Furiani, 20 ans après
MONTPELLIER (France), 3 mai 2012 - On m'a demandé d'écrire sur Furiani alors que pendant longtemps je n'osais même pas parler. Sujet tabou! J'ai pensé non. Je me suis auto-convaincu que je ne devais pas le faire, que je n'avais rien à dire, aucun souvenir à raconter, aucun sentiment à partager sur les heures dramatiques que nous, les victimes, avions vécues. Mon cerveau souffre d'une affligeante vacuité de la catastrophe.
Pourtant, j'ai répondu oui à cette requête. Presque immédiatement. Un instant, j'ai essayé de me carapater, de m'excuser en affirmant que je ne comprenais pas ce qu'on voulait de moi. Mais déjà, je savais que cette excuse cachait la palinodie.
Au fond de moi, depuis quelques temps déjà, j'ai un profond besoin d'en parler. Une dernière fois. J'ai envie d'en finir, de classer définitivement ce dossier. Et basta! comme on pourrait dire sur l'Ile de Beauté qui est pour moi celle du malheur.
Je veux répondre une ultime fois aux sempiternelles questions qu'on me pose. Et surtout arrêter d'affronter avec affabilité les horripilants et détestables commentaires empathiques: "Ah vous y étiez! Vous avez été blessé ? Oh la la la !!! Je m'en souviens. J'étais devant la télé.... Et vous avez eu quoi ?"
Le rire de Thierry
Pour être franc, les images de cette funeste soirée dans mon esprit se situent bien avant la chute finale. Je suis sur le terrain je discute avec l'animateur, je rigole... Il doit être aux alentours de 19h15, 19h20.
Mes souvenirs de l'après-midi sont aussi intacts. Je savoure encore le repas au bord de l'eau pour le déjeuner avec Jean-Marie Lanoe, Laurent Wetzel et Jean-Paul Oudot. Le clapotis de la mer.
Je souris encore des conversations, des blagues de potache et des éclats de rires, dont celui de Thierry Roland à l'hôtel où toute la presse s'était retrouvée. J'entends toujours les vrombissements des moteurs des voitures du Tour de Corse croisées sur la route. Et je vois le rétroviseur qu'on a accroché...
La suite, toute la suite, jusqu'à mon réveil à l'hôpital quelques jours plus tard, ce ne sont que des souvenirs fabriqués, construits avec les mots que j'ai entendus, les images et les sujets télés que j'ai vus. C'est le néant total. Parfois des souvenirs refont surface. Puis ils s'échappent, s'évaporent, s'effacent. Comme si le disque dur refusait de graver ces instants de douleurs !
Dans cet accident, j'ai aussi perdu une partie de ma vie. De la mémoire de ma vie s'entend.
Table maudite ?
Dois-je me plaindre ? Certainement pas! J'ai été très grièvement touché: au cerveau, à l'oreille interne, aux yeux, à la colonne vertébrale, aux membres inférieurs... Sans un supporteur corse Daniel Bernardini, sans Franck Sauzée et Jean-Pierre Papin qui se sont occupés de moi sur la pelouse, j'aurais claboté.
A quelques millimètres près, ont dit les médecins, j'étais aveugle, sourd, paralysé ou anosmatique. Et au final, je fais la fortune des médecins, suis un insupportable patient et je prends moult potions et remèdes. J'ai beaucoup de séquelles avec des maux de têtes, un acouphène, des problèmes de dos et de jambes... Mais je vis, je travaille normalement alors que tant d'autres ont péri ou sont restés dans le malheur, paralysés. Que puis je faire d'autres que remercier ?
C'est vrai, vingt ans après, je garde encore de la rancoeur contre les responsables de cette catastrophe qui n'ont pas été condamnés comme ils auraient dû l'être. Je conserve aussi de la colère contre ces dirigeants, du club et d'ailleurs, qui à l'image du président de la FFF Jean Fournet "Fuyard" se sont débinés devant leurs responsabilités.
A titre perso, un regret ne m'a jamais quitté. J'aurais pu prévenir ce drame. Alerter. J'avais entraperçu les aberrations de la construction. Seulement, je n'avais pas assez réfléchi et malheureusement pas compris que cette tribune devait s'effondrer. Je m'étais simplement contenté de constater dans un papier écrit la veille: Furiani est une ruche. On y serre les derniers boulons.
A l'inverse, avec le temps, j'ai fini par effacer les remords qui m'ont rongés parce que j'avais survécu alors que d'autres ont péri
Mon acrimonie s'est au fil du temps estompée contre ce football qui a failli me plonger dans le noir et, l'OM en tête, m'a ensuite totalement oublié. A l'exception de Michel Vautrot, un homme hors du commun qui ne m'a jamais lâché. J'ai également laissé filer mon amertume de voir le ballon rond et le sport en général choisir le clan de l'argent.
Magie
J'ai repris mon métier. J'ai voyagé un peu partout dans le monde. J'ai vécu des moments magiques, des émotions exceptionnelles. Je me suis ébaubi devant le talent Phelps, de la Dream Team américaine, de Douillet, Riner ou de Manaudou. Je me suis ébaudi de la victoire des Barjots, des Costauds ou des Experts. J'ai couvert les jeux Olympiques d'Athènes et de Pékin.
J'ai envisagé de quitter le foot et j'y suis revenu pour le Mondial 1998 et l'Euro 2000 ou encore le titre de Lille. Pour mieux en repartir aujourd'hui à Montpellier. Surtout j'ai deux filles géniales, Laurie et Amélie. J'ai rencontré une compagne merveilleuse. Que de la chance et du bonheur.
Il me revient à l'esprit cette incroyable anecdote. Début janvier 1992, je suis invité au mariage d'un ami. Nous sommes huit convives à une table, dont quatre survivront à trois catastrophes en quelques semaines. Le premier sera un des 9 rescapés de la catastrophe du Mont-Saint-Odile (87 morts), un couple se sortira du crash de l'avion du Club Méditerranée au Sénégal (28 morts, 25 blessés) et moi.
Qu'ai-je à dire d'autre, que je suis verni ? J'ai souvent pensé que j'avais une bonne étoile. Elle ne m'a jamais fait gagner au loto. Comme moi, elle est un peu tête en l'air. Mais elle me tire des mauvais pas où je ne peux m'empêcher de fourrer mes pieds. Tant qu'elle brille, je ne me plains pas.
Extrait de "Furiani, 20 ans", livre à but caritatif écrit par un groupe de journalistes appartenant à la section Provence de l'Union des journalistes de sport en France. Cet ouvrage retrace les faits et recueille les témoignages de familles de victimes, de joueurs, dirigeants, médecins, élus, journalistes présents ce jour-là. L'intégralité des bénéfices servira à l'achat de lits médicalisés destinés à des hôpitaux de Marseille et de Corse. Voir la page de ce groupe sur Facebook ainsi que son site internet.