(AFP / Mandel Ngan)

Voyage secret en zone de guerre

WASHINGTON, 3 mai 2012 - Dans la nuit du 1er au 2 mai, Barack Obama se rend par surprise en Afghanistan. Cette visite éclair du président américain marque le premier anniversaire de l’élimination au Pakistan d’Oussama ben Laden. Pour des raisons de sécurité, la nouvelle d’un voyage aussi important dans un pays en guerre doit être tenue secrète jusqu’au tout dernier moment. Les journalistes qui accompagnent le président sont prévenus le plus tard possible. Et fermement priés de garder le mutisme le plus absolu jusqu’au feu vert de la Maison Blanche. Quatorze heures d’avion à l’aller, six heures de reportage photo au pas de charge en Afghanistan, quatorze heures d’avion au retour : Mangel Ngan, photographe de l’AFP à Washington, était à bord d’Air Force One pour ce voyage nocturne effectué dans le plus grand secret.

Dimanche 29 avril. A la mi-journée, le bureau de l’AFP à Washington reçoit un appel de la Maison Blanche, qui convoque pour l’après-midi ce qui semble être une réunion de routine pour les journalistes. « Ils ont dit que c’était une réunion à propos du G8 », raconte Mandel Ngan. « Ce n’est que lorsque nous sommes arrivés à cette réunion que nous avons appris que le président partait en Afghanistan ».

Rendez-vous est donné aux reporters le lundi soir à la base aérienne d’Andrews, près de Washington. D’ici là, silence radio obligatoire. L’agenda présidentiel quotidien publié par la Maison Blanche pour ce mardi 1er mai ne mentionne évidemment pas le voyage en Afghanistan. Officiellement, ce jour-là, Obama sera à Washington. Il doit y expédier les affaires courantes à huis-clos avec le vice-président Joe Biden, ses conseillers, le secrétaire à la Défense Leon Panetta…

Lors d’un déplacement, qu’il soit public ou secret, Barack Obama est entouré d’un « pool » de 13 journalistes. L’organisation de ce « pool » ressemble un peu à celle du conseil de sécurité des Nations unies : il y a des membres permanents, et des membres tournants. L’AFP fait partie des membres permanents pour ce qui est du pool photo (en revanche, les correspondants texte de l’AFP à la Maison Blanche doivent attendre leur tour pour participer aux voyages présidentiels). C’est ce qui permet aux photographes de l’Agence de ne rater aucun des voyages importants du président.

Le lundi soir, les membres du « pool » se rassemblent, dans la nuit, près d'une entrée secondaire de la base aérienne d'Andrews. Ils sont embarqués à bord d'un autobus bleu et transportés dans un « lieu sécurisé » pour y attendre l'embarquement. Avant cela, tout leur équipement de communication - ordinateurs portables et téléphones mobiles - leur a été retiré. Il ne leur sera rendu qu'après le décollage.

Quand ils embarquent, les journalistes trouvent les rideaux de tous les hublots de l'avion présidentiel abaissés. Ils le resteront pendant toute la durée du vol.

« Au total, le voyage n’a duré qu’une trentaine d’heures », poursuit Mandel Ngan. « En gros, c’était un très, très long vol. Nous avons passé plus de vingt-quatre heures dans les airs. La visite en elle-même s’est déroulée à toute vitesse ».

Quelques heures avant l'arrivée, des hauts fonctionnaires de la présidence annoncent le programme : Air Force One atterrira à la base aérienne de Bagram. De là, le président s’envolera en hélicoptère pour Kaboul où il rencontrera le président Hamid Karzaï. Il reviendra ensuite à Bagram pour haranguer les troupes américaines. Puis il rentrera aux Etats-Unis. En tout, il aura passé à peine six heures en terre afghane.

« Nous avons atterri à Bagram à 22h20 mardi soir. Le président a été accueilli sur le tarmac par l’ambassadeur américain en Afghanistan, Ryan Crocker, et le général Curtis Scaparotti », le commandant adjoint des forces américaines en Afghanistan. « Il a pris son hélicoptère. Nous avons pris notre hélicoptère. Nous sommes allés à Kaboul ». Ce n’est qu’une fois dans la capitale afghane que les journalistes sont enfin autorisés à annoncer au monde qu’Obama est là. 

Dans le palais présidentiel de Kaboul, Obama et Karzaï signent un accord de partenariat stratégique. Puis retour dans l’hélicoptère. Direction Bagram où une rencontre avec les troupes américaines stationnées en Afghanistan est programmée. « Une organisation typique. Entièrement encadrée par les Américains », continue Mandel Ngan. « Cela s’est passé dans un hangar, avec un grand drapeau américain en arrière-plan, et des véhicules militaires sur les côtés. Exactement comme quand le président visite une installation militaire aux Etats-Unis ».

Obama harangue ses troupes : « Nous avons évolué pendant plus d’une décennie sous les nuages noirs de la guerre. Pourtant ici, dans l’obscurité qui précède l’aube de l’Afghanistan, nous distinguons la lueur d’un nouveau jour poindre à l’horizon », lance-t-il.

(AFP / Mandel Ngan)

« Evidemment, les soldats étaient très excités de voir leur commandant-en-chef », raconte Mandel Ngan. « Mais en même temps ils avaient l’air fatigués. Il était trois ou quatre heures du matin. Je ne sais pas depuis combien de temps ils étaient là en train d’attendre ».

Mandel Ngan a à peine le temps d’envoyer ses photos qu’il lui faut déjà remonter à bord d’Air Force One. La visite est terminée. Direction les Etats-Unis. Encore douze heures de vol. Les journalistes à bord de l’avion présidentiel ne le savent pas encore, mais à Kaboul, une attaque des talibans a fait six morts, juste après le départ d’Obama.

Durant le voyage, « nous n’avons d’ordinaire aucun contact avec le président », raconte Mandel Ngan. « La cabine de la presse est séparée, à l’arrière de l’appareil. L’avion est compartimenté, ce n’est pas comme dans un avion de ligne. En général, nous ne quittons pas notre compartiment ».

Mais cette nuit-là, surprise: c’est le président lui-même qui rend visite aux journalistes. Ce 2 mai est l’anniversaire de la correspondante à la Maison Blanche de l’agence Bloomberg, Julianna Goldman, qui fait partie du voyage. Tout à coup, Obama en bras de chemise pousse la porte de la cabine de presse. Il porte dans une assiette une part de gâteau avec une bougie allumée. « Happy Birthday »…

(propos recueillis par Marlowe HOOD)

(AFP / Mandel Ngan)