Dessins d’enfants du Nigeria
BAGA SOLA (Tchad), 13 avril 2015 – Nous sommes dans le camp « Dar-es-Salam », près du lac Tchad. Les quelque 5.000 réfugiés qui s’entassent ici ont fui le nord du Nigeria voisin, en proie aux exactions des rebelles jihadistes de Boko Haram. Pour des raisons de sécurité, les autorités ont regroupé dans ce camp, à l'entrée de la ville de Baga Sola, les Nigérians qui ont trouvé refuge sur la rive tchadienne du lac. Des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants continuent à affluer tous les jours dans le camp.
Avec ma collègue Célia Lebur, reporter texte venue de Libreville, nous arrivons au camp dans l’après-midi du lundi de Pâques. C’est un endroit désertique, poussiéreux. En cette saison, le thermomètre dépasse les 45 degrés pendant la journée. Cet arbre, sur la photo ci-dessous, doit être le plus grand du camp. Il est loin d’offrir assez d’ombre à tous ceux qui cherchent à s’abriter sous son feuillage…
Il n’y a rien à faire dans ce camp sommairement aménagé. Les réfugiés sont désœuvrés, amers. Il y a beaucoup d’enfants parmi eux. Certains sont là avec leurs parents. D’autres les ont perdus dans leur fuite chaotique du Nigeria. Les organisations humanitaires présentes dans le camp font ce qu’elles peuvent pour les réunir avec leurs familles.
Dans une grande tente blanche, l’Unicef organise des séances de thérapie par le dessin. C’est une méthode souvent employée pour aider les enfants à surmonter leurs traumatismes dans les zones de guerre, mais aussi pour occuper leurs interminables journées dans le camp de réfugiés. J’ai déjà vu ça pendant le conflit en Côte d’Ivoire, il y a plusieurs années. Les animateurs distribuent des feutres et des grandes feuilles de papier blanc aux gamins et leur proposent un thème. Ce peut être la nature, ou les animaux. Le jour de notre venue, ils leur demandent de dessiner ce qu’ils ont vu quand Boko Haram a attaqué leurs villages.
Le résultat donne froid dans le dos. Célia le raconte dans un de ses reportages: « Cet homme est dans sa maison. Il est en train de la réparer mais il a entendu les fusillades dehors », explique un des enfants. « Quand il sort pour voir ce qui se passe, un Boko Haram vient devant sa maison, tire et met le feu. L'homme essaie de sortir mais ne trouve pas d'issue: toute la maison est en flammes… »
Je n’ai pourtant vu aucun enfant prostré pendant cette séance. Ils ont vécu des horreurs sans nom et leurs dessins témoignent des traumatismes qu’ils portent en eux, et pourtant ils sont, en notre présence, d’une étonnante gaité. J’aime particulièrement cette photo où l’on voit l’un d’eux jouer avec une espèce de cerceau bricolé avec un couvercle de marmite, un bâton et un bout de fil de fer. Ces enfants viennent du nord du Nigeria, une des régions qui, même avant Boko Haram, était déjà une des plus chaotiques du pays. Ils sont habitués à des conditions de vie très dures.
Le Nigeria est tout proche, à moins d’une vingtaine de kilomètres. La navigation sur le lac Tchad a été stoppée et d’importantes forces de sécurité sont déployées dans la région, mais cette dernière reste peu sûre. Le camp de Dar-es-Salam est situé à une quarantaine de kilomètres de N’Gouboua, une ville de 6.000 habitants attaquée par Boko Haram en février dernier. Les insurgés arrivés à bord de pirogues ont incendié une partie de la ville avant de se replier. Les traces de leur incursion, la première à avoir eu lieu en territoire tchadien, sont encore bien visibles. Et deux jours avant notre passage, une embuscade tendue par Boko Haram dans un village voisin a fait sept morts.
Philippe Desmazes est un photographe de l'AFP basé à Lyon.