Flirter avec un Volcan de Feu
Photographe de l'AFP au Mexique
TONILA (Mexique), 10 août 2015 – En 2002, le Volcán de Fuego, un gigantesque cône de 3.900 mètres d’altitude dans l’Etat mexicain de Colima, a commencé à donner des signes d’activité inhabituelle. En l’apprenant, j’ai décidé sur un coup de tête de parcourir les 200 kilomètres qui me séparaient de lui et d’aller voir. A l’époque, je débutais dans le métier de photographe. Je travaillais depuis deux ans comme pigiste pour des journaux locaux et je n’avais jamais photographié un volcan de ma vie. J’ignorais tout des contraintes que cela suppose.
Une fois au pied du volcan, je me suis rendu compte que j’étais pratiquement le seul photographe sur place. Colima est loin de Mexico, et à l’époque les déplacements dans le pays étaient beaucoup moins faciles que maintenant. Au bout de deux jours, j’ai trouvé que mes photos étaient d’assez bonne qualité pour intéresser une agence internationale.
La première porte à laquelle j’ai frappé a été celle de l’AFP, et bien m’en a pris : quand j’ai téléphoné au bureau de l’agence à Mexico pour demander s’ils voulaient acheter mes images, j’ai été accueilli comme le messie. Cela faisait des heures qu’ils cherchaient, en vain, un photographe près du volcan qui puisse leur envoyer des images. Et c’est ainsi qu’en ce 6 février 2002, j’ai vendu ma première photo à l’AFP et que j’ai démarré ma carrière à l’agence.
Tout au long de ces treize ans, je suis revenu à plusieurs reprises au pied du Volcán de Fuego en espérant immortaliser une nouvelle fois une de ses spectaculaires colères. J’ai passé des journées et des nuits à guetter des éruptions qui, par malchance, ne se sont jamais produites au bon moment.
Mais en ce samedi 11 juillet, enfin, ma chance tourne.
A nouveau, j’apprends que le volcan est sur le point de se réveiller. A nouveau, je suis sur la route en train de foncer vers Colima quand tout à coup, par la fenêtre, je vois émerger lentement du sommet du cône une espèce de nuage noir qui semble sortir tout droit de l’Enfer. J’accélère à fond dans l’espoir d’être au plus près et dans le meilleur angle possible au cas où quelque chose d’encore plus violent se produirait...
Et cinq minutes plus tard retentit une explosion phénoménale, comme le volcan n’en a pas produit depuis cent ans, diront plus tard les autorités. Je me gare et je me mets à courir à toutes jambes à travers champs pour photographier le paysage qui commence à se couvrir de cendres volcaniques. Mes premiers clichés réalisés, je saute à nouveau dans ma voiture et je contourne le volcan pour aller voir ce qui se passe dans les villages environnants. J’ai besoin de premiers plans pour mes photos.
Je passe toute la nuit à photographier la lave incandescente qui coule sur les flancs de la montagne. Le deuxième jour, il me faut faire quelque chose de différent, composer une histoire pour offrir aux clients un service plus complet que de simples photos de l’éruption.
Je n’ai pas envie de me rendre dans les refuges aménagés pour les personnes déplacées : c’est ce que font tous les photographes. Je veux aller un peu au-delà, dans les villages noyés sous les cendres, photographier les rues et les maisons, voir comment le volcan a perturbé la vie quotidienne de ces communautés.
Les autorités ont établi un périmètre de sécurité dans un rayon de douze kilomètres autour du volcan. J’avance jusqu’au barrage de la police, laquelle m’interdit de poursuivre ma route en voiture. Mais les agents m’indiquent que, si je le souhaite et à mes risques et périls, je peux m'aventurer à pied un peu au-delà du barrage. C’est ce que je fais... et au final, c'est au prix d’une marche exténuante de dix kilomètres que j’atteins enfin les zones les plus affectées par les pluies de cendres.
Et là, nouveau coup de chance : je rencontre une patrouille de sauveteurs à la recherche d’éventuelles personnes égarées ou ensevelies. Ce sont les moments magiques de la photographie : on ne sait jamais à l’avance sur quoi on va tomber, et tout à coup une belle histoire se créée d’elle-même sous vos yeux. Je me présente au commandant de la patrouille, qui m’autorise à accompagner son unité jusqu’au village de La Mesa, situé à seulement quatre kilomètres du cratère. Je tiens mon sujet.
Assister à un phénomène naturel est une expérience d’une rare intensité. Se trouver au cœur d’un ouragan, voir des tortues marines arriver sur la plage sont des moments qui vous marquent pour la vie. Dans le cas d’un volcan actif, l’expérience peut se révéler usante car on ne sait jamais à quel moment il décidera d’exploser, de vomir des nuées ardentes ou des coulées de lave, ou de commettre tout autre acte photogénique. Ce pourra être au coucher du soleil, avec un contre-jour spectaculaire. Ou bien à l’aube quand le ciel se remplit de couleurs flamboyantes. Ou encore, si vous n’avez pas de chance, au milieu de la journée quand la lumière naturelle est la plus défavorable. Mais la situation la plus complexe pour le photographe, c’est incontestablement la nuit, pendant laquelle on souffre du froid, de l’altitude, du manque de sommeil et de l’ennui pendant l’attente souvent interminable.
Quand s’évanouissent les derniers rayons du soleil, je pars à la recherche de l’endroit idéal pour installer mon trépied. En photographie nocturne, pour procéder à des expositions longues, il est nécessaire de trouver le lieu le plus obscur possible, à l’abri de toute pollution lumineuse, ce qui est malheureusement devenu très difficile de nos jours. Ensuite, il n’y a plus qu’à attendre que quelque chose se produise.
Dans les premières heures de la soirée, des gens qui passent dans le coin voient mon puissant téléobjectif monté sur le trépied et en déduisent que je suis là pour faire des affaires. Ils me demandent combien je prends pour les laisser regarder le volcan à travers ma longue-vue...
Quand bien même aurais-je accepté qu'ils auraient été déçus, car on ne voit rien du tout: une tempête tropicale qui court sur la côte Pacifique, à quarante kilomètres du volcan, provoque des averses et des ciels complètement bouchés par les nuages. Dans ces conditions, prendre des photos relève de l’exploit, mais peu importe : rien que le fait d’entendre toutes les dix minutes, dans la nuit glaciale, les grondements intérieurs d’une montagne vivante, puis de voir le feu surgir au milieu d’un brouillard intense, confirme la phrase qui a accompagné toutes mes années de photojournalisme : « on ne devient pas photographe seulement pour prendre des photos, mais pour vivre les expériences que seul un photographe peut vivre ».
Suivez Héctor Guerrero sur Twitter et abonnez-vous à son blog photo sur Tumblr. Cet article a été traduit de l'espagnol et édité par Roland de Courson à Paris.