Les femmes sans visage de Bogotá

BOGOTA, 30 octobre 2012 – En Colombie, brûler le visage de quelqu’un avec de l’acide peut rester impuni. Juridiquement, ce type de violence est qualifié de simples « coups et blessures », passible de quatre ans de prison au maximum. Encore faut-il que l’agresseur ait été identifié, ce qui est rarement le cas.

La faiblesse des sanctions encourues, et le fait de voir des victimes d’attaques à l’acide protester pour une justice meilleure, est ce qui m’a encouragé à faire ce sujet. J’ai donc commencé à chercher, à Bogotá, des femmes ayant subi cet horrible supplice.

Viviana Hernández, 28 ans, attaquée par son mari (AFP / Luis Acosta)

Pourquoi ce genre de chose arrive-t-il ? Qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à commettre un crime aussi atroce ? Telles étaient les questions qui me venaient à l’esprit au début de mes recherches. J’ai obtenu les réponses petit à petit en rencontrant Gina, Nubia et Maria, trois des femmes que nous avons interviewées pour notre reportage.

Nubia était revenue du Venezuela pour passer Noël chez elle, à Bogotá avec ses enfants et son mari. Une nuit, alors qu’elle rentrait à la maison, deux personnes lui ont jeté de l’acide au visage. Elle attribue l’attaque à « la jalousie d’une voisine pour sa beauté ». Elle n’a jamais pu identifier ses agresseurs.

Maria marchait vers son travail quand, dit-elle, elle a senti « de l’eau » sur son visage. Sauf que malheureusement, ce n’était pas de l’eau. C’était de l’acide, lancé par un homme stipendié par son conjoint, lequel voulait se venger parce qu’elle voulait le quitter. « Si elle n’est pas à moi, elle ne sera à personne », disait-il. Mais faute de preuves, et faute d’avoir formellement identifié le coupable, ce crime reste impuni à ce jour.

Maria Cuervo, 41 ans, agressée en 2004 (AFP / Luis Acosta)

Après avoir entendu leurs histoires, et les avoir comparé avec des cas similaires survenus dans d’autres pays, je leur ai proposé de poser en tenant, à la main, une photo d’elles avant leur agression.Elles n’ont pas été faciles à convaincre. Elles subissent en permanence le rejet de la société. Et malgré leur terrible situation, elles conservent un certain sens de la coquetterie. Mais après quelques conversations, nous sommes parvenus à un accord sur comment seraient réalisées les photos.

Ce qui m’a le plus frappé, en arrivant chez elles, c’est que malgré leurs souffrances, elles étaient toujours souriantes. Grâce à elles, les séances de pose ont toujours été des moments agréables et paisibles.

Elles étaient prévenues du fait que le reportage allait certainement avoir un retentissement national et international. Mais le constater pour de vrai n’a pas toujours été facile pour elles. Quand mes photos ont été diffusées massivement sur les sites internet et à travers les réseaux sociaux, elles m’ont téléphoné pour me demander de retirer les images, ce qui était bien sûr impossible. Heureusement, le lendemain, les médias imprimés ont publié ces photos avec respect, en soulignant le courage de ces femmes qui acceptaient de s’exhiber à la face du monde pour exiger de meilleures lois contre de telles atrocités.

Gina Potes, 35 ans (AFP / Luis Acosta)

Viviana Hernández, 28 ans, attaquée par son mari (AFP / Luis Acosta)