Eloge du « kombini »
TOKYO, 3 avril 2014 - Pendant longtemps, en fait depuis que je suis arrivé au Japon il y a 18 mois, je me suis dit: Oh ! écrire sur les « kombinis », ces incroyables supérettes ouvertes 24 heures sur 24, c’est la tarte à la crème, le marronnier du scribouillard fraîchement débarqué sur l’archipel et encore en phase de naïf « écarquillement », d’émerveillement béat, de « niaiseux » comme disent les Québécois.
Pour me décourager un peu plus : je savais avant d’arriver, pour l’avoir lu, que ma brillante et sympa consœur Karyn Poupée avait consacré à ces « convenience stores » tout un chapitre de son éblouissant livre « Les Japonais » que je recommande vivement à tous ceux qui s’intéressent au Japon.
Et puis non après tout! Alors que sous nos latitudes, on s’épuise le cerveau dans d’interminables et parfois stériles débats sur le travail le dimanche, l’insécurité nocturne en milieu urbain, l’inégal combat entre super-hyper-archi-méga grandes surfaces et petits commerces de proximité, la disparition ou l’éloignement de services aux citoyens/consommateurs, les heures d’ouverture, les heures de fermeture, etc. le tout sur fond de chômage mortifère et de règles, de normes, de patentes, d’autorisations administratives, de dérogations préfectorales, de passes d’armes syndicales, et j’en passe ( reprenez votre souffle) : ici vous avez ce « truc » épatant, cet ovni socio-culturel, ce condensé de «société en miniature » qui vous procure tout ce dont vous pouvez avoir besoin et même le reste à n’importe quelle heure.
Tout le temps et partout. car les kombinis c’est comme les champignons ou les escargots après une bonne averse : il y en a partout ! A Tokyo, Kyoto, Osaka, Nagasaki, etc. Plus de 40.000 à travers l’archipel. Dans les grandes villes, vous pouvez en avoir deux voire trois dans un rayon de 50 mètres. Et personne ne se tire la bourre pour autant, personne ne baisse le rideau.
Rien qu’autour du bureau de l’AFP, dans le quartier de Higashi-Ginza, il doit y en avoir près d’une dizaine dans un rayon de 100 mètres.
Même si le kombini n’est pas assimilable à une banale épicerie de quartier, car c’est bien plus que ça, il faut malgré tout commencer par le basique: la nourriture.
Poulet pané à 4 heures du matin
Un petit creux à quatre heures du mat ? Pas de problème. Seven Eleven, Family Mart, Lawson et d’autres enseignes offrent de quoi: des petits plats de nouilles cuisinées – fraîcheur irréprochable -, des onigiri (délicieux triangles de riz fourrés à diverses choses), des sushis ou des gyozas avec mini sachets de wasabi (moutarde verte) et de sauce soja, des barquettes de tranches de fruits, des brochettes, des cuisses de poulet panées, des croquettes, des oden (légumes, œufs, poisson bouillis dans un bouillon au soja, idéal en hiver) qui mijotent à côté de la caisse, les gâteaux, les yaourts, etc. Je m’arrête là…
En tout cas, à l’heure du déjeuner, tout le monde, notamment les « salarymen » en costard noir, se rue sur les kombinis et repart au bureau avec son petit sac de victuailles. A la caisse on vous glisse dans votre sac une paire de baguettes en bois assortie d’un cure-dent, une petite serviette rafraîchissante, une cuillère ou une fourchette en plastique selon ce que vous avez acheté. Pas mal non ?
J’oubliais : si vous achetez un plat cuisiné, on vous propose systématiquement de vous le réchauffer au micro-ondes.
Passons aux boissons : il y a ce tout qu’il faut, y compris de l’alcool, bière, vin, whisky. Il faut alors presser un écran sur la caisse enregistreuse pour certifier qu’on a plus de 20 ans. Idem pour le tabac.
Jusque-là, les grognons diront qu’à part le fait que c’est ouvert 24 heures sur 24, il n’y pas de quoi s’extasier. Erreur ! Sur 100 mètres carrés en moyenne, ça fait déjà alimentation, boissons, débit de tabac, avec du café chaud. Mais en plus tous ont des toilettes, qui plus est archi-propres, et que vous pouvez utiliser même si vous n’achetez rien (au passage vous avez des toilettes dans toutes les stations de métro). Jamais au grand jamais vous n’aurez droit à ce regard torve que peuvent éventuellement vous lancer certains caissiers dans le monde occidental. Car, oui, malgré les heures de service, les employés sont gentils. Gen-tils.
Pour vous convaincre, il me faut continuer.
Figurez-vous maintenant que par exemple que, dans un kombini, vous pouvez payer toutes vos factures de gaz ou d’électricité : vous arrivez avec votre avis et du liquide, et le caissier ou la caissière encaissent votre argent, tamponne votre quittance, et hop ! C’est fait. Fini les pénibles attentes aux pénibles guichets derrière lesquelles trônent souvent de pénibles pénibles.
Imaginez encore que dans de nombreux kombinis, il y a des également des distributeurs de billets. Pour une somme modique on peut aussi tirer des photos, photocopier, imprimer des documents… Certains kombinis vous vendent des fleurs fraîches, des timbres-poste, beaucoup font pressing.
Du kit de couture à la revue porno
Je ne vais évidemment pas, comme un piètre chef de rayon, faire l’inventaire de tout ce que l’on trouve d’inattendu dans ces kombinis, mais je vais tout de même vous donner une idée : des parapluies à 500 yens pièce (4 euros), des mini écouteurs, de la parapharmacie, des lunettes de lecture, des chargeurs de piles, de la papeterie de base, des mini kits de secours de couture, des préservatifs, des revues de manga (BD) ou érotiques que les gens consultent tranquillement et sans complexe au vu et au su de tous.
Les kombinis sont partout. Je prends l’exemple le plus frappant : la première étape/épreuve que tout étranger arrivant à Tokyo se doit de passer est celle de l’immigration, dans le quartier de Shinagawa. Rappelez-vous bien d’abord, visualisez une salle d’attente classique, bien de chez nous, dans une administration quelconque. Fouillez dans vos souvenirs les plus horribles souvenez-vous de ces heures exquises au bout desquelles vous arrivez au guichet-walhalla, déjà énervé-fatigué-affamé-enretardé pour vous entendre dire qu’il vous manque ci ou ça. Ici, on trouve à l’intérieur de ce bâtiment administratif… un kombini qui non seulement vous permet de vous restaurer pour affronter les inévitables heures d’attente, d’acheter une boisson, mais aussi de vous procurer l’indispensable timbre fiscal que sinon vous devriez aller courir-acheter-au-tabac-du-coin-en-perdant-votre-place-dans-la-queue, ou encore y faire les photocopies des documents qui vous seront demandés.
Vous penserez peut-être que, ça y est, je suis « tatamisé ». Pas du tout ! Simplement je vois ce qui disparaît ailleurs, ce qui se meurt de désertification, tous ces petites alimentations/dépôt de pain et la vie - la société - qui va avec, tués par les super-hyper. Sous nos latitudes combien de petits villages agonisent quand l’épicerie de Mme Machin meurt, quand le petit bureau de poste ou l’école à deux classes ferment.
Rappelez-vous votre dernière traversée en voiture d’une ville moyenne en France à deux heures du matin, votre dernier retour nocturne chez vous. Paysage de rideaux de fer, ombres furtives qui se dépêchent, probablement inquiètent.
Au Japon, les kombinis veillent. Ça vaut tous les commissariats du monde. Ce sont dans la nuit des points de vie et de lumière rassurante, il y en aura toujours un dans la jungle urbaine où vous réfugier au cas où. Pas étonnant que le Japon soit l’un des pays les plus sûrs du monde.
Jacques Lhuillery est le directeur du bureau de l'AFP à Tokyo.