Le président de la Fifa Sepp Blatter quitte la salle de conférences du siège de la Fifa à Zurich après avoir annoncé sa démission, le 2 juin 2015 (AFP / Valeriano Di Domenico)

La chute

ZURICH (Suisse), 3 juin 2015 – Quand le responsable photo de l’AFP en Suisse Fabrice Coffrini m’appelle, le mardi soir à dix-sept heures, pour me demander de couvrir une conférence de presse organisée à l’improviste au siège de la Fifa à Zurich, je ne me doute pas que je vais assister, depuis les premières loges, à un cataclysme historique dans le monde du football.

Depuis une semaine, un énorme scandale de corruption ébranle la Fifa mais le président de l’organisation, Joseph Blatter, semble toujours aussi indéboulonnable. Quatre jours plus tôt, en pleine tourmente, il a été élu pour un cinquième mandat. Et le matin même, la Fifa a tenté dans un communiqué de dégonfler de nouvelles accusations contre ses responsables.

(AFP / Valeriano Di Domenico)

La Fifa a convoqué les journalistes pour dix-huit heures. Mais peu d’entre eux ont eu le temps d’arriver dans un délai aussi court, et nous ne sommes pas très nombreux dans la grande salle de conférences. Et nous ne savons pas qui va s’exprimer. Quand j’arrive, je vois sur la tribune un panneau avec le nom de Joseph S. Blatter. Je prends une photo du siège vide, mais le panneau est retiré quelques instants plus tard. Il ne reste plus que le nom du directeur de la communication de la Fifa, Walter De Gregorio. J’en déduis qu’il va être le seul responsable présent.

Le directeur de la communication de la Fifa, Walter De Gregorio (AFP / Valeriano Di Domenico)

A deux reprises, on nous annonce que la conférence de presse est retardée. Elle démarre finalement à 18h45. De Gregorio s’installe à la tribune et annonce une « déclaration » de Sepp Blatter. Logiquement, nous nous attendons à ce qu’il sorte un papier et lise une déclaration écrite de son patron.

Mais tout à coup, la porte à droite de la tribune s’ouvre et Sepp Blatter en personne fait son apparition. C'est une surprise totale. Au lieu de s’asseoir à la tribune, il s’avance jusqu’à la chaire située à droite de la scène et, debout, se met à lire son communiqué.

(AFP / Valeriano Di Domenico)

Je suis positionné sur l’aile gauche de la salle. Tout en prenant des photos, j’écoute ce que dit Blatter, qui s’exprime en français. « Même si un nouveau mandat m'a été confié, il semble que je ne sois pas soutenu par tous dans le monde du football, c'est pourquoi je vais convoquer un congrès extraordinaire et remettre mon mandat à disposition ».

Je m’arrête. Je n’en crois pas mes oreilles. Je réalise alors qu’aucune des images que j’ai prises jusqu’à présent n’illustre l’événement dans toute sa magnitude. LA photo, celle qui symbolisera la chute du grand patron du football mondial, ce sera celle du moment où il quittera la salle.

(AFP / Valeriano Di Domenico)

Mais pour cela, il faut absolument que je change de position. Blatter est entré par la porte sur ma droite, et je pressens qu’il prendra le même chemin pour sortir. Il y a aussi une porte sur la gauche, mais la porte de droite est la plus proche de la chaire d’où il parle, et celle près de laquelle se sont postés ses gardes du corps. Les attachés de presse de la Fifa n’aiment pas quand les photographes bougent dans la salle pendant les conférences de presse. Mais comme il n’y a pas grand monde, j’estime que ne dérangerai personne. J’y vais.

Je suis un peu nerveux. Je n’ai pas pris beaucoup de photos et si je rate la sortie de Blatter, je n’aurai pas fait du bon travail. Pour moi il est clair qu’il va partir par la porte de droite, mais on ne sait jamais…

(AFP / Valeriano Di Domenico)

Blatter achève sa courte déclaration et ouf : d’un pas lent, les épaules basses, il se dirige vers la droite. Un de ses gardes du corps ouvre la porte, qui donne sur l’extérieur, et l’invite à sortir. La photo s’avère difficile à exposer : une lumière blanche aveuglante s’engouffre par la porte, à l’intérieur de la salle de conférences faiblement éclairée.

Immédiatement, ma photo reçoit des torrents d’éloges sur internet. Cela me surprend : je suis photographe pigiste en Suisse, je ne suis pas habitué à couvrir des événements d’envergure mondiale, ni à ce que mes images deviennent virales sur les réseaux sociaux. L’essentiel, c’est d’avoir réussi mon pari, et d’être revenu avec une photo qui illustre parfaitement l’événement et l’ambiance du jour.

Valeriano Di Domenico est un photographe indépendant basé à Zurich. Consultez son site personnel.

(AFP / Valeriano Di Domenico)