Le doigt de la tricherie, 25 ans après
SEOUL, 25 sept. 2013 - Vingt-cinq ans séparent ces deux images. Le 24 septembre 1988, le Canadien Ben Johnson bat l'Américain Carl Lewis dans la finale du 100 mètres des jeux Olympiques de Séoul et pulvérise le record du monde avec un incroyable temps de 9'79. Le 24 septembre 2013, Ben Johnson effectue le même geste de victoire au même endroit, mais cette fois pour dénoncer le dopage dans l'athlétisme, un fléau dont il demeure un des symboles.
Trois jours après son exploit, Ben Johnson, contrôlé positif aux stéroïdes anabolisants, avait dû rendre sa médaille (la spectaculaire nouvelle de sa disqualification sera d'ailleurs un scoop de l'AFP). Et l'image épique de l'athlète canadien franchissant la ligne le doigt tendu vers le ciel devant Carl Lewis, prise par le photographe philippin Romeo Gacad, deviendra pour longtemps l'emblème de "la course la plus sale de l'histoire".
Mais à l'époque, "c'était la course la plus excitante des jeux de Séoul", se souvient Romeo Gacad, qui est aujourd'hui responsable de la photo au bureau de l'AFP à Jakarta. "La photo sportive, pour moi, c'est cinquante pour cent de préparation et cinquante pour cent de chance. J'avais décidé de me positionner juste derrière la ligne d'arrivée et de prendre mes images manuellement avec mon ouverture, ma focale et ma vitesse préréglées. C'était une position risquée: beaucoup de choses pouvaient tourner mal, un coureur pouvait en masquer un autre. Par conséquent, il n'y avait pas beaucoup de photographes à côté de moi".
"Je me rappelle parfaitement de cet instant", poursuit Romeo Gacad. "Le stade entier est devenu silencieux. Quand le coup de départ a été donné, je tenais les coureurs dans mon viseur. Tout s'est passé très vite. Quand les athlètes sont arrivés près de moi j'ai appuyé sur le déclencheur et j'ai pris dix ou quinze images en rafale. Ben Johnson a franchi la ligne à toute vitesse, Carl Lewis sur ses talons, et a levé ce fameux doigt en l'air. Son physique massif contrastait avec celui de Lewis, plus élancé. La beauté de cette image est dans le fait qu'elle restitue bien ce puissant contraste. La composition est parfaite: les deux coureurs sont dans les airs et on voit bien le stade olympique comble en arrière-plan".
"Je pensais avoir capturé le moment le plus incroyable de la vie de Ben Johnson", conclut le photographe. "Mais en fait, cette image est devenue un symbole de la tricherie".
Autre ambiance, ce 24 septembre 2013, même si le protagoniste et le cadre sont les mêmes. Vingt-cinq ans jour pour jour après son "exploit", Ben Johnson, radié à vie de toute compétition, revient sur les lieux de sa disgrâce. Il fait cela dans le cadre d'une campagne mondiale de sensibilisation contre le dopage dans l'athlétisme. Posant pour les photographes au milieu d'un stade olympique désert, il effectue tout à coup le même geste du doigt qu'en 1988. Puis, à la demande de plusieurs reporters, il le répète pour que chacun ait le temps de prendre sa photo... Sur la piste s'étend une pétition contre le dopage, longue de cent mètres...
"C'est ici que l'histoire s'est faite", dit-il. "Certains diront que c'est une mauvaise histoire, mais je ne vois pas les choses de cette façon".