Baptême du feu en Australie
(AFP / William West)
SYDNEY, 29 oct. 2013 – Quand on gît à plat-ventre dans la poussière, entre deux immenses murs de flammes qui vomissent des pluies de braises, une seule pensée vous vient à l’esprit: «en voilà une façon stupide de mourir».
Cette perspective semble inévitable. Mais curieusement, elle n’a rien de mélodramatique. Au contraire, je me surprends à l’envisager avec calme. Ma tenue de protection ignifuge me brûle la peau tandis qu’un souffle infernal passe au-dessus de nous. Le feu peut tuer. Je vais peut-être mourir.
Nous sommes à Faulconbridge, un petit village de la Cordillère australienne, à l’ouest de Sydney. En ce 23 octobre, j’accompagne les pompiers du New South Wales Rural Fire Service (RFS) qui allument des contre-feux, une technique consistant à brûler la végétation de façon contrôlée pour que l’incendie, lorsqu’il atteindra cette zone, soit privé de carburant et s’éteigne.
L’alerte a commencé le 17 octobre, par une journée inhabituellement chaude et sèche au cours de laquelle plusieurs feux de forêt se sont déclarés dans les Blue Mountains, une chaîne de montagnes inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et très populaire parmi les touristes et les randonneurs. L’incendie s’est propagé avec une surprenante férocité et a déjà détruit plus de 200 maisons. De façon assez miraculeuse, on ne déplore qu’un seul mort. L’ampleur de la fournaise est telle que des cendres pleuvent sur la banlieue de Sydney, à plus d'une centaine de kilomètres de là. Le ciel de la grande métropole australienne est obscurci par d’immenses nuages de fumée. Et les autorités avertissent que ce n’est là que le début d’une semaine d’enfer.
A Faulconbridge et dans d’autres villages menacés du même secteur, le plan d’urgence consiste à brûler une bande de végétation autour les habitations situées en première ligne afin de créer un coupe-feu. Il s’agit de bloquer le front principal de l’incendie, et d’éviter que des cendres incandescentes soient projetées au loin et allument de nouveaux foyers. Je décide de suivre une équipe qui, au fond d’un petit ravin, s’emploie à allumer des broussailles le long d’un sentier.
Alors que je parle au capitaine, Chris Moore, les flammes derrière nous s’avivent soudain. La température et la quantité de fumée augmentent brusquement. Mon premier instinct est de me précipiter vers le haut du fossé pour rejoindre les véhicules de secours en stationnement un peu plus loin. Mais Moore me saisit par le bras et m’oblige à me coucher dans la poussière.
– «Vous n’avez jamais été dans un incendie avant?» demande-t-il.
Non, jamais. En tout cas jamais aussi près...
– «Bon, ça va être un peu pénible pendant quelques minutes. Maintenez votre visage le plus près possible du sol. C’est là où il y a le plus d’oxygène. Il faut juste attendre que tout ait brûlé».
En Nouvelles Galles du Sud, un journaliste n’est pas autorisé à se rendre sur le lieu d’un feu de forêt sans un permis spécial qu’il reçoit après avoir appris, en une demi-journée, les rudiments de la sécurité incendie. C’est une expérience plutôt marquante, qu’il faut répéter tous les deux ans pour conserver son permis. On y apprend comment faire face à un grand nombre de situations, la plus effrayante étant: comment survivre si votre voiture se retrouve subitement bloquée devant un front de flammes avançant à toute vitesse.
Il faut alors s’allonger sur le plancher, à l’arrière, sous une couverture de laine qu’on est toujours censé avoir à bord de son véhicule, et placer devant sa bouche un gant de toilette imbibé d’eau. Les flammes vont effleurer la voiture, la chaleur va faire exploser les vitres, mais vous avez une petite chance de survivre. Une petite chance... Si vous êtes une femme et que vous portez un soutien-gorge à baleines métalliques, celui-ci se transformera en fer à marquer incandescent et jamais, jamais vous n’oublierez cette sensation. Et si au final vous devez périr, vous avez plus de chances de mourir asphyxiée que d’être brûlée vive.
Toutes ces choses me reviennent à l’esprit pendant que je suis aplatie contre le sol à côté de Moore, les yeux endoloris par la fumée et un «flash hood» (une toile ignifuge spécialement conçue pour les pompiers) devant ma bouche et mon nez. La chaleur est insupportable. Les cendres incandescentes s’abattent sur ma combinaison. Je rends grâce au code vestimentaire strict imposé aux journalistes titulaires de la licence du RFS (vous pouvez me voir dans cet accoutrement sur la photo ci-dessous). Je remercie aussi mon casque en kevlar quand une branche en feu se détache d’un arbre et chute lourdement sur le sol à quelques mètres de moi...
Pendant ce désagréable moment, Moore me raconte ses faits d’armes. Il parle de la première fois où il s’est retrouvé dans une situation de ce genre.
Au bout d’un moment, la chaleur cesse de vous déranger, dit-il. Mais on ne s’habitue jamais à chercher désespérément une bouffée d’oxygène au milieu d’une épaisse fumée.
«Si vous aviez essayé de remonter cette pente, vous n’auriez pas parcouru dix mètres», dit-il. «J’ai connu de jeunes recrues qui, après une expérience pareille, ont découvert qu’ils n’étaient pas faits pour ce métier et qui ont raccroché leur casque».
«Vous n’avez jamais songé à nous rejoindre?» me demande-t-il alors que nous nous séparons avec une poignée de mains.
J’éclate de rire en frottant mes yeux rougis. Non, je ne veux pas devenir pompier. Cela ne m’a jamais traversé l’esprit.
«Bon, vous êtes initiée maintenant, et vous avez survécu. Vous devriez y songer».
Je pense que je me contenterai de raconter cette expérience par écrit.
Si vous ne parvenez pas à visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
Amy Coopes est correspondante de l'AFP à Sydney.