Photo de rue dans la ville des masques
SEOUL, 22 juin 2015 – Le « méchant » de cette histoire est loin d’être un sujet idéal pour les photographes. Le coronavirus Mers, qui sévit depuis fin mai en Corée du Sud, est invisible à l’œil nu. Les images prises au microscope par les scientifiques sont fascinantes, mais elles ne sont pas très utiles pour illustrer les craintes des Sud-Coréens face à ce syndrome respiratoire sans vaccin ni traitement qui a déjà fait une trentaine de morts dans leur pays.
L’aspect le plus visuel du Mers, c’est évidemment le masque respiratoire que les gens se mettent sur la bouche et sur le nez en espérant que cela les protégera. Au début de l’épidémie, énormément de passants en portaient dans les rues de Séoul. Il m’est arrivé de monter dans un wagon de métro et de constater que tous les voyageurs étaient masqués. Un mois plus tard, même si le Mers reste le sujet numéro un dans les médias et dans les conversations, la psychose est un peu retombée et les masques se sont faits plus rares, même s’il ne faut jamais aller bien loin pour en trouver.
Mes tentatives pour photographier la vie quotidienne à Séoul sous la menace du Mers se déroulent donc principalement dans la rue. C’est là où la plupart des photographes aiment passer le plus clair de leur temps, et la capitale sud-coréenne est une ville fantastique pour la photo de rue. Je dispose d’une longue liste de lieux de prédilection : des jardins publics, des palais royaux, des quartiers étudiants, des rues commerçantes que je choisis en fonction de la lumière et du niveau d’activité, en espérant qu’ils se prêteront bien au sujet que j’ai en tête.
Comme tous les photographes de rue, j’agis au petit bonheur la chance : je me poste à un endroit et j’attends que la photo se compose sous mes yeux, ou bien je me promène en cherchant une combinaison d’éléments favorables.
Photographier des gens dans la rue n’est pas particulièrement compliqué à Séoul. Les Sud-Coréens sont plutôt tolérants à l’égard des photographes et quand je cherche le contact visuel avec une personne que je viens de photographier au hasard, tout se termine généralement par un rire. Et bien sûr, le fait que mes sujets soient tous masqués facilite les choses, puisque leur anonymat est automatiquement préservé !
Un de mes endroits préférés de Séoul est le Musée du trompe-l’œil, dans le quartier de Hongdae, où les visiteurs peuvent se photographier au milieu d’œuvres d’art comme s’ils en faisaient partie. Il a suffi d’attendre que quelqu’un portant un masque passe de l’autre côté de cette ouverture dans le mur pour réaliser une photo sortant de l’ordinaire.
Outre les photos prises à l’improviste, j’ai aussi voulu réaliser une série de portraits posés de gens portant des masques, afin de montrer que toutes les franges de la société sud-coréenne adoptent des mesures de protection contre le Mers.
Je voulais aussi photographier le travail des volontaires qui approvisionnent en vivres et en médicaments les milliers de personnes placées en quarantaine à leurs domiciles. Mais alors que je prenais les contacts nécessaires, les autorités locales ont sauté sur l’occasion pour monter une petite opération de communication politique...
A la place du reportage avec les volontaires que j’espérais, j’ai eu droit aux gesticulations d’un politicien local qui a rendu visite aux bénévoles « sur le terrain » devant les journalistes, accompagné d’une cohorte d’attachés de presse survoltés. Lesquels, après nous avoir imposé ce pensum, nous ont bizarrement demandé de n’utiliser aucune des photos du politicien en question parce que cela violait la loi électorale… Bref, voilà une occasion d’illustrer l’épidémie sous un angle original malheureusement perdue.
Ceci dit, les visites organisées par les autorités pour les médias peuvent aussi être très utiles. Par exemple, c’est de cette façon que j’ai pu pénétrer à l’intérieur d’une unité d’isolement du Centre médical de Séoul où sont traitées des personnes atteintes du Mers. Une occasion parfaite de photographier le cœur de l’événement. Et comme très souvent, ce sont les à-côtés de la visite, les photos prises à l’improviste dans les couloirs de l’hôpital, qui s’avèrent beaucoup plus intéressants que ce que le gouvernement cherche à nous montrer.
Et entre le temps passé à chercher des idées de reportage et les démarches auprès des autorités, on trouve toujours un moment pour aller exercer sa créativité dans la frénésie et l’impartialité rassurantes de la rue.
Ed Jones est un photographe de l'AFP basé à Séoul. Suivez-le sur Twitter.