Le baiser de Marseille
MARSEILLE, 24 octobre 2014 – L’Alliance Vita, une association qui milite contre l’avortement et le mariage gay, manifestait dans plusieurs villes de France ce mardi 23 octobre contre un projet de loi qui va autoriser le mariage et l'adoption par les couples homosexuels. Au départ, je n’avais pas prévu de couvrir la manifestation à Marseille car plusieurs autres bureaux de l’AFP en France étaient sur le coup et devaient transmettre des images de leurs manifs respectives. Mais finalement, comme je n’avais rien de spécial à faire ce matin-là, j’ai décidé d’aller y faire un tour quand même.
Les manifs de l’Alliance Vita obéissent à une mise en scène très réglée, assez kitsch : il y a les hommes d’un côté de l'allée, les femmes de l’autre, un type déguisé en oiseau symbolisant l'enfant, avec le mot "papa" écrit sur une aile et "maman" sur l'autre… J’étais en train de prendre des photos au milieu des manifestants, sur la place devant la préfecture, quand j’ai vu débouler deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années. Elles se sont arrêtées et elles se sont embrassées passionnément sur la bouche devant tout le monde. La scène a duré à peine trois ou quatre secondes. Mois j’étais là et j’ai appuyé sur le déclencheur. J’ai pu prendre neuf images, avec deux focales différentes. Puis les deux filles sont parties comme elles étaient venues, en remontant l’allée parmi les manifestants.
Tout le monde a été pris par surprise. Les manifestants étaient totalement scotchés ! Ils n’ont pas eu le temps de réagir. En partant, les deux filles ont apostrophé les manifestants, mais il n’y avait aucune agressivité de part et d’autre. Certains manifestants avaient même l’air amusés par leur audace. Je regrette de ne pas avoir parlé avec les deux jeunes femmes pour leur demander qui elles étaient et pourquoi elles ont fait ça.
A côté des manifestants de l’Alliance Vita, il y avait deux militants anti-homophobie qui étaient là pour donner le change. Alors, était-ce une mise en scène délibérée ? On peut se poser la question, mais personnellement je ne crois pas. Les deux filles sont arrivées, elles se sont embrassées et elles sont reparties très rapidement sans chercher à poser devant les caméras. Je penche pour le geste de défi spontané, une façon originale de détourner l’attention. Aucune télévision n’a filmé la scène et je crois avoir été le seul photographe à la capturer.
J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. C’est souvent ça, la photo. Quand en plus l’image touche à des questions fondamentales, comme la famille, alors ça acquiert facilement un retentissement énorme.
Mais j’avoue qu’au départ, je n’avais pas du tout réalisé la portée de cette image. J’avais trouvé la scène assez marrante, mais je me disais que ça allait être une simple photo insolite qui allait illustrer un aspect anecdotique des manifs de ce jour-là. Mais l’image s’est vite retrouvée sur les réseaux sociaux et à partir de là, ça a pris une ampleur énorme. Un tel phénomène ne se serait pas produit il y a cinq ans.
Gérard Julien est un photographe de l'AFP basé à Marseille (NDLR: les deux protagonistes ont par la suite été retrouvées et interviewées par le magazine gay Têtu).