Mourir du cancer en Iran
TEHERAN, 15 mai 2013 - Octobre 2012. L’Iranienne Soheila Mehri apprend que son cancer du sein, en rémission depuis sept ans, a récidivé. L’enseignante à la retraite va lutter avec sa famille contre la tumeur, jusqu’à son décès le 13 avril 2013, à l’âge de 54 ans. Son frère Behrouz, photographe au bureau de l’AFP à Téhéran, a accompagné en clichés ses derniers mois. Pour «montrer les difficultés extraordinaires de cette maladie pour le patient et sa famille».
Behrouz Mehri décide de commencer une série de photos sur sa sœur en février 2013, quand les médecins annoncent à la famille que la maladie a atteint le cerveau.
Soheial Mehri est portée par ses frères dans l'escalier de son immeuble, le 23 février 2013 (AFP / Behrouz Mehri)
Suivre les dernières semaines de sa sœur, avec qui il était très lié, a été «un défi difficile», avoue Behrouz. «Je ne le faisais pas en tant que photographe, mais comme membre de la famille. Je prenais des clichés quand je sentais le bon moment, sans chercher un angle spécial ou une belle lumière».
Sa sœur refuse de connaître les résultats des examens mais, consciente que son cancer est terminal, accepte d’être prise en photo.
«Avec cette série, je voulais montrer à quel point c’était difficile d’avoir mal et de supporter la douleur. Quand on est concerné par le cancer, on sent les choses. Mon but était de montrer les difficultés extraordinaires de cette maladie pour le patient et sa famille».
Soheila Mehri dort dans la voiture sur le chemin de l'hôpital, le 23 février 2013 (AFP / Behrouz Mehri)
A 42 ans, Behrouz a couvert plusieurs conflits en Afghanistan, au Pakistan ou en Irak. Mais, souligne-t-il, «comme photojournaliste, je suis là aussi pour montrer les questions sociales. Avec nos photos, on voit, on sent et on montre la douleur».
Behrouz mélange moments d’émotion intense et instants de la vie quotidienne, comme le trajet vers l’hôpital, l’attente avant les séances de radiothérapie ou les célébrations de Nowrouz, le Nouvel an iranien le 21 mars.
«Le cliché de Sara, sa fille, qui caresse la tête de sa mère sur le lit d’hôpital est venu comme ça. Ma sœur était couchée et Sara s’est mise à côté d’elle, pour rassurer sa mère même si elle ne sentait pas sa présence à cause de la morphine, mais c’était un moment très émouvant».
Behrouz, qui avoue ne pas aimer couvrir les enterrements, n’a pas pris de photo lors des obsèques. «C’était au-dessus de mes capacités», explique-t-il. Il a attendu la fin de la cérémonie, «quand tout le monde était parti», pour photographier Sara et son frère, Hussein, assis devant la tombe de leur mère.
Il a attendu trois semaines, «le temps d’aller mieux», pour regarder les clichés, les éditer et décider de les envoyer. « Je ne veux toujours pas les voir mais elles sont gravées dans ma tête, dit-il. Je ne pense pas ça me fera du bien de les revoir».
Sara, à qui il a montré ces photos, a au contraire « voulu les voir et les revoir, pour regarder la réalité en face, que sa mère était partie », explique Behrouz.
L’AFP a mis en ligne la série de 21 photos sur sa base de données Imageforum. Patrick Baz, directeur de la photo pour l’AFP au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, n’a pas vu le moindre inconvénient à ce que l’agence diffuse à ses clients des images aussi personnelles. «Dans le mot photojournalisme, il y a certes le mot journaliste, mais il y a d’abord le mot photo», justifie-t-il.
«Les images de Behrouz sont touchantes et, si j’ose dire, belles. De nos jours, le photojournaliste ne doit plus se contenter de coller à l’actualité. Il doit également se lancer dans des sujets plus personnels, subjectifs, qui font la différence. Le public ne se contente plus de prendre ce qu’on lui offre. Il a besoin de savoir ce qui se passe dans la tête de chacun, de se poser des questions sur l’image. Les photos de Behrouz Mehri correspondent exactement à cette approche».
Le photographe iranien a suivi les pas de son collègue newyorkais Angelo Merendino, auteur au début de l’année d’un splendide essai photographique sur la lutte, finalement perdue, de son épouse contre le cancer du sein.