La splendeur du carnaval
Venise (Italie) -- Il y a peu de choses aussi profondément ancrées dans la tradition et le décorum que le Carnaval de Venise, un festival d’illusions qui se déroule au long des canaux de la cité du nord-est depuis presque un millier d’années.
Au travers des temps ce moment de gaieté et d’excès s’est achevé traditionnellement par le Mardi Gras, un moment de détente avant les quarante sombres jours du carême qui mènent jusqu’à la Pâques.
La première mention de l’évènement remonte à 1094, avant qu’il ne soit institué comme fête officielle par la République de Venise en 1296. Il rassemblait alors des jongleurs, acrobates, musiciens, danseurs, acteurs et bien sûr des participants costumés et masqués.
Avec les masques est apparue une facette sombre des célébrations, l’anonymat qu’ils procuraient autorisant toute sorte de débauche et de comportements délictueux. Au point que leur port est interdit de nuit en 1339 ; puis dans tout lieu de culte, avant qu’il ne soit interdit aux hommes de se déguiser en femmes pour pénétrer dans des couvents féminins.
Le carnaval atteint le sommet de sa renommée au 18è siècle, avec Casanova, et ses récits d’aventures innombrables.
Le règne des Autrichiens, après la chute de la République de Venise en 1797, marque la fin du carnaval. Il n’en reste que des soirées privées derrière les portes fermées des palais. Et ce jusqu’à la fin du 20è siècle.
Il est revenu à la vie en 1979, avec une vigueur renouvelée. Et ses deux semaines sont les plus (occupées, agitées) de la ville, au point que les autorités municipales envisagent d’en limiter le nombre de visiteurs.
J’ai beau être Italien et photographe professionnel depuis vingt ans, et bien figurez-vous que je n’avais jamais assisté au carnaval avant cette fois. J’habite Rome, où ce n’est pas le travail qui manque, et la couverture des célébrations revenait aux photographes du nord du pays.
J’ai suivi l’ouverture du carnaval, qui ne m’a pas laissé une aussi grande impression que ce que j’espérais. La première semaine est la plus calme, il n’y a donc pas autant de personnes déguisées que ça. Les récompenses pour les plus beaux masques et costumes sont décernées pendant la deuxième semaine.
D’un autre côté, la maigre affluence a rendu le travail plus agréable, on pouvait prendre le temps de faire de belles photos sans courir d’un endroit à un autre.
Le point fort du week-end ouvrant le carnaval est la régate, dans laquelle des centaines de canots et de gondoles remplis de gens déguisés défilent sur le Grand Canal.
On passe le reste de son temps sur la place Saint-Marc. C’est l’endroit de prédilection des participants et des touristes, de ceux qui se déguisent et de ceux qui viennent les admirer. Le lieu est empli d’une atmosphère festive. On a l’impression que tout le monde est là pour se faire prendre en photo. C’est rempli de familles.
Beaucoup restent fidèles à une certaine tradition, un côté classique, mais il y a aussi des tenues plus modernes, parfois complètement décalées. Dans le désordre, j’ai vu des gens déguisés en bonnes sœurs, en moines, en danseurs de flamencos. Et sur une photo, le maire assistant à la régate dans une tenue de Batman.
C’est en assistant au carnaval que j’ai vraiment compris le secret de sa longévité exceptionnelle. Il donne à voir une image de l’Italie traditionnelle. Une fête déguisée pour des adultes, dans une des villes les plus belles et magiques au monde.