Fauchés par la Formule 1 des mers
LORIENT (France), 17 juin 2015 – Le Spindrift 2 est le plus grand multicoque de course au large du monde. Un bateau hors normes. Un trimaran de quarante mètres de long qui détient un record du tour du monde à la voile, et qui atteint fréquemment des pointes de plus de 46 nœuds, soit 85 km/h. A pleine vitesse, ses safrans sont tranchants comme des lames de rasoir. Pas le genre de bolide qu’on rêve de voir foncer sur soi en pleine mer…
C’est pourtant ce à quoi j’assiste ce 16 juin en début d’après-midi au large de Lorient, en Bretagne. C’est le départ de la neuvième et dernière étape de la Volvo Ocean Race, une prestigieuse course à la voile autour du monde pour monocoques. Le Spindrift 2 ne figure pas parmi les concurrents. Mais le bateau a Lorient comme port d’attache, et il est de tradition que les grands voiliers assistent aux départs de course quand ils ont lieu chez eux.
Je me trouve à bord d’un des « bateaux de presse » avec trois autres photographes et deux pilotes. Le temps est magnifique, les conditions de travail sont idéales. Avant de se lancer vers le large en direction de Göteborg, le point final de la Course en Suède, les voiliers de la Volvo Race doivent effectuer un petit parcours de régate près de Lorient.
Le « bateau de presse » à bord duquel je me trouve a pris position à la limite de la « zone d’exclusion » strictement délimitée par les organisateurs pour ne pas gêner les concurrents près de la ligne de départ. Il y a toujours beaucoup de monde sur l’eau les jours de course. Plusieurs bateaux de l’organisation sont là pour empêcher les plaisanciers et jet-skis qui pullulent dans les environs de s’aventurer dans le périmètre interdit.
Je vois le Spindrift 2 qui se dirige vers la ligne de départ. Presque à l’arrêt, le bateau vire à babord puis file vers le large en prenant de la vitesse. Il se dirige droit vers le groupe de bateaux de l’organisation. Tout de suite, la manœuvre me semble dangereuse. Ce trimaran est une vraie Formule 1 des mers, avec beaucoup de voile, des accélérations inouïes et énormément d’inertie. Le barreur ne bénéficie pas d'une très bonne visibilité. Le Spindrift 2 est comme un gros cargo difficile à manœuvrer et il fonce à toute vitesse vers un canot semi-rigide des organisateurs à l'arrêt. Le pilote du canot sait que s'il avance, son embarcation passera sous la coque du trimaran. Il semble tétanisé, tout comme nous, à bord du bateau de presse.
La scène fatale dure à peine trois ou quatre secondes. Le choc est inévitable. Je vois les occupants du semi-rigide se jeter par-dessus bord dans la panique. Leurs gilets de sauvetage se gonflent automatiquement au contact de l’eau. L’un des safrans du Spindrift 2 percute de plein fouet un des boudins du canot semi-rigide en faisant un bruit vraiment effrayant, une sorte de grand « tac »... Une femme est violemment projetée à l’eau. Je suis le seul photographe à bord du bateau de presse à avoir le réflexe de braquer mon appareil vers la scène et à prendre une quinzaine d’images en rafale. Pourquoi ? Je ne sais pas… Je n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui s’est passé.
Tout de suite, notre vedette fonce vers la scène de ce rarissime accident, à trente ou quarante mètres de nous. Mais nous n’aurons pas à intervenir : en quelques secondes, deux équipes de la Société nationale de sauvetage en mer sont déjà sur place et prennent les choses en main.
Une énorme tache de sang se répand lentement dans la mer à proximité du canot heurté par le voilier. Au bout de vingt minutes, un hélicoptère arrive et hélitreuille la victime, qui semble très mal en point et a été recueillie à bord d’une des embarcations des sauveteurs.
J’apprends plus tard que cette femme, grièvement blessée, a été transportée vers l’hôpital de Lorient. La gendarmerie maritime a ouvert une enquête à laquelle Spindrift Racing s'est engagé à « coopérer pleinement ». Terrible journée…
Jean-Sébastien Evrard est un photographe collaborateur de l'AFP basé à Nantes. Suivez-le sur Twitter.