Une villageoise vietnamienne choisit des bâtonnets d'encens mis à sécher dans le village de Quang Phu Cau, près d'Hanoï, où l'on fabrique depuis des siècles cet accessoire indispensable à la célébration des rites comme celui de la fête du Têt, le nouvel an lunaire vietnamien. 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

La couleur de l'encens

Quang Phu Cau, Vietnam --Venant d’Inde, j’ai l’habitude de la couleur. Mais je l’ai perçue sous un jour nouveau dans un petit village des faubourgs de Hanoï, dans le nord du Vietnam.

L'ombre d'un travailleur vietnamien se projette sur des bâtonnets d'encens, dans le village de Quang Phu Cau, le 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

C’est une rencontre de hasard, alors que je cherchais des sujets à photographier avant le festival du Têt, la célébration du nouvel an lunaire au Vietnam, la plus grande fête du pays. Travailler sur des magazines est ce que je préfère, raconter une histoire en images.

Je suis arrivé au Vietnam il y a deux mois seulement, en novembre. En faisant des recherches sur le sujet du Têt sur internet, je suis tombé sur Quang Phu Cau.  C’est l’un des rares villages dans lequel on fabrique des bâtonnets d’encens pour les fêtes du nouvel an. J’ai senti qu’il y avait un gros intérêt visuel et nous nous sommes rendus sur place avec mes collègues du texte et de la photo. Nous n’avons pas été déçus.

Bâtonnets d'encens mis à sécher dans une rue de Quang Phu Cau, le 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

Il y avait de véritables tapis de bâtonnets dispersés dans différents endroits du village. J’ai été frappé par la couleur. Ce n’est pas la première fois que je vois de l’encens brûler et le sens qui est le plus sollicité est toujours l’odorat. 

Mais quand j’ai vu l’étendue de bâtonnets teints, ça m’a frappé : « c’est la couleur de cet odeur ». Si vous essayez de la visualisez dans votre esprit, c’est à ça que ressemble l’odeur de l’encens, c’est sa couleur.

La production d’encens et la fabrication de bâtonnets en bambou sont une affaire familiale, depuis des siècles. Tout le monde y travaille, les parents, les grands-parents et les enfants en sortant de l’école.

C’est la période la plus active de l’année et la population a l’habitude d’être au centre de toutes les attentions. Quand j’étais sur place, très peu se sont arrêtés de travailler, et certains m’ont même proposés leur aide.

Un jour où le ciel était plombé de nuages, l’un d’eux a pointé le doigt en l’air, en secouant la tête. Je ne comprends pas leur langue, et je n’ai appris que plus tard qu’il essayait de m’expliquer que ce n’était pas le meilleur moment pour faire des photos. Parce qu’il faut du soleil pour faire sécher correctement les bâtonnets d’encens, et donc s’il est présent, il y a beaucoup plus d’encens étalés au sol.

Quang Phu Cau, 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

Une des principales difficultés que je rencontre en photographiant des sujets magazine en Asie est que les gens sont volontiers photogéniques. Ça peut paraître bizarre de dire ça, mais souvent quand les gens remarquent mon appareil-photo ils sourient. C’est super d’un point de vue personnel, mais ça ne l’est pas pour le travail, puisque le but est de saisir les personnes dans leur occupation, pas de les faire poser.

Dans ces cas-là le truc est de traîner un peu et d’attendre. Après un moment, les gens s’habituent à votre présence et vous oublient, simplement parce qu’ils ont des choses plus importantes à faire. Et c’est là que vous pouvez commencer à prendre des photos.

Quang Phu Cau, 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

A Quang Phu Cau je n’ai pas vraiment eu à fonctionner comme ça. Les habitants sont habitués à se faire prendre en photo. C’est l’un des rares villages vieux de plusieurs centaines d’années qui fabrique des bâtons d’encens, et cette activité attire quantité de visiteurs. Dans la société actuelle, où tout le monde va sur les réseaux sociaux et a un smartphone, ils ne remarquent même plus les touristes qui les prennent en photo.

Quang Phu Cau, 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

L’autre raison est qu’ils n’ont pas de temps à perdre à faire des sourires. Le festival du Têt commence au début février et le temps est compté pour ces artisans. Ils sont très concentrés sur leur tâche, et ne prêtent d’attention à rien d’autre. Même à mon drone.

Je suis retourné dans le village une deuxième fois pour obtenir des vues aériennes des tapis d’encens. Je pensais que le bourdonnement de mon appareil au-dessus attirerait des regards ou provoquerait des commentaires. Il n’a impressionné personne.

Quang Phu Cau, 4 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

Quand on parle de pays riches en couleur le Vietnam est un endroit remarquable, parmi les meilleurs que je connaisse.

Quang Phu Cau, 3 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

Elle est partout, y compris dans les endroits les plus improbables. Comme dans les transports quotidiens.

L’autre jour j’étais en train de prendre des photos dans la rue et il pleuvait. J’ai vu des gens passer à moto, protégés par des ponchos aux couleurs flamboyantes qui les enveloppaient de la tête aux pieds, guidon compris. J’ai essayé de trouver un moyen de les photographier d’une façon un peu originale, en me rendant en haut d’un pont. De là ils ressemblaient à des champignons.

Hanoï, 9 janvier 2019. (AFP / Manan Vatsyayana)

Le Vietnam a cette particularité. La couleur est partout. Et elle vous saisit parfois dans les situations les plus inattendues.

Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.
 

Manan Vatsyayana