Les agriculteurs de la 16è étape
Côte de Fanjeaux, Aude -- Un Tour de France à l’arrêt, peu après le départ d’étape, est rarissime. Deux photographes, Jeff Pachoud et Marco Bertorello, racontent cet incident hors du commun, intervenu entre Carcassonne et Bagnères-de-Luchon le mardi 24 juillet.
Jeff Pachoud
Une interruption de course dans le Tour de France, c’est une chose assez rare. C’est ma sixième édition et je n’ai pas le souvenir d’en avoir vécu une seule.
Une fois que le départ est donné la course est quelque chose de toujours en mouvement avec son escorte de motards de la Garde républicaine. Le long du parcours se trouvent aussi des gendarmes mobiles et locaux qui sécurisent des endroits précis, comme les carrefours.
La 16è étape, la deuxième plus longue de ce Tour, avec 218 km, a commencé normalement. Mais très vite après le départ on entend un message de la radio du Tour nous indiquant qu’il faut nous rendre directement au 28è kilomètre, sans aucune explication.
On est tous branchés en permanence sur ce système de communication qui transmet les informations de la direction de la course.
Je suis avec le motard loin devant la tête. Juste avant d’arriver au 28è km on voit les bottes de paille sur la chaussée. Ça chauffe un peu avec les forces de l’ordre d’un côté et des éleveurs de l’autre. Les premiers essaient de sortir les seconds de la route. Les éleveurs ont l’air très remontés. Ils disent que leur situation est critique, et que personne n’a répondu à leurs demandes d’aide. Qu’on leur a promis de les écouter mais sans y donner suite.
Et pendant ce temps la course avance. Quand les éleveurs voient les coureurs arriver ça en énerve certains. Et notamment cette femme, qui est sortie manu militari par les gendarmes du chemin des coureurs.
Marco Bertorello
Je suis arrivé à ce moment
Radio Tour nous a prévenu de faire attention, parce que la tête du peloton était arrêtée plus loin. Grâce au motard j’ai dépassé tout le monde pour rejoindre le maillot jaune.
Je suis arrivé en tête de course et j’ai vu Geraint Thomas, pleurant et se frottant les yeux à cause des lacrymogènes utilisés juste avant contre les agriculteurs. Les coureurs avec lui étaient très calmes, très professionnels. Ils avaient juste besoin de se nettoyer les yeux.
Jeff Pachoud
J’ai vu les coureurs passer mais je suis resté avec les agriculteurs et les forces de l’ordre. C’est l’avantage de couvrir la course avec deux photographes.
C’était un drôle de moment. Quand on suit le Tour on se conditionne à la photo de sport, et là il a fallu passer en un instant en mode couverture de manifestation. C’est un peu étrange. J’en ai couvert des dizaines, de manifestations, on a le temps de sentir la tension monter. Là ça se percute brutalement avec un autre monde.
Ce n’est pas à moi de juger qui a raison ou tort. Il y a ce gendarme avec sa matraque, qui doit subir une pression énorme pour ouvrir la route au peloton des cyclistes, cette agricultrice, apparemment en grande détresse, et ces éleveurs qui doivent être suffisamment désespérés pour en arriver à une telle extrémité, bloquer le Tour.
Après, Marco et moi on est reparti dans l’autre monde, sans savoir ce qui sera arrivé à ces gens. Il y a eu un coup de drapeau et la course a repris. Le Tour continue.