La guerre, la faim et le choléra
Sanaa -- Chaque jour en quittant la maison je dis au revoir à toute la famille, comme si c’était la dernière fois que je puisse les voir. Parce que c’est une véritable possibilité.
J’habite Sanaa, la capitale du Yémen. C’est un pays de déserts, de montagnes et de tribus, ravagé par la guerre, la malnutrition et les épidémies.
Au point que les Nations Unies l’ont qualifié de plus grand désastre humanitaire dans le monde actuel. Ces dernières années mon pays s’est trouvé aux prises avec un maelstrom de conflits entre groupes locaux et régionaux. Et nous, le peuple yéménite, sommes pris au milieu.
La descente aux enfers a commencé en 2014. Quand les rebelles Houthis ont pris le contrôle de l’essentiel du pays, dont sa capitale, où j’habite.
Nous nous trouvons pris entre deux forces. Les Houthis sont des chiites soutenus par l’Iran, grande rivale de l’Arabie Saoudite dans la région. Et donc, l’année suivante les Saoudiens ont constitué une coalition militaire et entamé une campagne de frappes aériennes contre les factions alliées à Téhéran. Ils ont aussi imposé un blocus aérien et maritime, qui a empêché l’aide humanitaire de parvenir dans un pays qui était déjà parmi les plus pauvres de la planète.
Et comme si tout ça ne suffisait pas il faut compter avec des groupes se revendiquant d’Al-Qaïda qui se sont bien établis dans le pays, notamment dans le sud et le sud-est. La situation s’est encore compliquée avec la récente montée en puissance de groupes séparatistes dans Aden, la grande cité portuaire du sud. On ne sait plus trop qui y commande, entre ces séparatistes, l’armée et les groupes islamistes.
La vie des citoyens ordinaires est maintenant rythmée par ces luttes. A Sanaa quand je quitte la maison, je crains la mort. Je ne peux pas en sortir le soir après 21h00, ce serait suicidaire.
Quand des coups de feu éclatent dans le quartier les enfants se mettent à hurler. Leurs parents, terrorisés à l’idée que ces combats débouchent sur des frappes aériennes, les descendent généralement dans les étages du bas, au premier ou au rez-de-chaussée.
Même si vous n’êtes pas visés directement, ces combats affectent gravement et immédiatement votre existence. Il y a des coupures d’eau, d’électricité. Vous ne pouvez plus aller chercher de la nourriture. Impossible de se rendre à l’hôpital. On se terre dans les immeubles. Il est impossible de se risquer dehors parce qu’il n’y a aucun moyen de savoir qui tire sur qui.
Il faut aussi compter avec les frappes aveugles, qui peuvent tomber n’importe où. Même sur une cérémonie funéraire, comme en octobre 2016, qui a tué 140 personnes et en a blessé 500. Depuis le début de ce conflit et de la campagne saoudienne près de 10.000 personnes ont été tuées.
A cela s’ajoute une situation humanitaire désastreuse. Le blocus maritime et aérien imposé depuis 2015 a ralenti le flux d’aide humanitaire. La malnutrition s’est installée. On peut mourir de faim au Yémen.
On peut aussi mourir de maladie, du choléra plus précisément. Il a infecté plus d’un million de mes compatriotes depuis avril dernier. On peut en mourir faute de soins, et surtout faute d’éducation. J’ai connu une famille dans ce cas. Un de leurs enfants est tombé malade, mais ses parents n’ont pas réalisé qu’il était victime du choléra. Ils ont pensé que ça passerait, et ne l’ont pas amené à l’hôpital. Il est mort.
Régulièrement, je rappelle à mes proches les symptômes de cette maladie, pour qu’ils puissent réagir comme il faut si nécessaire.
Je sais bien que notre situation finira par s’améliorer. Elle ne peut pas continuer éternellement. Mais jusqu’à quand ?
Ce billet a été écrit avec Mohammad Ali Harissi à Dubaï et Yana Dlugy à Paris.