A la recherche du prophète
LAGOS, 10 avril 2014 – L’homme se vante d’avoir une ligne directe avec Dieu. On peut donc raisonnablement penser que dire quelques mots au commun des journalistes, ce n’est pas trop lui demander...
T.B. Joshua est sans doute le plus connu des guérisseurs-prédicateurs du Nigeria. Un faiseur de miracles en tout genre, la voix « accréditée » de Jésus-Christ et un personnage entouré de mystère. Depuis la banlieue de Lagos, où ils possèdent un hôtel ainsi qu’une méga-église, Joshua et ses disciples règnent sur un empire de la foi qui pèse plusieurs millions de dollars.
Tout un tas d’excellentes raisons pour, à l’occasion d’une mission au Nigeria, demander une interview du prophète en personne.
Mais notre prophète n’a pas l’air de beaucoup apprécier les médias. Il me faut une semaine de coups de téléphone, d’emails et même une lettre remise de la main à la main pour finalement arracher la permission de filmer l’office du dimanche dans « la synagogue église de toutes les nations ».
Si vous ne parvenez pas à visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
« Et vous pouvez confirmer une interview avec T.B. Joshua ? »
« Venez à 7 heures du matin », me répond-on abruptement au téléphone avant de raccrocher.
Quand, conduit par Hassan, le chauffeur du bureau de l’AFP à Lagos, j’arrive sur place avec un peu d’avance, des centaines de personnes impeccablement habillées sont déjà en train de converger dans le bon ordre vers l’auditorium où, toute la journée durant, sera célébré l’office religieux. Trois femmes, également sur leur trente-et-un, nous accueillent avec des sourires impénétrables. Ce sont mes accompagnatrices.
Je suis escorté jusqu’à la salle à manger vide d’un immense restaurant chinois. Je m’attends à discuter, autour d’un petit-déjeuner, du programme du tournage et des modalités de l’interview de Joshua.
Pour le petit-déjeuner, j’ai vu juste. Mais pour la discussion, non.
« Nous reviendrons vers vous », me disent mes chaperonnes. Je commence à répondre : « je n’ai pas vraiment envie de manger… » Mais mes interlocutrices ont déjà tourné les talons. Elles me laissent planté au milieu du restaurant désert, avec les poissons rouges d’un aquarium pour toute compagnie.
Quarante minutes plus tard, elles sont de retour, avec le même sourire.
Je demande : « Est-ce qu’on pourrait parler du tournage ? »
« Suivez-moi », me répond la disciple numéro un, une Américaine d’une trentaine d’années.
Mais je ne suis pas conduit dans l’auditorium, d’où proviennent les premiers chants des fidèles. A la place, mes guides m’emmènent jusqu’à la suite présidentielle de l’hôtel. « Mettez-vous à l’aise », me dit la disciple. « Si vous voulez dormir, la chambre à coucher est ici… »
Les masques sont tombés : tout ceci n’est qu’une manœuvre dilatoire pour me maintenir soigneusement à l’écart du gourou. Probablement ont-ils l’intention de me faire poireauter toute la journée dans cette chambre de luxe. Je proteste poliment : « je n’ai vraiment pas besoin de dormir, je voudrais juste… »
Mais la porte s’est refermée.
Pendant une demi-heure, je suis cloîtré dans la suite présidentielle. Je n’ai rien d’autre à faire que de regarder, sur la chaîne de télévision personnelle de Joshua, Emmanuel TV, la retransmission en direct de la cérémonie qui se déroule dans l’auditorium à quelques centaines de mètres de là.
Et puis finalement, sous étroite surveillance, je suis autorisé à me rendre dans l’église pour filmer les milliers d’adeptes qui chantent à tue-tête en gesticulant. A ma grande surprise, on me permet même de filmer T.B. Joshua de près alors qu’il passe devant une rangée de fidèles triés sur le volet. Une simple apposition des mains, et voici ces derniers « guéris » de leur sida, de leurs maladies osseuses ou vénériennes, ou de leur « malédiction familiale ». Ceux qui ont bien appris le scénario tombent docilement dans les pommes, retenus par des membres du personnel bien entraînés. D’autres ratent leur coup : ils oublient de hurler quand leurs démons sont « exorcisés » et s’effondrent avec un temps de retard, avec le regard effrayé d’un enfant qui vient d’apercevoir ses parents au premier rang pendant qu'il joue dans la pièce de théâtre de fin d’année à l’école.
Tout à coup, mes accompagnatrices sont surexcitées.
« Filmez ici. Cette femme ne peut plus marcher… Vite ! Le prophète est sur le point de la libérer de ses démons ! »
La femme gémit, Joshua la guérit, les démons sont chassés... Après trente minutes de « miracles » spectaculaires à répétition, Joshua a l’air fatigué. Je pense que le moment est tout trouvé pour mon interview…
« Plus tard », répond le disciple numéro deux, une jeune Britannique qui travaille avec Joshua depuis huit ans.
Je déjeune seul dans le restaurant chinois, puis, pendant cinq heures, j’assiste à la méga-grand-messe dans la méga-église. Le prophète lui-même monte sur scène, met ses adeptes en transe en promettant, en tant que porte-parole de Jésus-Christ, de résoudre les problèmes d’argent de ses fidèles, de leur apporter santé et bonheur sur terre en échange de leur dévotion éternelle.
Alors qu’il quitte la tribune, je deviens plus insistant avec mes chaperonnes. Je leur rappelle que je suis venu du Royaume-Uni, que j’ai été très patient jusqu’ici, que je me suis montré obéissant quand ils m’ont demandé de filmer les miracles. Une des disciples pointe le doigt en direction d’une tente où des milliers d’autres adeptes ont suivi l’office sur des écrans géants. « Je crois qu’il est allé rencontrer ses fidèles de l’autre côté », dit-elle. « Peut-être qu’on le trouvera là-bas ».
Mais pas de prophète. On me balade ensuite à travers le magasin, le garage de l’ambulance, un atelier, un chantier... A chaque fois, je demande : « Est-ce que T.B. Joshua va venir nous rencontrer ici ? »
« Si c’est sa volonté, il viendra vers nous », répond disciple numéro un.
« Vous n’avez pas envie de retourner dans la suite présidentielle ? Une petite sieste vous ferait du bien », finit-elle par me demander.
« NON ! » Ma réponse éclate un peu trop fort. Il commence à faire nuit, et je viens de passer les douze dernières heures dans cet endroit… « Pouvez-vous contacter T.B. Joshua et lui demander s’il est possible de l’interviewer ? »
Mais bien sûr, personne n’a de téléphone portable.
« Si telle est la volonté du prophète… »
A sept heures et demie du soir, il fait nuit noire. Mon exaspération n’a d’égal que ma fatigue. Au terme de cette interminable journée de faux-semblants, je finis par jeter l’éponge.
« Malheureusement, je dois partir », dis-je.
« Ah, c’est dommage… Je suis sûre que le prophète aimerait parler avec vous… »
L’interview n’allait jamais avoir lieu. Je le savais. Et je sais qu’ils savaient que je savais.
Mais une lueur d’espoir m’a fait attendre toute la journée, et prier pour l’impossible.
Maintenant, au moins, je sais ce que ressentent les adeptes de T.B. Joshua.
Robert Leslie est un reporter vidéo de l'AFP basé à Londres.