L'enfer à Notre-Dame
Notre-Dame de Paris. Ils l'ont tous connue comme simples habitants de Paris mais aussi et surtout comme journalistes. Un reporter, une JRI et cinq photographes de l'agence racontent ce qui les a frappés en couvrant l'incendie qui l'a ravagée en l'espace de quelques heures.
Geoffroy Van der Hasselt
J’ai fait tout le tour de la cathédrale à pied. Il y avait un périmètre, mais avec un collègue on est rentrés un peu dedans. Pendant que je marchais je regardais mes images et je les transmettais en même temps. Le moment le plus impressionnant pour moi a été celui quand le toit de la nef s’est effondré. Parce que les gens qui m’entouraient n’ont pu réprimer un cri d’étonnement, avant que la flèche s’effondre.
C’est ça qui m’a le plus impressionné, ces centaines de gens qui ne pouvaient pas contenir leur stupeur. Ensuite j’ai vu venir le moment où la flèche allait tomber. J’étais très concentré pour ne pas louper la rafale photo. Je n’avais pas le droit de me laisser prendre par l’émotion. Quand je détournais les yeux de l’incendie, c’était pour prendre les visages des gens autour de moi.
Un autre moment qui m’a marqué était ces gens qui chantaient. Je ne sais pas quoi, ça ressemblait à des chants religieux, en français. C’était touchant.
Ludovic Marin
On m’a dit que la photo qui marque est celle de la rosace, dont les formes sont découpées par la lueur des flammes derrière. Je ne sais pas quelle est la plus forte. C’était terrifiant quand le toit était totalement en feu, ravagé par les flammes. J’avais fait beaucoup de reportages à l’intérieur, et devant ce spectacle effrayant je me suis dit : « Voilà, c’est bon, tout va partir ».
Je regardais en me souvenant de tout ce que j’y avais vu avant. J’étais dans la flèche il y a six mois, en y accédant par une sorte de boyau étroit. Tous mes souvenirs sont remontés d’un coup. Ça m’a un peu immobilisé, pendant 20 secondes je me suis arrêté. Le spectacle était abominable. Et puis le réflexe professionnel a repris le dessus.
Pendant toute cette soirée, j'ai croisé une immense foule de parisiens et d'étrangers. Tous étaient stupéfaits et silencieux, beaucoup priaient et chantaient des chants religieux jusqu'à tard dans la nuit. Beaucoup filmaient avec leur smartphone pour partager sur les réseaux sociaux, et du coup il était parfois difficile de transmettre mes photos.
J'ai parcouru plusieurs points en hauteur pour avoir une vue sur le toit et l'incendie, et j'ai toujours été accueilli à l'improviste par des gens formidables, mais très peinés par le drame.
J’ai eu l’impression que toute la ville priait pour que la cathédrale tienne le coup, et résiste à l'assaut des flammes. Je crois qu'un petit miracle s'est produit car elle a tenu bon la dame de cœur de Paris !
Agnès Coudurier
J’ai proposé de partir à 19h04. Nous nous sommes mis en route avec mes deux collègues Frédéric Jeammes et Grégoire Ozan et à 19h25 nous étions en live sur le parvis de l’Hôtel de ville.
L’atmosphère était hallucinante. C’était la première fois que je voyais autant de gens en train de filmer avec leurs téléphones. Pas un ou presque ne regardait avec ses yeux seuls. Chaque chute de matériaux était ponctuée de cris dans la foule. Je ne pensais pas que ça m’ébranlerait à ce point. Il y avait une grande émotion partagée.
En quittant l’agence je pensais que l’incendie serait éteint le temps que nous arrivions sur place. C’est souvent ce qui se passe. J’avais même dit à la maison : « Attendez-moi pour le dessert ». Quand nous sommes arrivés il y avait une marée humaine sur le parvis.
J’ai été vraiment touchée par l’effondrement de la flèche. On savait bien qu’il n’y avait ni mort ni blessé, mais c’était un moment où un témoin de l’Histoire bascule. Ça m'a pris à la gorge.
Eric Feferberg
A des moments j’avais le souffle coupé. L’émotion était telle qu’à plusieurs reprises je me suis trouvé comme arrêté. Et à ce moment-là je me disais : « merde, il faut que je travaille ».
Le plus impressionnant a été l’émotion de la foule. Tous les gens étaient comme abasourdis. J’en ai vu à genoux par terre, regroupés près d’une petite église, très émouvants. J’ai essayé de montrer tout ce monde qui assistait, impuissant, à la destruction en deux heures d’une cathédrale qui a mis cent ans à être construite.
J’ai fait un tournage en drone de la Seine et des monuments la semaine dernière, avec des vues de la cathédrale. C’est mythique, c’est le cœur de Paris.
Patrick Anidjar
J’habite à une centaine de mètres de Notre-Dame. J’étais en train de jouer un morceau de jazz avec ma guitare quand j’ai senti une drôle d’odeur. Je suis allé à la fenêtre pour voir d’où elle venait. En me penchant j’ai aperçu Notre Dame. Une énorme colonne de fumée jaune s’élevait derrière ses deux tours. J’ai attrapé mon téléphone et j’ai couru voir.
Dehors, c’était le chaos. Il y avait des gens partout, les policiers criaient et essayaient de faire reculer la foule. J’ai réussi à me rapprocher grâce à ma carte de presse et j’ai commencé à prendre photos et vidéos.
J’ai vu les flammes courir jusqu’en haut de la flèche et puis le toit s’enflammer. Les tours de la cathédrale sont en pierre mais je savais que l’essentiel de la structure derrière était faite de bois. J’ai pris des photos, fait des vidéos, et envoyé ça aux éditeurs de la cellule des réseaux sociaux. Et puis j’ai recommencé. Avant de m’apercevoir au bout d’un quart d’heure que rien n’était parti, faute de réseau. J’ai tout renvoyé depuis le wi-fi d’un café.
Notre dame en feu pic.twitter.com/lTv8uGWnEl
— patrick anidjar (@PatrickAnidjar) April 15, 2019
Entretemps la flèche s’était effondrée. L’aspect général de l’endroit avait changé. Sans elle, c’était devenu un autre monument.
Philippe Lopez
Je suis venu en renfort un peu tard. J’avais terminé mon travail et j’étais chez un ami quand j’ai reçu le coup de téléphone m’apprenant la nouvelle. Je suis repassé chez moi prendre mon matériel. J’ai filé à la tour Montparnasse.
Une fois en haut je me suis arrêté juste avant de faire des photos. En prenant le temps de regarder la chose m’a fait penser à un cercueil ouvert, sans couvercle. La flèche était déjà tombée. Les flammes donnaient l’impression de venir de l’intérieur même du bâtiment. Ça brûlait de l’intérieur.
J’ai accusé le coup. J’avais déjà couvert Notre-Dame. Souvent avec des vues de l’extérieur. Une truc classique que nous faisons tous, quand les arbres sont en fleurs, au printemps, comme maintenant.
François Guillot
A un moment je me suis arrêté de travailler, quand on n’a plus pu accéder au site. On nous a dégagés très vite de l’Ile de la Cité.
Quand tu vois le public c’est assez fascinant. Bizarrement c‘est un spectacle captivant, un tel incendie.
Je ne me suis pas arrêté de travailler. Mon problème était de se déplacer dans la foule. Il y avait tout Paris dans la rue. J’ai eu la chance d’arriver un peu tôt.
C’est l’incendie qui m’intéressait, plus que la foule. La photo que je préfère est celle avec le soleil. Sans le drame de l’incendie, elle aurait un côté carte postale. Après tout, je reste photographe.
Ce blog a été écrit avec Pierre Célérier et Yana Dlugy à Paris.