La vie au temps d'Ebola

Beni, République Démocratique du Congo -- Imaginez un virus mortel et très contagieux, qui se transmet par simple contact. Imaginez le dans une région envahie par la jungle, où des groupes armés luttent pour le contrôle de coins reculés. Ajoutez-y une population épuisée par des décennies de conflits, apeurée par les étrangers et se méfiant de ces Occidentaux équipés de tenues de protection qui dressent des camps pour traiter le mal, des camps dont leurs proches ne ressortent souvent pas vivants. 

Je ne vois pas d’endroit plus compliqué et dangereux que le nord-est de la République Démocratique du Congo pour accueillir une épidémie d’Ebola.

Un infirmier attend l'arrivée d'un patient peut-être contaminé par le virus Ebola, dans un centre de traitement établi par Médecins Sans Frontières, à Bunia, en République Démocratique du Congo, le 10 novembre 2018. (AFP / John Wessels)

C’est maintenant la deuxième plus importante dans l’histoire de ce virus. Elle a tué plus de 249 personnes depuis qu’elle a éclaté au début août dans l’est du Congo, selon les chiffres officiels. Pour être plus précis, il s’agit du nombre de victimes connus. Il est peut-être plus élevé en réalité, mais les ONG ne peuvent pas se déplacer librement dans la région. Le bilan exact reste incertain.

Un soldat sud-africain de la MONUSCO, la force des Nations-Unies au Congo, pendant des échanges de coup de feu le 7 octobre 2018 aux abords d'Oicha. La ville est le théâtre d'attaques régulières des rebelles ougandais du groupe armé ADF contre l'armée congolaise, soutenue par la MONUSCO. (AFP / John Wessels)

Cette épidémie intervient dans un contexte très sombre. La région du Nord-Kivu, riche en ressources naturelles, est un endroit reculé proche de la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda. Son sous-sol recèle de nombreux minéraux essentiels pour la fabrication d’objets électroniques, notamment les téléphones et les ordinateurs. Ces richesses, et l’isolement qui va avec, l’ont transformé en paradis pour les groupes armés, locaux ou venant des pays voisins, avec des acronymes, des allégeances et des revendications qui changent perpétuellement.

Comment vit-on là-bas ? Prenez les villes principales de Butembo et Beni. Elles sont le théâtre d’attaques sporadiques de guérilla. La dernière fois que j’ai séjourné à Beni, une maison a reçu des obus de mortier et une autre a été attaquée. Un homme a été tué et quatre enfants enlevés. Ca s’est passé à cinq minutes à moto de l’endroit où j’habitais. Il est courant d’être réveille au petit matin par des tirs tout proche. J’ai un ami qui est un journaliste local. Il rentre chez lui tous les soirs avant 18h00 à cause des attaques. Il couvre celles des rebelles le matin et l’épidémie d’Ebola l’après-midi. Psychologiquement, c’est très éprouvant.

Des infirmiers s'équipent avant de pénétrer dans la zone rouge du centre de traitement d'Ebola de MSF, le 3 novembre 2018, à Butembo, en RD Congo. (AFP / John Wessels)

 

Butembo n’est pas moins compliquée. Elle est cernée par des milices. Ce qui réduit d’autant l’accès aux zones autour de la ville. Il faut parfois établir le contact avec ces groupes armés avant de s’aventurer dans ces endroits pour y chercher des patients.

Un soldat sud-africain de la MONUSCO en position à une intersection de la petite ville d'Oicha pour couper la route à des rebelles ougandais du groupe armé ADF après des tirs de mortier et d'armes lourdes, le 5 octobre 2018. (AFP / John Wessels)

La nature du virus et son traitement compliquent encore plus la lutte contre la maladie.

Le virus de fièvre hémorragique se transmet par contact direct avec des fluides corporels de malades ou de matériel médical ou d’objets contaminés. Les patients doivent être isolés, et le personnel soignant doit tenter de répertorier et retrouver tous les gens qui ont été en contact avec eux. Un seul malade peut avoir contaminé une centaine de personnes.

Pour isoler les patients, les ONG ont établi des centres où le personnel porte des combinaisons de protection, qui les couvrent de la tête aux pieds pour éviter toute contamination. Ebola est un virus très agressif. C’est pourquoi les personnes qu’il a infectées en réchappent rarement. Les morts doivent être enterrés avec des précautions particulières car leur dépouille est extrêmement contagieuse.

Des infirmiers aident un patient, suspecté d'être contaminé par le virus Ebola, à rejoindre son lit dans un centre de traitement de MSF à Butembo, le 3 novembre 2018. (AFP / John Wessels)

Maintenant prenez en compte toutes ces informations, et essayez de vous mettre à la place des gens qui habitent ici. Vous avez déjà fui votre maison une fois au cours de votre existence à cause d’un conflit armé. Et peut-être déjà deux ou trois fois, ou plus encore. Des attaques mortelles contre vos proches, vos amis ou vos amis font juste partie de votre quotidien. Si une d’elle survient un jour, une personne qui se rendrait dans le coin le lendemain ne remarquerait rien. La vie a suivi son cours.

Et puis les gens commencent à mourir d’autre chose. Une personne ici, une autre là. Parfois elles meurent après avoir souffert de symptômes épouvantables, des gencives, des yeux ou des oreilles qui saignent. Pour ajouter à votre confusion, des centaines de travailleurs humanitaires et journalistes, arrivent en 4x4 dans votre petite ville. Des endroits appelés Centres de Traitement d’Ebola (ECT) apparaissent, dans lesquels les employés sont vêtus d’équipements qui ressemblent à des combinaisons spatiales.

Un infirmier s'apprête à mener des contrôles dans un centre de traitement d'ALIMA à Beni, le 11 août 2018. (AFP / John Wessels)
Avant d'entrer dans la zone rouge. Centre de traitement d'Ebola de MSF à Butembo, le 3 novembre 2018. (AFP / John Wessels)

 

 

Maintenant imaginez qu’un de vos proches ait été contaminé par Ebola, soit emmené par ces personnes portant ces combinaisons, jusque dans ce centre baptisé ECT. Et qu’une fois décédée on vous explique que cette personne que vous aimiez doit être enterrée d’une certaine façon, sans rapport avec vos pratiques culturelles.

Des infirmiers devant la zone rouge de l'ECT de MSF à à Bunia, le 7 novembre 2018. (AFP / John Wessels)

Dans ces conditions, il est facile de comprendre toutes les incompréhensions entourant cette maladie. Pourquoi tant de gens se mettent à mourir tout d’un coup ? Pourquoi ne peut-on pas normalement voir le corps du défunt et pourquoi ne peut-on pas l’enterrer selon les règles de la tradition ?

Des infirmiers brûlent des matelas utilisés pour des patients contaminés par Ebola, le 21 août 2018, à Mangina, près de Beni, en RD Congo. (AFP / John Wessels)
Enterrement traditionnel d'une femme victime d'une attaque des rebelles de l'ADF, à Beni le 12 novembre 2018. (AFP / John Wessels)

 

 

A tout cela il faut ajouter les prochaines élections, qui contribuent au climat général d’incertitude et de nervosité ambiantes. On comprend mieux ainsi que les rumeurs les plus folles puissent se propager facilement. J’ai été moi-même pris à partie. Un vieux bonhomme a pointé son doigt vers moi avant de crier : « C’est vous qui avez amené Ebola ici, pour obtenir de l’argent du Congo ».

Dans ce contexte, le travail qu’effectuent les ONG comme Oxfam, MSF ou ALIMA est absolument incroyable, que ce soit en matière de traitement ou de prévention. Dans une région comme celle-ci il faut atteindre les communautés, leur expliquer ce qu’est le virus Ebola et les symptômes de sa maladie, les précautions à prendre pour traiter les malades. C’est un travail extraordinairement difficile.

Un infirmier porte un nourrisson âgé de quatre jours et potentiellement infecté par le virus Ebola, au centre de traitement de MSF à Butembo, le 4 novembre 2018. (AFP / John Wessels)

Il y a aussi les conditions du traitement lui-même. Les centres sont bâtis de zéro. Les médecins et logisticiens, les constructeurs et administrateurs des centres arrivent de partout pour une durée de deux mois. Et pendant ce laps de temps ils travaillent sans discontinuer pour que tout fonctionne comme prévu.

Ils font un travail très difficile dans des conditions très difficiles, au milieu de personnes dont une grande partie pensent qu’ils ne font pas bien les choses.

 

De ce point de vue, l’épidémie d’Ebola souligne tous les côtés tragiques de la situation de l’Est du Congo.

Je me tenais à un coin de rue en train d’essayer de prendre des photos de la vie quotidienne quand un pick-up est passé à côté avec un cercueil sur sa plateforme. Encore un mort à cause d’Ebola. C’est presque une chose quotidienne maintenant. Une chose à laquelle on ne fait plus attention ou presque. Les gens s’arrêtent, regardent le camion passer et puis reprennent leur chemin.

Une autre fois, j’ai vu trois types perchés sur une petite moto et portant une croix blanche. C’a ma beaucoup touché. Voilà ces trois gars qui se rendent probablement sur la tombe d’un proche ou d’un ami. La scène m’a touché mais elle n’avait rien d’extraordinaire. Et ce n’est pas la dernière dont j’ai été le témoin.

Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.

Sur la route de Mangina à Beni, RD Congo, 23 août 2018. (AFP / John Wessels)

 

John Wessels