Dans le Turkana, rendez-vous avec la dignité

Nairobi - Début octobre, je me suis envolé pour le comté de Turkana, au Kenya. Dans ce territoire aride du nord-ouest, je devais suivre une équipe des Nations unies partie enquêter sur l’impact local du changement climatique. 

J’en suis revenu avec un reportage sur la dignité des hommes. 

Mais d’abord un peu de contexte: le Turkana est un territoire au coeur de l’Afrique de l’Est, la seconde plus grande province du Kenya, coincée entre l’Ouganda, au sud-est, le Soudan du Sud, au nord-est, et l’Ethiopie, au nord-ouest. Son nom évoque le lac éponyme,  placé sur la liste du patrimoine en péril de l’Unesco. Surnommé la “mer de Jade” pour ses reflets, il s’étire sur 250 km, au milieu d’un des déserts les plus arides d’Afrique. Le lac serait aussi l’un des berceaux de l’humanité. 

Ici vit un peuple de bergers, les Turkana, devenus pour certains des pêcheurs sédentaires. Ils seraient arrivés d’Ouganda avant le XVIIème siècle et ont leur propre langue, préservée par le relatif isolement de ce territoire. Les Turkana aiment s'orner d’imposants colliers portés par rangs multiples autour du cou.

(AFP / Luis Tato)
(AFP / Luis Tato)

 

En dépit de ce majestueux héritage, le Turkana est aussi le plus pauvre des territoires du Kenya. On y trouve deux des plus grands camps de réfugiés d’Afrique, dont celui de Kakuma, qui accueille depuis plus d’un quart de siècle des Somaliens, des Congolais, des Ethiopiens et des réfugiés du Soudan du Sud. Ils ont eu des enfants, et sont restés.

 

 

(AFP / Luis Tato)

Après avoir fui la guerre, ces hommes et ces femmes doivent supporter des conditions de vie extrêmes liées au climat. Ici il ne pleut que quelques mois par an et de moins en moins. La température dépasse souvent les 40°C en été.  On manque cruellement d’eau. Bien que le Kenya vive actuellement un boom économique, avec une croissance moyenne annuelle de plus de 5% depuis 2009, les habitants se sentent délaissés: les routes sont en mauvais état, comme les lignes téléphoniques. 

(AFP / Luis Tato)

Malgré tout cela, la résilience des habitants est frappante.

J’ai rencontré des personnes à la recherche d’alternatives et de solutions. Des réfugiés qui avaient par exemple construit leur propre réservoir d’eau, à plusieurs. Grâce à cela, ils pouvaient faire pousser des légumes. Dans une autre communauté, les habitants se consacraient à l’extraction de charbon, faisant vivre tout le village. 

(AFP / Luis Tato)

Dans le camp de Kakuma les commerces ont fini par se multiplier, comme dans une ville. Ces gens viennent d’endroits si différents ... la symbiose entre la population locale et les immigrés du Soudan du Sud est surprenante !

(AFP / Luis Tato)

Ils ne parlent pas la même langue mais se retrouvent sur la recherche de solutions. On entend parler arabe, français (les Congolais) ou “turkana”. Les plus jeunes eux, apprennent le swahili pour mieux s’intégrer. 

J’aime me lever à l’aube pour les photographier avec les premières lueurs du jour, pendant qu’ils labourent leurs potagers. Ils réalisent ces tâches quotidiennes avec reconnaissance. Ils incarnent la capacité de surmonter l’adversité.

(AFP / Luis Tato)
(AFP / Luis Tato)

Je tente ces derniers temps d'axer mon travail photographique sur cette résilience. Je crois que l’on peut dépasser la narration centrée sur les souffrances et le pessimisme, pour parler davantage de transformation. Je sens que c’est ce qui se passe en Afrique.

(AFP / Luis Tato)

Je viens d’un petit village du centre de l’Espagne, dans la région de Castilla-la-Vieja, froide et battue par les vents en hiver. J’ai commencé ma carrière de photographe dans les années 2010, et puis j’ai perdu mon emploi au sein du quotidien espagnol La Vanguardia, comme des milliers d’autres journalistes en Espagne, victime d'une crise très dure entre 2008 et 2013. Plusieurs éditeurs m’ont alors dit: “Va dans l’Est de l’Afrique, c’est un endroit intéressant”. J’ai suivi le conseil. Je suis venu au Kenya et j’y suis depuis quatre ans.

(AFP / Luis Tato)

En fin de compte ce que l’on vit ici n’est pas si différent de ce que j’ai observé dans les quartiers de Barcelone en pleine crise, ou dans mon village de la province de Ciudad Real en Espagne: j'ai vu des hommes et des femmes à la recherche d’un avenir en dépit des difficultés. Ici et là-bas, ils tentent chaque jour d’envisager les problèmes comme des opportunités, pour grandir et changer. 

Ce texte a été écrit avec Yana Dlugy à Paris. Edition par Michaëla Cancela-Kieffer à Paris.