Les bons garçons de la bande à Messi
ROSARIO (Argentine), 3 juin 2014 – La mission consiste à retrouver les traces laissées par le crack du football Lionel Messi à Rosario, sur la rive du fleuve Paraná, où il était né treize ans avant d’émigrer à Barcelone. Le tout alors que cette ville, la troisième d’Argentine, fait les gros titres de la presse nationale à cause de l’insécurité et du trafic de drogue qui y règnent. Le taux d’homicides y est quatre fois plus élevé que la moyenne du pays.
« Fais attention, le quartier de Messi est une des zones les plus dangereuses de la ville maintenant », m’avertit un collègue de la presse locale avant mon arrivée.
Allons bon… C’est mon premier reportage de terrain en Argentine. Et moi qui pensais que le sujet était plus léger que ceux que j’avais auparavant l’habitude de traiter au Venezuela et en Haïti…
Je m’attends à devoir travailler au milieu d’un ghetto infesté de bandits et de narcotrafiquants, à ce qu’on m’empêche d’aller où je veux. Même sans cela, je suis un peu sceptique quant à la possibilité de retrouver des reliques de Messi dans un endroit que sa famille et lui ont quitté depuis si longtemps. Mais un de ses premiers entraîneurs, ainsi que l’endocrinologue qui avait diagnostiqué son grave problème de croissance lorsqu’il avait neuf ans, nous ont déjà donné rendez-vous pour une interview. Rien qu’avec ça, le voyage est justifié.
Mais qui pourrait parler en toute honnêteté de l’enfance de Messi, ou d’aspects plus personnels de la superstar du football mondial ?
A l’heure du déjeuner, notre équipe multimédia s’approche de l’école primaire du quartier de Las Heras, que fréquentait Messi. Un enfant s’approche de nous. Il s’appelle Lucas Pavicich, il a douze ans et il veut savoir pour quelle chaîne de télévision nous travaillons. Il affirme qu’il est très ami avec Tomás Messi, un neveu du footballeur. « Ils sont tous tellement normaux dans cette famille que, quand tu lui parles, tu ne peux pas imaginer que son oncle est ce qu’il est », dit-il, en nous indiquant où nous pourrions le trouver.
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Dans l’école, nous rencontrons Mónica Dómina, l’institutrice de Messi lorsqu’il avait entre sept et onze ans. Ravie que « des journalistes français » soient venus lui demander de parler de son ancien élève, elle nous entraîne vers la cour de récréation et elle ameute toutes les autres maîtresses qui ont connu le footballeur lorsqu’il était petit. « C’était un enfant tout menu, tellement timide qu’on avait envie de le serrer dans ses bras », raconte-t-elle. « Quand arrivait l’heure de la récré, il allait directement jouer au football. Le ballon le transformait ».
Madame Dómina dispose de toute une collection de coupures de presse et de photos de classe. Elle nous montre celle sur laquelle l’actuel capitaine de l’équipe d’Argentine était le plus petit garçon de sa classe, ainsi qu’un ancien devoir de sciences naturelles. Une des questions posées est : « Quelles choses autour de toi ont de la vie ? » - « Le chat », a répondu le futur attaquant international. « Pourquoi ? » - « Parce qu’il a sept vies ».
« Le destin vous réserve de ces surprises », nous dit l’enseignante en agitant le bout de papier jauni. « Sur les 45 devoirs de la classe, c’est le seul que j’ai gardé ! »
Nous suivons les indications de Tomás et nous arrivons dans la rue Estado de Israel, à quelques pâtés de maison de l’école. C’est une rue étroite qui compte une dizaine de maisons. Celle située au numéro 575 est de toute évidence la moins modeste, mais sans ostentation. C’est le logement de la mère de Messi, Célia, et des trois frère et sœurs du joueur. Sur le pas de leur porte ou à l’entrée de leur garage, les voisins nous racontent aimablement quelques anecdotes sur l’enfance de celui qui est considéré comme un des plus grands joueurs de football de tous les temps.
Dans ce quartier, toute personne âgée d’une vingtaine d’années a le souvenir d’une quelconque espièglerie perpétrée en compagnie de « Leo » Messi. Certains restent en contact avec le joueur via les réseaux sociaux. D’autres, comme Diego Vallejos, dont la sœur a épousé un des frères Messi et a eu deux enfants, sont encore plus proches de lui. Tous parlent avec enchantement de la fête d’adieux de l’attaquant, du jour où l’électricité est tombée en panne dans le quartier, ou des virées clandestines dans un terrain militaire voisin pour y jouer à la guerre. Personne ne semble se glorifier particulièrement du fait d’être ami avec le meilleur joueur de football du monde. Aucune grandiloquence quand ils parlent de celui qui, pour eux, n’est ni un mythe ni une légende, mais tout simplement « un ami de toujours ». Même si cet ami n’habite plus à Las Heras depuis quinze ans, ayant émigré en Catalogne avec toute sa famille pendant la débâcle économique en Argentine en 2001.
Quant à la famille proche de Messi, elle a appris depuis longtemps à déjouer les tentatives d’approche des médias. Lorsque son père Jorge Messi, sa sœur Marisol ou ses grands-parents tombent sur un journaliste, ils restent polis mais fermes. Lorsqu’un reporter vidéo aborde le père de Messi dans les bureaux de la fondation qui porte son nom, l’homme le prie courtoisement de respecter son aversion pour les micros, les caméras et les dictaphones. Il lui demande, à la place, de lui envoyer des questions par mail, auxquelles il ne répondra jamais. « Ils n’aiment pas parler », m’explique un proche de Monsieur Messi-père.
Il semblerait que Lionel Messi soit aussi habile avec un ballon qu’en amitié. Jamais il n’a pris ses distances avec ses meilleurs amis d’enfance. Et tout comme, sur le terrain, il ne semble jamais déconcentré par les cris provenant des gradins, la fortune et la gloire ne l’ont jamais éloigné de son quartier de Las Heras.
Ah, et au fait, l’endroit ne ressemble nullement à un quartier chaud de Tijuana ou Caracas ou à une favela de Rio de Janeiro. C’est un quartier ouvrier typiquement sud-américain où les gendarmes s’efforcent de mettre fin à des rivalités entre petits trafiquants de drogue et à une vague inhabituelle de violences entre bandes de jeunes.
Mais les amis de Messi regardent tout ça depuis les tribunes : tranquilles, humbles, concentrés sur leur quotidien, avec le même regard timide que leur célèbre ami, ils ont tous l’air d’être des bons garçons.
Paula Bustamante est correspondante de l'AFP à Buenos Aires.