Souvenirs du Tour (5) : étape épique, ennuis mécaniques
Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.
Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.
PARIS, 24 juin 2013 – Nous voici en 1992. On a déjà basculé dans l’ère du dopage sanguin, mais on ne le sait pas encore de façon certaine.
Quelques jours plus tôt, à Luxembourg, il y a eu un contre-la-montre phénoménal de Miguel Indurain. L’Espagnol qui a relégué le deuxième à trois minutes derrière. On arrive dans les Alpes avec la première grande étape de montagne, entre Saint-Gervais et Sestrières.
L’Italien Claudio Chiappucci, qui a failli gagner le Tour deux ans plus tôt, vient de prendre une déculottée dans le contre-la-montre où il n’était pas sur son terrain. Mais ce jour-là, ce grimpeur-né accomplit une cavalcade incroyable, insensée. Il attaque dans la première montée et signe une échappée de plus de 220 kilomètres à travers le col des Saisies, le Cormet de Roselend, l’Iseran, le mont Cenis et la montée sur Sestrières… Un défi complètement fou.
A l’arrivée à Sestrières, Chiappucci est chez lui, en Italie. Le public est en délire. Tout le monde applaudit. Ça montre bien le changement des mentalités: si un coureur faisait une chose pareille aujourd’hui, il irait sans doute tout droit en prison à l’arrivée… Cet exploit est probablement un des plus frelatés de l’histoire de la Grande boucle mais sur le moment, cela passe pour une des plus grandes épopées jamais vécues sur le Tour de France.
AFP / Vincent Amalvy
Mais quand on couvre le Tour, on est prisonnier de ses propres problèmes. Et il se trouve que pendant que Chiappucci est en train d’écrire une des grandes pages de la course, notre journée est littéralement bousillée par des ennuis de voiture. Le moteur chauffe dangereusement. A chaque montée, nous sommes retardés tantôt par la caravane publicitaire, tantôt par le public… Nous n’arrivons pas à prendre de l’avance et nous avons l’œil rivé au thermomètre du moteur.
J’ai le souvenir d’une halte interminable au col de l’Iseran. Nous ne pouvions rien faire d’autre qu’attendre que la température du moteur redescende et que la route se libère devant nous. Sur Radio Tour, on entendait les exploits de Chiappucci mais cela nous semblait très relatif par rapport à notre moteur qui chauffait !
Quand nous parvenons enfin à redémarrer et que, de descente en descente, la température tombe, une voiture de carabiniers nous dépasse à grande vitesse, rate un virage et se fracasse contre un rocher! Nous sommes les premiers à arriver derrière. Nous devons porter secours aux deux carabiniers inanimés, éteindre le moteur de leur voiture pour éviter les risques d’incendie… C’est bien connu, un ennui n’arrive jamais seul. Et voilà comment nous avons vécu cette journée «historique»…
Jean MONTOIS
AFP /Boris Horvat