(AFP / Xavier Bourgois)

Des bananes, du gibier de brousse et des vélos

LIBREVILLE, 29 avril 2012 - Une course cycliste sur l'Equateur, en Afrique, au Gabon... Avec des pros dont Thomas Voeckler et des équipes africaines. C'est l'Amissa Bongo.

Je pars donc à Lambarené, dans le centre du pays,pour assister au départ de la course. Lambarené, c’est la ville où Albert Schweitzer a construit son hôpital (Lire « A l'orée de la forêt vierge » , ca donne une bonne idée de son travail mais aussi de l'état d'esprit des « Blancs », même considérés comme progressistes, au début du XXe siècle).

La course, c'est 90 coureurs et des dizaines de voitures qui se déplacent tous les jours à travers un pays où il y a très peu de routes goudronnées. L'Amissa se déroule souvent dans l'est, dans le Haut-Ogooué, la région natale d’Omar Bongo, président pendant 42 ans et décédé en 2009. Le réseau routier y est d’une qualité incomparable avec le reste du pays. Amissa Bongo, c'est le nom d'une de ses filles décédée en 1993 avant ses trente ans.

"Il y a des routes merveilleuses dans le Haut-Ogooué entre Franceville et Leconi, et entre Franceville et Akieni, alors qu'il n'y a personne. Et moi, je me tape la piste défoncée entre Tchibanga (sud) et Libreville", me confiait il y a quelques années un camionneur.

Petit à petit, le Gabon goudronne ses routes. L'année dernière, la course est allée pour la première fois au Cameroun et circulé dans le nord. Cette année, elle se rend pour la première fois à Fougamou (sud)... Justement, la route qui mène vers Tchibanga et qui avance. Des parties sont flambant neuves. Un vrai billard.

Mardi, je pars tôt le matin avant la caravane pour repérer les lieux entre Lambarené et Fougamou.

Sur le bord de la route, dans chaque village, on dispose sur des tonneaux rouillés ce que l'on a vendre: vin de palme, bananes, piments, bananes, citrouilles, bananes, gas-oil, bananes, manioc, bananes. Vous l'avez compris, c'est la terre de la bananes et il y a des régimes en veux-tu en voilà.

Il y a aussi accroché à des bâtons, le gibier de brousse dont se régalent les Gabonais: rats musqués, hérissons, porcs-épics et même des singes noirs. Ils sont exposés au soleil et on comprend mieux ici, l'expression « viande faisandée »...

(AFP / Patrick Fort)

Je repère un ou deux coins et me dis que ca fera une bonne photo au retour de voir le peloton passer devant un ragondin pendant par la queue.

Je passe non loin de Sindara. Il y a 20 km de piste à faire et je décide de faire le détour. Je prends un jeune armé de sa machette en stop et il me guide jusqu'à la Mission puis jusqu'à la « chute d'eau » de Tsamba qui s'avère un simple rapide...

Il n'a pas de travail, vit au jour le jour, de la pêche, de la chasse, de la cueillette ou de travaux qu'il peut réaliser. Il a voulu passer le permis de voiture mais m'explique que ce n'est pas possible, on lui demande trop d'argent. « Pas facile la vie », conclut-il

A Fougamou, ville départ c'est ambiance et cagnard sur la ligne. Le speaker fait danser le coupé-décalé aux coureurs ivoiriens avant de demander aux Gabonais et Camerounais de se déhancher également. La foule applaudit.

Je décide de me lancer sur la route avant le départ des coureurs histoire de pouvoir les voir passer et de voir l'ambiance. Je m'arrête pour faire le plein en super: il n'y en a plus... Heureusement que j'ai toujours un bidon dans le coffre. Sorti de Libreville, c'est la loi du gas-oil. « Un 4x4 qui marche avec de l'essence, ca sert à rien. Tu fais un peu de brousse et après t'es en panne sèche », me dit-on souvent. 

Sur la route, on traverse les villages. Cases en bois avec toits en tôle. Sur les toits, on pose des cailloux ou des grosses branches pour qu'ils ne s'envolent pas. Ca donne l'impression qu'il a plu des cailloux et des branches...

Il y a aussi d'innombrables gens à pied qui marchent des kilomètres. Je m'arrête régulièrement pour leur proposer de les avancer. La plupart rentrent de brousse où ils ont récolté citrouilles, bananes ou ramassé du bois avant qu'il ne fasse trop chaud. Ce sont surtout les femmes, souvent vieilles, qui portent. Il n'est pas rare de voir un homme avec une machette et un sac en plastique et sa femme derrière lui portant une hotte très lourde. Je fais part de ma réflexion à deux jeunes filles prises en stop: « Les hommes c'est des fainéants », commente l'une d'entre elles. 

Le peloton traverse Bifou lors de la 2e étape, le 25 avril (AFP / Patrick Fort)

L'autre vit du commerce de bananes. Elle les achète sur le bord de la route à des « connaissances », se rend ensuite à Lambaréné, puis prend le bateau pour Port-Gentil (5h) pour vendre « bananes et filets d'avocats ». « Le billet coûte 10.000 francs CFA pour moi (15 euros), après chaque régime c'est 1000 F CFA et les filets aussi », explique-t-elle. Elle vend jusqu'à 15.000 F à Port-Gentil un régime acheté 5.000 F CFA. « Ca donne de quoi vivre un peu, un peu », résume-t-elle. Elle a 27 ans. Ses parents sont morts en même temps dans un accident de voiture et elle se débrouille depuis toute seule. Gênée, elle avoue avoir quitté l'école tôt.

Partout sur la route, les gens aux vêtements usés demandent des T-shirts de l'Amissa. Le gibier a disparu, vendu... Je repère enfin un Touraco (oiseau typique du Gabon) noir accroché à un bâton. Je m'arrête, gare la voiture pour prendre position et attendre le peloton. Une 4x4 s'arrête: « C'est combien? » « 3.000 FCFA (4,5 euros) » répond un jeune. Vendu. 

Je reprends la voiture. Il y a un tonneau sur lequel est posé une bouteille de vin de palme (blanc comme du lait) et des piments rouges et jaunes. Je demande l'autorisation de m'installer à son propriétaire qui me toise. « C'est 5000 F CFA, tu va t'enrichir avec la photo ». Je refuse et m'en vais. 

Je m'arrête un peu plus loin. Il y a deux bouteilles de jus de citron mélangé à du piment, d'un bel orange.

Je parle aux dames qui le vendent. Elles sont d'accord et je leur achète même une bouteille (1.500 F CFA), histoire d’éviter que quelqu'un me prive de la photo au dernier moment. La femme rigole: « Tu vas voir, le Blanc, ca va te nettoyer de l'intérieur ». L'odeur de piment est très forte et je pressens que ce cocktail doit mettre le feu à la bouche. 

Depuis 4 ans que je suis au Gabon, ca ne me gène plus qu'on m'appelle le Blanc, le White, le Blanco... Au début, je montais sur mes grands chevaux et répondais aux gens: « Ne m'appelez pas Blanc, est-ce que moi je vous appelle Noir ». Aujourd'hui, je ne m'offusque plus, j'ai compris que la plupart du temps, c'est amical.

En attendant le passage du peloton (AFP / Patrick Fort)

Un peu plus loin, il y a un bar avec une demi-douzaine de personnes qui attendent l'Amissa. Ils boivent de la bière et du Mussungu (vin de canne). L’un est éméché. La bonne humeur règne. La journée est chômée en raison de la course qu'ils n'ont jamais vue, puisqu'elle passe pour la première fois dans le village.

« Vous êtes forts les Européens en vélo. Plus forts que nous. Mais c'est normal, nous ici, on n'a pas de vélo! » souligne un spectateur.

Je ne sais pas pourquoi, Ca me rappelle, la scène du film: « Noirs et blancs en couleur »  de Jean-Jacques Annaud, où les missionnaires, qui ne se refusaient pas un mensonge dans leur prosélytisme, font croire à des villageois africains n'ayant jamais vu un vélo que c'est la foi qui permet de tenir en équilibre sur la bicyclette.

En tout cas, pour rouler sous cette chaleur, il faut du courage... Je n'ai pas de casquette et mon crane est désormais plus rouge que certains piments...

Un motard de la gendarmerie passe, se lève sur sa moto sans tenir le guidon pour faire le show. Il récolte les applaudissements. 

Finalement la course s'approche. Je prends ma position derrière mes bouteilles... et les échappés passent de l'autre côté de la route! Au lieu des les avoir en gros plan, je les ai de loin. Heureusement, que je ne suis pas payé à la photo réussie...

(AFP / Patrick Fort)

Le peloton passe quelques instants plus tard sous les vivats! Le tout dure quelques secondes. 

"C'est tout? C'est fini? Déjà? C'est ça l'Amissa?" s'interroge un spectateur. Tout le monde rigole. Je paie une tournée de bière et je m'en vais...

Pendant que je monte dans la voiture, un cycliste Gabonais passe, attardé. Je roule derrière lui avant de pouvoir le doubler et j’entends les gens sur le bord de la route qui l'insultent au lieu de l'encourager.

-Paresseux! Vagabond!

-C'est ça: les Gabonais derrière! Comme toujours...

-Pitié, quelle honte! Vraiment!

Je rattrape le peloton. Il y a une chute collective. Le Rwandais Nathan Byukusenge est à terre. Rien de grave mais je ne lui ai pas porté bonheur: la veille au soir, je l'ai interviewé dans sa chambre.

Six kilomètres plus loin, c'est Yohan Gene, le Français qui s'impose devant l'Algérien Abdelmalek Madani et l'Allemand Fabian Schnaidt... devant une foule en liesse. 

En attendant la remise des maillots, le speaker improvise un concours de danse lascive entre une belle Gabonaise et un Français de l'organisation. il n'y a pas photo: le Français est loin derrière à l’applaudimètre. C'est la Gabonaise qui l'emporte, ainsi que de nombreux cadeaux et argent en liquide. Les spectateurs exultent! 

Patrick Fort dirige depuis 2008 le bureau de l'AFP à Libreville, qui couvre l'Afrique centrale. Né à Montréal, il a été élevé aux Etats-Unis, en France et au Brésil. Après ses débuts aux quotidiens La Croix et L'Alsace, il entre à l'AFP en 2000 comme correspondant à Madrid. Il travaille ensuite au service des sports à Paris. Il a écrit deux livres:Zidane, de Yazid à Zizou (L'archipel, co-écrit avec Jean Philippe) et Bagdad,journal d'un reporter (Des idées et des hommes) qui retrace ses missions en Iraken 2006.

Danse de joie des Gabobais Ange Ntzatsi Koumba et Junior Lingoombe Bongo sur le podium de la première étape, le 24 avril (AFP / Patrick Fort)