L’ONU, Brangelina et moi

NEW YORK (Nations-Unies) – L’ambassadrice américaine Samantha Power appelle ça « le speed dating diplomatique ». Mais pour les journalistes qui suivent les hauts dirigeants venus des quatre coins du monde à l’assemblée générale annuelle des Nations-Unies à New York, la réalité est beaucoup moins émoustillante.

La folie commence quelques semaines avant l’AG, quand ma boîte mail commence à déborder d’invitations à couvrir des « événements de haut niveau » concernant tous les sujets possibles et imaginables, du changement climatique à la résistance aux microbes. Les organisations non-gouvernementales mettent à notre disposition des experts pour discuter de la crise des réfugiés. Des agences de relations publiques nous demandent si nous ne serions pas intéressés par une interview avec le ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan. L’épouse du président turc Recep Tayyip Erdoğan invite les journalistes à une conférence sur « les avancées de l’économie et de la démocratie turques ». Bref, pour l’assemblée générale de l’ONU, tout le monde arrive en ville.

Des délégués se prennent en photo avec Aung San Suu Kyi (AFP / Don Emmert)

S’agissant de couvrir le séjour de presque tous les dirigeants de la planète, une sélection s’impose. Il faut aussi faire le tri parmi toutes les invitations à des réceptions. Cette année, j’irai à un cocktail donné par un des favoris au poste de secrétaire général de l’ONU. Je sais que les Russes ont de fortes chances d’y être. C’est toujours intéressant de parler avec les Russes.

Alors que la semaine vient à peine de démarrer, l’agréable promenade à pied de cinq minutes qui sépare habituellement la station de métro de mon bureau au siège de l’ONU s’est transformée en vingt minutes de parcours d’obstacles. Les rues sont bloquées, et les policiers du NYPD répètent inlassablement la même consigne : « vous devez faire le tour ».

Le président iranien Hassan Rouhani quitte la salle après son discours devant la 71ème assemblée générale de l'ONU, le 22 septembre (AFP / Jewel Samad)

C’est ma troisième assemblée générale, mais c’est toujours aussi excitant de voir le président iranien Hassan Rouhani passer près de moi me fait toujours autant d'effet. Les dirigeants de l’ensemble des 193 pays membres de l’ONU se succèdent à la tribune pour faire connaître au monde leur message. Il y en a pour six jours de discours, à quoi s’ajoute, cette année, un sommet sur la crise des réfugiés.

La rumeur affirme qu’Angelina Jolie, qui est l’envoyée spéciale du Haut-comité des Nations Unies pour les réfugiés, va dire quelque chose au cours de ce sommet. L’ONU aime se servir des célébrités pour générer du buzz sur ses actions. Mais finalement, le sommet se termine sans que l’actrice ait pointé le bout de son nez.

Barack Obama prend la parole devant l'assemblée générale de l'ONU, le 20 septembre (AFP / Drew Angerer)
Angelina Jolie et Brad Pitt, en juin 2014 à Londres (AFP / Carl Court)

 

Le lendemain, alors que Barack Obama prend la parole devant l’AG pour la dernière fois de sa carrière de président des Etats-Unis, on apprend la raison de l’absence d’Angelina: son divorce avec Brad Pitt.

Nous sommes plusieurs à mettre un moment à encaisser la nouvelle. Un collègue se désintéresse complètement du discours historique d’Obama pour envoyer un texto à un de ses collègues : « Vous avez appris la nouvelle ? Angelina Jolie quitte Brad Pitt ? »

 « Elle a annoncé ça à l’ONU ? » lui répond le collègue en question.

George et Amal Clooney, pendant une table ronde au siège de l'ONU le 20 septembre (AFP / Jim Watson)

A défaut d’Angelina, d’autres célébrités font leur apparition à l’AG. Amal Clooney rejoint le chef de la diplomatie britannique Boris Johnson pour évoquer les poursuites judiciaires contre le groupe Etat islamique pour ses crimes. Forest Whitaker vient promouvoir les objectifs de développement durable de l’ONU (il y en a dix-sept, et ils ont été adoptés lors de l’AG de l’an dernier). Stevie Wonder qualifie le secrétaire général sortant Ban Ki-moon de « rock star » pour son action en faveur de la paix.

Un des héros méconnus de l’AG s’appelle Peter Thomson. C’est l’ambassadeur des îles Fidji et cette année il préside l’assemblée générale. En ouvrant les débats, il demande à tout le monde de se taire pendant les discours. Plus tard, à une reprise, il ordonne au service de sécurité de faire sortir de la salle un groupe de diplomates aux bavardages trop bruyants. Tout de suite, tout le monde l’adore.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon (à gauche) et le président de la 71ème assemblée générale, le Fidjien Peter Thomson (AFP / Jewel Samad)

Alors que l’AG touche à sa fin et que les cortèges officiels dans les rues de New York se font plus rares, que dois-je retenir de cette édition 2016 ? Pour en revenir à ce que disait Samantha Power sur les « speed datings diplomatiques », l’essentiel se déroule dans l’ombre, lors des innombrables tête-à-tête entre chefs d’Etat et de gouvernement pour discuter à huis-clos des principaux problèmes du monde. Ces conversations privées sont cruciales. J’espère que cette année, elles auront été nombreuses et fructueuses. Ce ne sont pas les sujets qui manquent : la Syrie principalement, mais aussi le Yémen, le Soudan du Sud, l’Irak, la Libye, l’Ukraine, la Corée du Nord…

Et alors que l’assemblée se termine, les mauvaises nouvelles habituelles continuent à tomber, comme l’attaque d’un convoi humanitaire de l’ONU à Alep. La grande roue de la diplomatie mondiale continue à tourner, mais probablement pas assez vite.

La ville syrienne de Homs, le 19 septembre (AFP / Louai Beshara)

 

Carole Landry