Après l'attentat dans le quartier chrétien d'Ashrafieh à Beyrouth, le 19 octobre 2012 (photo: AFP / Patrick Baz)

A Beyrouth, le spectre des années noires

BEYROUTH, 20 octobre 2010 - Comment un weekend à Beyrouth qui s’annonçait paisible, dans une ville revenue au calme depuis des années, m’a replongé tout à coup dans mes pires souvenirs des années 1980…

L'attentat à la voiture piégée contre le chef du renseignement de la police libanaise a fait huit morts et 86 blessés. J’étais au volant de ma voiture, en train de ramener de l’école ma fille de 16 ans, Yasmeen, quand nous avons aperçu la colonne de fumée noire à trois ou quatre kilomètres de là où nous nous trouvions. Le bureau de l’AFP à Beyrouth avait déjà appris la nouvelle de l’attentat par la télévision, mais aucun de nos reporters n’était encore arrivé sur place. J’ai dit à Yasmeen : « je dois y aller, est-ce que ça va avec toi ? » Elle a répondu qu’elle était d’accord.

(AFP / Patrick Baz)

Pendant que je conduisais, je voyais mes collègues photographes me doubler en scooter. Nous avons fini par abandonner la voiture dans la rue et par continuer à pied, en courant au milieu des odeurs de pneus et de voitures calcinés. Je porte toujours sur moi un petit appareil Canon G12, avec lequel j’ai pris ces images.

C’était apocalyptique. Je me suis tout à coup retrouvé dans le Liban des années 1980, celui dans lequel j’avais débuté comme photographe. L’attentat a ensanglanté un quartier d'Ashrafieh, dans lequel j’avais maintes fois photographié des horreurs trente ans plus tôt. J’ai appelé le bureau de Beyrouth, et passé le téléphone à ma fille. C’est elle qui a répété à un journaliste du bureau toutes les descriptions que je faisais pendant que je prenais des photos de la scène. Elle-même a pris des photos, pour elle, avec son iPhone (aucune de ses images n'a, évidemment, été utilisée par l'AFP).

(AFP / Patrick Baz)

Après, certaines personnes m’ont dit que j’étais complètement fou d’avoir entraîné ma fille là dedans. Moi je pense qu’il valait mieux qu’elle voie la réalité plutôt qu’elle reste sur un fantasme. Ce n’était d’ailleurs pas sa première expérience de la violence. En 2005, les vitres de son école avaient volé en éclats lors de l’attentat contre le Premier ministre Rafiq Hariri.

Plus tard, j’ai expliqué à Yasmeen que telle était l’atsmosphère dans laquelle j’avais grandi : des snipers, des bombardements, des attentats. Je ne voulais pas que tu grandisses de la même manière, lui ai-je dit. Mais la destinée semble en avoir décidé autrement.

Veillée aux chandelles près des lieux de l'attentat (AFP / Patrick Baz)

Patrick Baz est responsable photo à l'AFP pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Il a couvert de nombreux conflits dans la région et dans d'autres parties du monde, de la guerre civile au Liban des années 1980 à l'Afghanistan en passant par la Libye, l'Irak, la Bosnie et la Somalie.

Patrick Baz