Des soldats ukrainiens jouent au football pendant un cessez-le-feu sur la route de Debaltseve, près du front, le 15 février 2015 (AFP / Volodymyr Shuvayev)

Jeu de balle sur la ligne de front

SVITLODARSK (Ukraine), 17 février 2015 – Le cessez-le-feu entre les forces ukrainiennes et les rebelles pro-russes est censé être en vigueur depuis quelques heures, ce dimanche 15 février, quand l’équipe de l’AFP prend la route de la ville stratégique de Debaltseve, théâtre ces dernières semaines des combats acharnés.

Alors que le conflit dans l’est de l’Ukraine fait rage depuis dix mois, personne ne sait si cette trêve, négociée loin d’ici par les dirigeants ukrainiens, russes, allemands et français, sera respectée. Rares sont ceux qui lui donnent la moindre chance de tenir longtemps.

Blindés ukrainiens sur la route de Debaltseve, le 15 février (AFP / Volodymyr Shuvayev)

Depuis maintenant des semaines, la route de Debaltseve est un coupe-gorge que l’on n’emprunte qu’à ses risques et périls, la cible permanente de bombardements terrifiants.

Ce matin, alors que nous roulons dans un brouillard à couper au couteau, nous sommes frappés par quelque chose auquel nous ne sommes plus habitués depuis longtemps : le silence quasi-total. Nous nous approchons du premier poste de contrôle ukrainien. De nombreux blindés et camions militaires sont stationnés sur le bord de la route.

(AFP / Volodymyr Shuvayev)

Un groupe de soldats ukrainiens se tient là. Ces derniers jours, ces hommes ont risqué la mort à chaque instant. Nous sommes habitués à les voir nerveux, tendus, à les entendre nous crier de ne pas aller plus loin. Mais là, alors que les armes se sont tues, leur soulagement est palpable. Nous discutons avec eux. Il règne parmi ces guerriers une étrange ambiance de cour de récréation.

Malgré le cessez-le-feu, les combats se poursuivent de façon sporadique, nous disent-ils. De temps en temps, nous entendons d’ailleurs quelques tirs d’artillerie entrants. Rien de comparable, toutefois, aux canonnades nourries d’il y a seulement quelques heures.

(AFP / Volodymyr Shuvayev)

Certains soldats bavardent en fumant. D’autres nettoient leurs armes. L’un se réchauffe devant un feu de bois en lisant un livre. Quelques-uns, le fusil d’assaut toujours en bandoulière, commencent à taper au hasard dans un ballon boueux. Ils frappent la balle, la ratent, courent à travers la route pour la récupérer.

Cette partie de football improvisée est un vrai moment de détente. Je commence à photographier. J’espère que les photos parleront d’elles-mêmes, qu’elles illustreront l’esprit d’un cessez-le-feu. C’est une image emblématique : le soldat célébrant l’arrêt des combats en jouant simplement au ballon.

Un missile non-explosé incrusté dans une rue de Kramotorsk, le 10 février (AFP / Volodymyr Shuvayev)

Après des mois à couvrir la guerre dans mon pays natal et comme tous les Ukrainiens, j’espère de tout mon cœur que ce conflit insensé et brutal prendra fin rapidement. Nous voulons croire que la paix pourra revenir avec la même rapidité que celle avec laquelle le cauchemar a commencé.

Mais l’accalmie est trompeuse. Pendant le match de football, le son des bombardements devient plus intense. Pas question pour nous d’aller plus loin vers Debaltseve. Nous faisons demi-tour en direction d’Aretemivsk, une ville tenue par les forces ukrainiennes à l’arrière du front.

Une victime de bombardement et ses proches à Kramotorsk, le 10 février (AFP / Volodymyr Shuvayev)

Les soldats ukrainiens nous disent qu’une trêve de longue durée est impossible. Ce cessez-le-feu n’est qu’une pause destinée à permettre aux deux camps de reprendre des forces, d’évacuer leurs blessés et de s’approvisionner en munitions. Les militaires ukrainiens parlent à leurs ennemis par radio. Les rebelles, affirment-ils, leur disent qu’ils sont venus en Ukraine pour gagner de l’argent, pas pour attendre.

Pour les civils pris entre deux feux, la situation est épouvantable. Il est devenu impossible d’évacuer les habitants coincés à Debaltseve, car la route principale menant à la ville a été coupée par les séparatistes. Même ceux qui parviennent à sortir restent promis à un sort incertain. Des roquettes frappent parfois Artemivsk et Kramatorsk, autrefois considérées comme des zones sûres.

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Peu de temps après avoir quitté le checkpoint sur la route de Debaltseve, nous apprenons que de violents combats ont à nouveau éclaté dans le secteur. Le cessez-le-feu  n’a tenu qu’une douzaine d’heures. Mais a-t-il jamais commencé ?

Et que sont devenus nos joueurs de football ? Plus tard ce même jour, des collègues nous racontent que l’endroit même où nous avons assisté au match spontané a été lourdement bombardé.

Volodymyr Shuvayev est un photojournaliste indépendant qui travaille pour l’AFP en Ukraine.

Des réfugiés provenant de Debaltseve embarquent dans des bus vers l'arrière, le 5 février (AFP / Volodymyr Shuvayev)