Motardes et libres au Moyen-Orient
BEYROUTH, 12 janvier 2016 - Il y a quelque temps – je ne me rappelle plus quand exactement – j’ai découvert qu’il existe au Liban des femmes qui conduisent des motos. Mon pays offre beaucoup d’aspects différents. Dans un sens il est très européen mais tout de même, nous sommes au Moyen-Orient et voir des femmes circuler sur des motos n’est pas quelque chose de courant. J’ai voulu en savoir plus.
Depuis que je suis revenu m’installer au Liban, il y a quelques mois, je passe le plus clair de mon temps à travailler sur des projets qui documentent la société et les mœurs, sans lien direct avec l’actualité « chaude ». Pour ceux qui ne connaissent pas le Liban, disons que c’est un pays plein de contrastes et de contradictions malgré sa petite taille. Il est possible de skier le matin et de passer l’après-midi à la plage. A Beyrouth, on peut passer en quelques instants d’un quartier musulman conservateur où les femmes sont voilées et couvertes de la tête aux pieds à des rues qu’on pourrait facilement confondre avec celles de Moscou, Paris ou Los Angeles où les jeunes filles vont en minijupe et talons hauts. J’aime dire que le Liban est la patrie de toutes sortes de gens, des talibans aux chippendales.
Après avoir appris qu’il existait des motardes ici, je me suis renseigné. Et je me suis aperçu qu’elles ne sont pas qu’une ou deux, mais environ cinq cents à travers le pays. J’ai alors décidé de faire un sujet photo.
Les motardes m’ont accueilli avec enthousiasme. Il était clair que nous étions sur la même longueur d’onde. Les médias ont souvent tendance à stéréotyper les femmes arabes: conservatrices, religieuses, voilées… Alors que la réalité est beaucoup plus nuancée. En regardant les photos, je ne pense pas que le cliché de la « femme arabe » soit la première image qui vous vienne à l’esprit.
Quand ils ont vu le résultat, mes éditeurs à l’AFP m’ont chambré en me demandant si j’avais l’intention de faire de mes photos un calendrier. Mais, honnêtement, ce sont les motardes qui ont dirigé les séances de pose. Elles savaient exactement ce qu’elles voulaient. Moi je me contentais de dire, par exemple, qu’il me fallait une image sur la moto et une image à côté de la moto. Pour le reste, c’était elles qui décidaient, qui me disaient quel type d’image elles souhaitaient exactement.
Mon but, c’était de sortir du cliché, et je crois que nous y sommes parvenus.
Les femmes sur mes photos viennent de milieux très différents. Au Liban, il y a des musulmans chiites et sunnites ainsi que des chrétiens et des druzes, et les motardes sont issues de toutes ces communautés. Leurs points communs, c’est qu’elles proviennent toutes d’un milieu plutôt favorisé, qu’elles ont un travail et un esprit ouvert – j’imagine qu’il vous faut cela quand vous êtes une femme et que vous faites de la moto au Moyen-Orient.
Aucune de ces femmes n'est religieuse, mais certaines d’entre elles pratiquent leur passion à l’insu de leur famille, par crainte de réactions hostiles.
Ce qui unit ces femmes, c’est la liberté. Toutes m’ont fait l’éloge du sentiment de liberté qu’elles éprouvent au guidon de leurs bolides.
Elles m’ont dit qu’elles n’étaient jamais confrontées aux commentaires négatifs des autres conducteurs. C’est un peu surprenant, même si bien sûr elles ne s’aventurent jamais dans les quartiers où elles risqueraient de s’exposer aux quolibets. Selon elles, les autres usagers de la route sont généralement très positifs. Une des motardes m’a même raconté qu’un jour, un policier lui a lancé un défi pour voir lequel des deux irait le plus vite. Elle a poliment décliné. J’imagine qu’elle n’avait pas envie de savoir ce qui se passerait si, d’aventure, elle gagnait cette compétition!
Les motardes, au Liban, ne sont pas toutes libanaises. Dans des pays comme l’Arabie saoudite, les femmes n’ont même pas le droit de conduire une voiture, alors imaginez une moto… Donc elles viennent pratiquer leur passion sur nos routes.
Quand j’ai montré mes photos aux éditeurs de l’AFP, ces derniers ont suggéré d’étendre l’expérience à d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord où l’on ne s’attend pas, d’habitude, à trouver des femmes qui conduisent des motos. Les autres photographes de la région ont tout de suite adoré l’idée. C’est un beau projet, différent de ce que nous faisons d’habitude à l’agence.
« Au Maroc, la femme est souvent vue comme quelqu’un qui se cache, qui est soumise », raconte par exemple le photographe marocain Fadel Senna. « Bien sûr, de telles femmes existent, mais il y a aussi toutes sortes d’autres femmes dans ce pays et c’était une bonne façon de le montrer. La moto, c’est un symbole de liberté et cela correspond bien à l’idée qu’au Maroc, toutes les femmes ne sont pas conformes au stéréotype ».
« J’ai photographié trois femmes », poursuit Fadel. « L’une était dessinatrice de mode et faisait du motocross, une autre était policière et la troisième était kinésithérapeute et possédait une Harley Davidson. Toutes trois ont des familles qui les encouragent. La femme policier est un cas un peu à part, car conduire une moto fait partie de son métier. Elle dit que travailler à moto lui donne l’impression de participer à l’émancipation de la femme et donc à l’évolution de son pays. Quant à celle qui fait du motocross, elle a un mari entraîneur de motocross, donc tous deux partagent la même passion. Elle était très enthousiaste à l’idée de se faire prendre en photo, pour montrer aux autres femmes que tout est possible. Comme elle pratique essentiellement son sport sur des pistes spécialisées, elle n’est pratiquement jamais confrontée à des commentaires négatifs »
« La femme qui conduit la Harley Davidson est la seule des trois qui, de temps en temps, attire sur elle une certaine opprobre. Je pouvais le sentir pendant que nous prenions les photos. Quand les gens la voient, ils sont choqués, ils ne comprennent pas, au mieux ils sont curieux. Contrairement à Marrakech, on voit assez rarement des filles en scooter à Rabat, et une femme qui pilote ce genre de moto grosse cylindrée est encore plus voyante. Les hommes la dévisagent, pas d’une façon sympathique. »
« Elle n’a jamais été agressée physiquement, mais il ne fait aucun doute que beaucoup désapprouvent ce qu’elle fait, même si d’autres la félicitent aussi pour son courage ».
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En Iran, conduire une moto en public est interdit aux femmes, explique Atta Kenare, l’auteur de la série d’images prise en Iran.
« Je me suis concentré sur Behnaz Shafiei. Elle a 27 ans, est diplômée en comptabilité mais a quitté son travail pour se concentrer sur les compétitions de moto. Elle a la chance d’avoir l’approbation de sa famille ».
La motarde iranienne Behnaz Shafiei au stade d'Azadi à Téhéran, le 14 décembre 2015 (AFP / Atta Kenare)
« Elle et les autres passionnées de moto ne peuvent piloter que sur circuit. Quand j’ai pris mes images, elles étaient une dizaine, dans le complexe sportif d’Azadi à Téhéran. C’était la première fois que des motardes venaient là. Shafie essaye d’encourager d’autres femmes à faire de la moto, pour montrer que la place d’une femme iranienne n’est pas uniquement à la maison. Ses amies et elle essayent de monter une section féminine au sein de la fédération nationale de moto. Nous verrons si elles y arrivent ».
Patrick Baz est un photojournaliste de l'AFP qui vit actuellement à Beyrouth. Suivez-le sur Twitter (@Patrick_Baz) et sur Instagram. Cet article a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit de l'anglais par Roland de Courson.