eau par jour, et qu’on ne peut trouver toute cette eau qu’à des centaines de kilomètres de là.

Un convoi de l'armée française quitte au lever du soleil un camp de base installé au milieu du désert malien, le 2 novembre 2013 (AFP / Philippe Desmazes)

Les journées passent et se ressemblent. L’ennemi est toujours invisible. Les militaires que j’accompagne dans leurs expéditions à travers le désert sont accueillants, solidaires, bavards. Mais je les sens parfois un peu déçus par le manque d’action, par ces interminables périples à 20 km/h à travers l’étendue aride sans qu’il ne se passe rien ou presque. Le dernier jour, sur le chemin du retour vers Gao, nous apercevons enfin une trace physique de la présence des djihadistes: une longue fosse où l’ennemi avait caché une de ses roquettes, et un bout de terrain calciné autour du point où elle a été tirée.

C’est pendant ces journées que j’apprends d’abord la libération des quatre Français enlevés en 2010 au Sahel. Et aussi, alors que je viens de rentrer à Gao, l’assassinat plus au nord, dans la région de Kidal, des journalistes de Radio France Internationale Ghislaine Dupont et Claude Verlon. C’est l’officier de communication de l’armée française qui vient me voir pour m’annoncer la tragique nouvelle, alors que la troupe n’est pas encore au courant.

Des soldats français inspectent un trou ayant servi de cachette à une roquette utilisée par des islamistes armés pour attaquer Gao, le 2 novembre 2013 (AFP / Philippe Desmazes)

Le dimanche 3 novembre, je dois rentrer sur Bamako à bord d’un Transall de l’armée française. Quand, bien en avance, j’arrive à l’aéroport, je tombe sur deux véhicules de l’avant blindé sanitaires qui transportent les corps des reporters. Il y a une brève cérémonie en leur honneur sur le tarmac, que je m’abstiens de photographier pour respecter le souhait des proches des victimes. Je m’envole vers la capitale malienne dans le même avion que les deux cercueils, dissimulés derrière un rideau. Le hasard veut que le lendemain soir, sur le vol de retour vers Paris, je voyage une fois encore à bord du même appareil que mes deux confrères tués.

Je ne connaissais pas Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Mais, alors que j’accompagne leurs cercueils de Gao jusqu’à Paris, je pense à la façon radicale dont le métier de reporter de guerre a changé ces dernières années. Dans un conflit asymétrique comme celui au Mali, les journalistes sont devenus la cible à abattre, l’occasion pour les divers groupes armés de se faire un « coup de com », d’occuper des jours durant la une de médias occidentaux qui, sinon, parlent rarement d’eux.

Le président malien Ibrahim Boubacar Keita se recueille devant les cercueils des journalistes français Ghislaine Dupont et Claude Verlon à l'aéroport de Bamako, le 4 novembre 2013 (AFP / Philippe Desmazes)

Dans ces conditions, il devient de moins en moins possible de couvrir une guerre depuis les deux camps. Au Mali, la tactique des insurgés est claire : faire déguerpir les occidentaux par la terreur. Il n’y a pas de communication possible. Presque plus de moyen de s’approcher du théâtre des opérations sans être intégré au sein d’une armée régulière. Dans ces conditions, le journalisme de guerre est un genre qui, je le crains, va irrémédiablement s’appauvrir.

Et puis, j’ai couvert de nombreux conflits, en Libye, en Syrie. Dans ces pays, quand je me retrouvais au milieu des combats, quand les balles sifflaient autour de moi, j’avais toujours la possibilité de me mettre à l’abri derrière un mur ou de battre en retraite, le choix de traverser ou non une rue contrôlée par un tireur embusqué. Mais dans le désert malien, il n’y a pas de front, il n’y a rien, juste du sable. Dans un environnement pareil, si tu es seul et que tu tombes sur un 4x4 avec quatre types armés, c’en est fini de toi. Il n’y a aucune échappatoire.

Camp nomade près du village de Bamba, dans le nord du Mali, le 30 octobre 2013 (AFP / Philippe Desmazes)

Philippe Desmazes est photojournaliste au bureau de l’AFP à Lyon.