Quand l'image photo aide à panser les plaies...
PARIS - Il arrive que la photo de presse sorte du cadre strict de l'information qui lui était assigné, pour se diriger, à l'insu de son auteur, vers des domaines a priori improbables tels que l'humanitaire. On voit soudain l'image émouvante d'une victime anonyme et laissée sans assistance, ou celle d'un enfant atteint d'une maladie mal soignée, faute de moyens, déclencher, en quelques heures, un élan de solidarité à l'échelle mondiale. Des lecteurs, des internautes se mobilisent et posent en nombre la question: "Est-ce qu'on peut aider ?" Un phénomène que le reporter n'avait pas recherché, et pas même anticipé. Voici quelques exemples commentés de photos qui, au-delà d'aider à connaître le monde, ont aidé à panser quelques-unes de ses plaies.
AFP Stringer
Une jeune Chinoise de la province de Jiangsu (est), Wang Cheng, a été soignée en 2008 d'une affection particulièrement grave d'éléphantiasis par une fondation bouddhiste de Taïwan. La Fondation Fo Kuang Shan, qui a pris en charge la jeune fille pour effectuer ce traitement à Taipei, avait alors expliqué qu'elle avait eu connaissance de la détresse de Wang Cheng, qui était handicapée depuis l'âge de six ans, à la suite de la diffusion d'un reportage de l'AFP, en 2007.
AFP stringer
Cette photo de Janvier 2013 montre Fu Xuepeng, un ancien mécanicien paralysé dans un accident de voiture alors qu'il avait 23 ans, et qui respire avec l'aide d'un ventilateur, alors que sa mère Wang Lanqin lui donne à manger, à leur domicile de Taizhou, dans la province chinoise de Zhejiang (est).
Selon les médias gouvernementaux, un hôpital local a décidé d'aider les parents de Fu à la suite de la diffusion de photos dans la presse expliquant qu'ils ont maintenu leur fils en vie pendant plus de cinq ans en actionnant à la main un système de ventilation bricolé localement. Ils se sont relayés pour actionner l'appareil 24 heures sur 24, durant toute cette période, jusqu'à ce que quelqu'un leur fournisse un appareil professionnel doté d'un moteur, qui a coûté 200 yuans (32 dollars). Mais pour éviter des factures d'électricité trop élevées, la famille de Fu continue d'actionner la pompe à la main pendant la journée et met le moteur en route pendant la nuit…
AFP stringer
Le sort de cette petite Indienne de 18 mois souffrant d'une hypertrophie du crâne, une maladie rare et impressionnante mais qui peut être soignée, a provoqué un élan de solidarité et la promesse d'un examen médical, après l'appel à un "miracle" lancé par ses parents pauvres et la diffusion de photos de l'AFP.
Un hôpital réputé de New Delhi a offert à la mi-avril d'examiner la petite Roona Begum, qui souffre d'hydrocéphalie, une grave anomalie neurologique qui se définit par l'augmentation du volume des espaces contenant le liquide céphalo-rachidien et provoque une pression sur le cerveau. Le nourrisson vit dans l'Etat du Tripura (nord-est) avec ses parents trop pauvres pour la faire hospitaliser et tenter une opération. Avec une circonférence de 91 cm, sa tête est deux fois plus grosse que la normale, ce qui l'empêche de se tenir droite ou de marcher à quatre pattes.
La diffusion de photos prises par un photographe de l'AFP a suscité l'émoi de lecteurs à l'étranger et un site internet basé en Norvège a été créé pour lancer une campagne de collecte de fonds.
Un neurochirurgien indien reconnu, Sandeep Vaishya, qui dirige le département de neurochirurgie dans un hôpital du groupe privé Fortis Healthcare, près de New Delhi, a promis d'examiner Roona pour voir si une opération est envisageable.
"Fortis va s'occuper de son transfert et nous allons faire un scanner pour vérifier l'état de son cerveau. J'espère que nous allons pouvoir l'opérer et relâcher la pression sur le cerveau", a déclaré à l'AFP le spécialiste. Le groupe Fortis, qui gère 76 hôpitaux dans 11 pays, possède une fondation caritative qui permet de prendre en charge les frais d'opérations chirurgicales.
Le père de Roona, Abdul Rahman, 18 ans, qui vit dans une hutte du village de Jirania Khola, s'est dit auprès de l'AFP "très reconnaissant pour la générosité de chacun". "Nous n'avons pas d'argent et je ne sais pas comment nous pouvons les remercier de ce qu'ils font", a ajouté cet ouvrier illettré qui gagne 150 roupies (2 euros) par jour.
Le site internet www.mygoodact.com basé en Norvège a commencé à collecter des dons et a déjà recueilli 8.800 dollars (6.700 euros) en trois jours.
"Ces mouvements de solidarité, ce sont des choses qui échappent totalement aux photographes", explique pour sa part Thomas Coex, rédacteur en Chef Photo France à l'AFP. "Ce sont des situations sur lesquelles on tombe par hasard. C'est ce qui s'est passé avec l'attentat de Boston: on est venu pour couvrir un événement sportif et on se retrouve avec un sujet totalement différent, avec une retombée internationale très importante, et avec un impact inattendu, qui peut déclencher une forte réaction des lecteurs et du public en général."
"Ces élans de générosité qui partent d'une photo s'expliquent aussi par la diffusion mondiale via internet et les réseaux sociaux. Il y a un effet démultiplicateur indéniable, une diffusion exponentielle. Et il n'y a pas la barrière de la langue: l'universalité du langage de la photo aide à toucher beaucoup de monde", ajoute-t-il.
AFP/Massoud Hossaini
Mais le témoignage photo, aussi poignant qu'il puisse être, n'entraîne pas systématiquement de tels élans de solidarité.
Le 6 décembre 2011, des dizaines d'Afghans sont tués par un attentat à la bombe à Kaboul, lors d'une cérémonie chiite. Pour sa photo exceptionnelle montrant le désespoir d'une enfant, Tarana Akbari, pour son cri tétanisé au milieu des morts et des blessés, le photographe de l'AFP Massoud Hossaini a reçu le Prix Pulitzer, en avril 2012.
Sept membres de la famille de Tarana avaient été tués dans l'attentat, et neuf autres blessés.
Le journal britannique The Independent a enquêté en avril sur le sort de cette famille afghane, sur leur vie après le terrible attentat.
"Durant une courte période, Tarana a été présentée par le gouvernement afghan et les agences internationales comme le symbole des innocents pris pour cible par les insurgés. Des promesses ont été faites selon lesquelles Tarana et sa famille recevraient toute l'aide nécessaire", explique le journal.
Une des soeurs de Tarana, Sunita, qui avait été blessée à la tête et ne peut plus suivre ses cours, a été un temps soignée en Turquie. Mais la famille, qui vit dans une grande pauvreté, est aujourd'hui livrée à elle même.
"J'ai frappé à des centaines de portes pour avoir de l'aide, mais personne ne fait rien", a expliqué au journal le père de Tarana, Ahmed Shah Akbari, 35 ans. "Beaucoup de gens importants sont venus se montrer avec mes filles après l'attentat, mais pour le reste, ils s'en foutent."